Les discours des jeunes hommes et femmes du département que nous avons rencontrés révèlent une banalisation du phénomène prostitutionnel. Les paroles sur le sujet sont décomplexées. La pratique n'est pas cachée, invisible ou clandestine. Au contraire, les jeunes en parlent, dans la cour de récréation ou encore à la cafétéria de l'entreprise. Nous avons donc pu recueillir un discours fourni et détaillé auprès des personnes interrogées.
La prostitution qui suscite de l'intérêt, des discours et des échanges ne concerne que les clubs, que l'on appelle en Catalogne les « puticlubs ». La prostitution de rue, qui existe également à La Jonquera et dans ses alentours, est décrite par les jeunes en des termes très négatifs. Les clients sont associés à de « pauvres types » et à la misère sexuelle ; les personnes prostituées sont dépréciées à tous les niveaux, décrites comme « moches », « sales » et « victimes de la traite ».
Les jeunes hommes et femmes interviewés sont à même de décrire les lieux, même lorsqu'ils n'y sont jamais allés. Ils connaissent le nom des clubs, les décors, les tarifs, le style des « filles », leur origine ethnique et leur âge. Nous nous sommes donc intéressées aux vecteurs d'information et de communication sur le phénomène prostitutionnel de La Jonquera.
Le premier vecteur, le plus traditionnel, est celui du « bouche à oreille ». Extrêmement diffus, il prend place dans le cercle familial, dans le milieu scolaire ou encore dans le monde de l'entreprise, où le phénomène prostitutionnel peut être présenté à de nouveaux arrivants dans la région comme une spécificité, voire même une fierté locale.
Un deuxième vecteur d'information relève de la communication médiatique, à travers des émissions de télévision et des articles de presse. A l'occasion de l'ouverture du club « Le Paradise », le journal local « L'Indépendant » a, par exemple, publié un article présentant le lieu et les tarifs pratiqués.
Le troisième vecteur concerne les publicités que nous avons qualifiées de « folkloriques ». À titre d'exemple, le petit village de Saint-Laurent-de-Cerdans, dans les Pyrénées-Orientales, a organisé son carnaval annuel sur le thème « Paradise », du nom du club de La Jonquera. De la même manière, un groupe musical populaire, représentant l'identité catalane, a écrit une chanson très connue des jeunes catalans sur l'un des clubs de La Jonquera, « Le Dallas ».
Enfin, le dernier vecteur de communication est celui des publicités mises en oeuvre par les clubs. Il témoigne du caractère industriel du phénomène et d'un marketing poussé, transfrontalier et ciblé vers les jeunes. Ainsi, des voitures-balais de type limousines à l'effigie des clubs circulent dans les rues de Perpignan et des « flyers » sont distribués à l'entrée et à la sortie des matchs de l'Union Sportive Arlequins Perpignan-Roussillon (USAP), l'équipe de rugby locale. Les radios jeunes diffusent les publicités des établissements, de même que « Bizz », le magazine d'information sur les sorties à Perpignan. La publicité pour ces clubs est transfrontalière.