Intervention de Monique Cerisier-ben Guiga

Réunion du 7 avril 2011 à 9h30
Bioéthique — Article 14

Photo de Monique Cerisier-ben GuigaMonique Cerisier-ben Guiga :

Le groupe socialiste a laissé la liberté de vote à ses membres sur le sujet qui nous occupe. Je défendrai donc, au nom de la minorité d’entre nous, l’article 14 dans le texte de la commission.

C’est aux dizaines de milliers de donneurs de vie bénévoles, gommés par l'anonymat, c'est aux 50 000 Arthur, Justine, Paul et Carole, nés grâce à ces dons, c’est aux parents qui ont accompli le parcours du combattant de l'assistance médicale à la procréation que je dédie mon plaidoyer pour la levée de l'anonymat des « donateurs » de gamètes.

La réflexion menée par le groupe de travail de Terra Nova sur l’accès à la parenté, animé par Geneviève Delaisi de Parseval et Valérie Depadt-Sebag et auquel j'ai pu participer, m'a renforcée dans la conviction que nul ne doit être privé d'informations qui le concernent au premier chef, dans la mesure où celles-ci existent. « De quel droit – écrit Arthur Kermalvezen, auteur du livre Né de spermatozoïde inconnu ... – les médecins sont-ils les seuls à détenir des informations qui nous importent pour notre devenir, à nous, enfants issus de leurs expériences ? ».

La loi fait de l'origine des enfants nés par assistance médicale à la procréation le monopole des médecins. Or le droit des malades à accéder à leur dossier est reconnu par la loi de mars 2002 ; l'article 10 de la Convention d'Oviedo va dans le même sens.

Dites-moi, que répondra Arthur, né de spermatozoïde inconnu, lorsque le médecin lui demandera s'il y a des antécédents cardiaques dans sa famille paternelle ? Que répondra Caroline quand on lui demandera s’il y a eu un nombre important de cancers du sein dans sa famille maternelle ? Ils ne pourront rien répondre.

La confusion établie entre le don du sang et le don de gamètes est à l'origine de cette règle de l'anonymat établie à l'aube de l'assistance médicale à la procréation par le CECOS. À l’époque, on n’avait pas perçu que les gamètes étaient des « dons de parenté » et non des cellules comme les autres.

Il est temps de mettre fin au déni sur lequel est fondée la loi française relative à la bioéthique. D'ailleurs, la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval signale, avec une certaine malice, le fait que, dans cette loi, est permis « ce qui imite au plus près la nature, et ce qui peut rester secret d'autre part ». Autrement dit, cette loi reste marquée par la morale du « ni vu ni connu », qui assure traditionnellement la paix des familles.

Rendons justice aux enfants. Rendons aussi leur dignité à ceux qu'Irène Théry nomme des « donneurs d'engendrement ».

Derrière l'application du principe de l'anonymat du don à l’assistance médicale à la procréation par tiers donneur se cache en réalité la crainte de voir vaciller une histoire basée sur le secret du mode de conception, qui serait le garant du bien-être des parents et le socle de l'élaboration de la famille. On s’imagine que ce secret favorisera la construction de la famille. Le donneur est pensé comme possible rival : c'est la peur du « rival génétique ». Le don est effacé dans l'histoire de l'enfant par crainte d'une fragilisation des parents dans leur rôle de parent. L’anonymat du donneur, c’est la prééminence donnée au droit des parents sur le droit des enfants.

L'engagement parental prime évidemment sur le lien biologique, mais celui-ci existe sans pour autant mettre en péril la filiation. En effet, fondée ou non sur l'hérédité, la filiation est essentiellement juridique et sociale.

Je suis persuadée qu'en refusant aux enfants nés du don de gamètes le secret de leur conception, on induit un effet inverse de celui escompté. On pense affirmer la supériorité du lien social sur le lien génétique, mais, en négligeant totalement ce dernier, on lui donne une place centrale, on le mythifie et on laisse s'élaborer « une fiction de procréation conjugale ».

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