Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 7 avril 2011 à 9h30
Bioéthique — Article 14

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

Cet amendement reflète uniquement la position de ses signataires.

Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, je suis opposé à la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes, car elle me semble à la fois discutable sur le plan éthique et contre-productive sur le plan pratique.

Comme un certain nombre de mes collègues, je refuse de m’en remettre à la « vérité des gènes » et à la dictature des origines et du déterminisme génétique. Les gamètes ne sont porteurs que d’un capital génétique, pas d’une histoire familiale. Les expériences conduites en génétique, notamment avec le clonage animal, montrent bien à quel point la part du génétique dans l’évolution physiologique n’est que relative.

À cet égard, la levée de l’anonymat alimente une dangereuse confusion entre parentalité et origine biologique et remet en cause la primauté symbolique du caractère social et affectif de la filiation. J’en suis persuadé, ce n’est pas la biologie qui détermine les origines ; l’identité est narrative, pas biologique. Je crains fort que la levée de l’anonymat ne fasse que brouiller la lisibilité de la filiation.

Il ne faut non plus oublier qu’aucun enfant conçu « naturellement » n’est jamais assuré de connaître la vérité exacte de sa conception : son père est-il le véritable père biologique ? A-t-il été un enfant désiré ? Il existe une part d’irréductible du mystère des origines qu’il nous faut accepter, en considérant que ces origines, avant d’être l’histoire des enfants, sont celles des parents.

À cet égard, je crains que la levée de l’anonymat ne fasse que fragiliser la position des parents receveurs, qui seront plus enclins à garder le secret sur les conditions de conception de leur enfant. Alors même que, avec le système actuel, moins d’un quart des enfants sont informés de leur mode de conception, il est à craindre que, avec la levée de l’anonymat, les parents n’informeront plus leur enfant de son mode de conception. Distinguer deux catégories de donneurs ne risque pas d’arranger les choses, comme l’a souligné Gilbert Barbier.

On l’a constaté en Suède, premier pays à avoir levé l’anonymat en 1984, non seulement les parents n’informent plus leur enfant de son mode de conception, mais, pis, se détournent des centres d’AMP du pays pour se tourner vers des banques de sperme leur garantissant l’anonymat du donneur. En levant l’anonymat, la France risque de pousser les couples confrontés à la stérilité à partir à l’étranger, en favorisant ce qu’on appelle le « tourisme procréatif ». Le principe de l’anonymat est certes imparfait, mais il nous préserve d’un certain nombre de dérives et de conduites « inéthiques » que l’on peut observer en dehors de l’Hexagone avec, par exemple, la sélection de donneurs spécifiques par les parents.

Plus que le droit à connaître ses origines, c’est avant tout le droit à connaître la vérité sur son mode de conception qui devrait prévaloir.

Je crois également que la levée de l’anonymat fragiliserait la position du donneur, qui n’est pas un parent et qui n’a donc pas sa place dans la famille. Il faut rendre aux donneurs la place qui est la leur : des personnes sensibles aux difficultés rencontrées par d’autres couples et qui ont choisi de les aider en faisant un don, désinvesti de tout projet parental. Le don de spermatozoïdes ou d’ovocytes n’est pas un don d’enfant.

Il ne faut pas négliger non plus le risque sérieux de voir diminuer non seulement le nombre de dons, mais également le nombre des couples souhaitant bénéficier d’une AMP avec tiers donneur. Ces risques sont réels et vérifiés en pratique dans plusieurs pays d’Europe. Selon un sondage effectué pas l’Agence de la biomédecine, 50 % des donneurs de sperme ne donneraient pas si l’anonymat n’était pas garanti, tandis que, selon une enquête réalisée par la Fédération nationale des CECOS, 25 % des couples renonceraient à une procréation par don de sperme.

Se poser des questions sur ses origines est parfaitement normal, que l’on soit conçu par don ou naturellement. Je ne sous-estime pas la souffrance exprimée par certains de ces enfants du don, mais j’éprouve de sérieux doutes devant le « remède » et le bénéfice psychologique pour un enfant ainsi conçu de connaître ses origines, voire de se laisser offrir cette possibilité, car cela introduit pour lui une décision difficile à prendre et à assumer. Il pourrait au contraire s’en trouver déstabilisé et en souffrir bien plus que du fait de la méconnaissance de son donneur.

Voilà pourquoi je propose la suppression de l’article 14.

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