Au sujet des subprimes, en amont de la dimension criminelle, c'est une crise politique. Il n'y a jamais de crise criminelle ou financière : ce ne sont jamais que des crises politiques. Il y a eu des lois de dérégulation visant à diminuer les contraintes sur l'ensemble des acteurs économiques, et surtout financiers. Ce contexte politique et idéologique a poussé l'ensemble des régulateurs qui n'avaient pas envie de réguler, dans leur pratique et la nomination des responsables. Le système de régulation américain était extrêmement complexe avec de nombreuses agences séparées par des interstices. Les institutions bancaires changeaient de forme juridique pour choisir leur régulateur, en privilégiant le moins pénétrant.
En ce qui concerne le trading de haute fréquence, nous voyons typiquement comment une technique née de la dérégulation, fruit de textes juridiques et de la pesanteur de la technologie, nous voyons comment cette technique à bas bruit s'est imposée depuis quinze ans, a révolutionné les marchés financiers sans qu'il y ait de débat public. Je vois trois aspects préoccupants sur cette question. Dans le champ des fraudes et manipulations, à l'ère du trading de haute fréquence, les fraudes et manipulations financières seront quasiment indétectables, intellectuellement, matériellement, et certainement indétectables judiciairement dans la mesure où l'administration de la preuve sera de plus en plus complexe. Nous sommes dans une équation perverse entre l'hyper-volume, l'hyper-vitesse et l'invisibilité.
Je tiens à souligner que l'invisibilité crée toujours de la criminalité. Le trading de haute fréquence est peut-être en train de nous faire basculer vers un horizon où la fraude financière sera invisible et pourrait s'institutionnaliser. Le second type de risque, systémique évoqué par Noël Pons, donne lieu à une répétition de flash crash dans des secteurs précis. Il y a le 11 septembre du flash crash en matière de trading de haute fréquence, le 6 mai 2010, mais il y en a en permanence. Nul ne sait ce que produiront ces crashs permanents, plus ou moins importants, sur les marchés financiers.
Un dernier questionnement qui relève de l'économie politique concerne la nature même du trading de haute fréquence : est-ce du front-running technologique ? Ce propos est inaudible pour les acteurs du trading de haute concurrence. La technique pose-t-elle des questions fondamentales sur la loyauté de la concurrence, les délits d'initié, etc. ?