Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 9 avril 2014 : 1ère réunion
Comptes bancaires inactifs et contrats d'assurance vie en déshérence — Communication de m. thani mohamed soilihi

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi :

Le 13 novembre dernier, Christian Eckert, rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, a déposé une proposition de loi relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d'assurance vie en déshérence, sur laquelle la procédure accélérée a été engagée par le Gouvernement. Ce texte vise à prendre en compte les conclusions d'une enquête sur ce sujet commandée à la Cour des comptes par la commission des finances de l'Assemblée et remise en juillet 2013.

Les causes principales du phénomène des comptes bancaires inactifs et des contrats d'assurance sur la vie non réclamés est bien connue : d'une part, le décès du titulaire du compte ou de l'assuré du contrat, sans que l'établissement bancaire ou la compagnie d'assurance en ait connaissance, et d'autre part, les difficultés liées à la recherche de l'héritier du compte bancaire du défunt ou du bénéficiaire du contrat d'assurance vie.

Le législateur est déjà intervenu à plusieurs reprises depuis 2005 et notre commission a déjà eu à connaître de la question des assurances vie non réclamées, au titre de sa compétence en matière de droit des contrats et donc de droit des assurances, notamment avec la loi du 17 décembre 2007 qui a imposé aux assureurs une obligation générale de s'informer sur le décès éventuel de l'assuré couvert par un contrat d'assurance vie, à l'aide de traitements de données personnelles, tout en leur donnant la capacité juridique et technique de procéder à cette vérification en ayant recours au répertoire national d'identification des personnes physiques, tenu par l'INSEE, par l'intermédiaire d'un organisme créé à cet effet en application de la loi de 2005, l'Association pour la gestion des informations sur le risque en assurance (AGIRA), qui gère plusieurs dispositifs collectifs des assureurs.

Après la réforme de 2007, notre collègue Dominique de Legge a rapporté devant notre commission en 2010 une proposition de loi, déposée par notre collègue Hervé Maurey, relative aux contrats d'assurance sur la vie. Adopté par le Sénat le 29 avril 2010, ce texte prévoyait le renforcement de l'obligation de recherche du décès éventuel de l'assuré incombant aux assureurs, en lui conférant notamment un caractère annuel pour tous les assurés alors qu'elle était jusque-là dépourvue de toute périodicité, et la mise en place d'une publication annuelle par les assureurs de leurs démarches de recherche des assurés décédés et des bénéficiaires.

Aucune suite n'ayant été donnée par l'Assemblée nationale, les dispositions pertinentes de cette proposition de loi, telle que notre commission l'avait modifiée, ont été intégrées au projet de loi renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs, en décembre 2011. Las, la navette de ce projet de loi a été interrompue par l'achèvement de la législature précédente à l'Assemblée.

Il a fallu une dernière fois remettre l'ouvrage sur le métier pour que la position adoptée par notre commission puis par le Sénat lui-même à deux reprises puisse aboutir. C'est ainsi que j'ai fait adopter par le Sénat, en mars 2013, les dispositions que je viens de rappeler dans le cadre du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, dont j'étais rapporteur pour avis.

Notre persévérance n'a pas été vaine. L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, chargée du contrôle du secteur des banques et des assurances, vient de prononcer avant-hier un blâme assorti d'une sanction pécuniaire de dix millions d'euros à l'encontre de la compagnie d'assurances Cardif, filiale du groupe BNP Paribas, pour ne pas avoir respecté les obligations légales de recherche des assurés décédés et de revalorisation des sommes correspondantes. L'Autorité a notamment relevé une conservation indue de sommes qui auraient dû être versées aux bénéficiaires des contrats.

Je souhaitais faire cette introduction un peu longue pour rappeler que, même si la proposition de loi qui nous est transmise par l'Assemblée nationale veut renforcer l'efficacité du dispositif, nous étions déjà intervenus sur ce phénomène préoccupant des contrats non réclamés.

Selon les estimations reprises par notre collègue Dominique de Legge, les montants en jeu en 2009 variaient de 700 millions d'euros pour la Fédération française des sociétés d'assurance à 5 milliards d'euros pour certains cabinets spécialisés. L'enquête commandée à la Cour des comptes par la commission des finances de l'Assemblée nationale en 2013 évalue le phénomène à 2,76 milliards d'euros au minimum, sur la base de chiffres communiqués par les assureurs. La critique sous-jacente adressée aux assureurs consiste à leur reprocher de tirer profit des revenus financiers des contrats non réclamés, dont ils conservent les sommes et qu'ils n'ont donc pas intérêt à clôturer en retrouvant le bénéficiaire.

Il faut cependant reconnaître que, même si l'assureur est informé du décès de l'assuré, ce qui devrait être le cas aujourd'hui, il n'est pas toujours aisé de retrouver le bénéficiaire, a fortiori lorsque la clause bénéficiaire est rédigée, comme c'est trop souvent le cas, avec une formule du type « mon conjoint ou, à défaut, mes héritiers », sans plus de précisions sur l'identité exacte ou l'adresse des bénéficiaires.

Au sein de la proposition de loi de notre collègue Eckert relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d'assurance vie en déshérence, j'ai donc plus spécialement examiné les articles 4, 7 bis et 9, relatifs aux contrats d'assurance vie non réclamés. Je précise d'emblée que ce texte prévoit une entrée en vigueur le 1er janvier 2016, ce qui signifie que le dispositif que nous avons fait adopté dans la loi bancaire l'année dernière s'appliquera en l'état d'ici là.

L'article 4 prévoit d'abord que les frais de gestion du contrat prélevés après la date à laquelle l'assureur a connaissance du décès de l'assuré sont plafonnés dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Cet encadrement est pertinent dans son principe, à condition qu'il ne soit pas trop lâche...

L'article 4 apporte en outre quelques précisions rédactionnelles dans le code des assurances en complément de l'obligation annuelle de vérification du décès de l'assuré que nous avons prévue. Il prévoit aussi que chaque assureur publie annuellement un état des contrats non réglés, en complément du bilan annuel que nous avons prévu sur les démarches de recherche des assureurs, qui doit être établi par les organismes professionnels représentant les assureurs. Ce que nous avons fait n'a donc pas été remis en cause, au contraire.

L'article 4 prévoit également une généralisation de l'obligation d'information du contractant par l'assureur sur les caractéristiques et paramètres du contrat, alors qu'à présent cette obligation ne s'impose que pour les contrats dont la provision est supérieure à 2000 euros.

Enfin, pour limiter le phénomène supposé de rétention des contrats non réclamés par les assureurs et pour inciter ces derniers à rechercher les bénéficiaires, l'article 4 prévoit un transfert des sommes correspondantes à la Caisse des dépôts et consignations dans un délai de dix ans à compter de la date de prise de connaissance par l'assureur du décès de l'assuré ou de l'échéance du contrat. Si elles ne sont pas réclamées, ces sommes sont acquises à l'État après un délai supplémentaire de vingt ans. Actuellement, les sommes non réclamées au bout de la même période de trente ans sont reversées par les assureurs au Fonds de réserve des retraites : c'est ce qu'a prévu la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007. Je ne prononce pas sur l'opportunité de substituer l'État au Fonds de réserve des retraites en tant que bénéficiaire final, mais je relève que les bénéficiaires perdent la propriété de ces sommes au terme de la même durée.

L'article 7 bis comporte, quant à lui, une disposition permettant aux notaires en charge d'une succession d'obtenir de l'administration fiscale la communication des informations qu'elle détient dans le cadre du nouveau fichier des contrats d'assurance vie créé par la loi de finances rectificative pour 2013, qui doit être mis en place à compter du 1er janvier 2016, à condition d'avoir été expressément mandatés par le bénéficiaire potentiel d'un contrat d'assurance vie souscrit par le défunt. Cette disposition s'ajoute à la faculté, instaurée en 2005, qu'a toute personne de solliciter directement l'AGIRA pour être informée de l'éventuelle existence d'une stipulation en sa faveur dans un contrat d'assurance vie souscrit par une personne dont elle apporte la preuve du décès. Je ne suis donc pas convaincu de la réelle utilité de cette disposition prévue par la proposition de loi, sauf à ce que les notaires proposent une consultation systématiquement, au besoin via les deux dispositifs.

Enfin, l'article 9 procède à diverses coordinations. J'ajoute que l'article 12 bis prévoit un rapport annuel chiffré de la Caisse des dépôts et consignations sur les sommes non réclamées qui lui sont remises.

Pour conclure, mes chers collègues, je ne vois pas dans les articles que j'ai examinés matière à vous proposer de présenter des amendements de fond au nom de notre commission, car ce texte me paraît satisfaisant. Il ne remet pas en cause la logique des dispositions que nous avons déjà adoptées et se borne à les compléter sur certains aspects.

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