Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous entamons la discussion de ce qui sera certainement la grande loi du quinquennat, portant sur l’agriculture et sa modernisation.
Il nous faut donc saisir cette occasion – en gardant à l’esprit qu’elle sera peut-être la seule avant longtemps – pour mieux protéger la santé des agriculteurs et des riverains d’exploitations, les consommateurs et leur alimentation, l’environnement et la santé animale, des méfaits graves et avérés des pesticides.
En octobre 2012, la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement, dont j’ai demandé la création et dont j’ai été la rapporteur, rendait ses conclusions, approuvées sur ces travées à l’unanimité. Au terme de sept mois de travail et d’une centaine d’auditions, ce rapport dressait un tableau assez alarmant de la situation sanitaire liée aux pesticides en France.
Ce rapport, parmi ses constats majeurs, établissait que les dangers et les risques des pesticides pour la santé sont encore sous-évalués ; que le suivi des produits pesticides après leur mise sur le marché n’est qu’imparfaitement assuré au regard de leurs impacts sanitaires réels ; que les protections contre les pesticides ne sont pas à la hauteur des dangers et des risques qu’ils font peser sur leurs utilisateurs comme sur le reste de la population ; que les pratiques industrielles, agricoles et commerciales actuelles ne prennent pas suffisamment en compte la problématique de santé.
Dès lors, je me réjouis que le projet de loi prenne la mesure de ces constats graves, en retenant notamment, sur certains points, les recommandations de la mission d’information. Je veux remercier le ministre et son cabinet pour la disponibilité et l’écoute dont ils ont constamment fait preuve durant les mois de travail de la mission parlementaire comme par la suite.
Venons-en à ces mesures. Outil précieux pour la collecte des données de terrain, le dispositif de phyto-pharmacovigilance, dont la création a été recommandée par la mission, permettra de surveiller avec précision les effets en situation réelle des produits phytopharmaceutiques.
Complémentaire, la mise en place d’un suivi post-AMM, que réclamait également la mission commune d’information, permettra d’en finir avec une anomalie sanitaire, certains produits, une fois autorisés sur dossier, ne faisant l’objet d’aucun contrôle pendant des années.
Bien que ce principe soit imparfaitement consacré, le projet de loi a également le mérite d’affirmer que la vente de pesticides doit être accompagnée de conseils d’utilisation et de précaution délivrés par des professionnels formés.
Corrélativement à ces mesures d’encadrement et de réglementation, les dispositions destinées à favoriser l’essor des méthodes alternatives en encourageant le développement des produits de bio-contrôle ne sont pas oubliées dans le projet de loi.
Ce train de mesures, que je n’ai pas le temps d’examiner plus en détail, permettra d’engager un véritable basculement vers la lutte intégrée et la réduction de la consommation de produits phytosanitaires.
De manière plus générale, nous faisons, avec ce projet de loi, le pari de l’agroécologie : preuve que la prise en compte des problématiques de santé et d’environnement, loin de s’y opposer, est bien complémentaire du souci de moderniser l’agriculture de notre pays et d’apporter des solutions aux besoins économiques de nos agriculteurs.
Les sénateurs du groupe socialiste enrichiront le projet de loi en défendant plusieurs amendements portant sur des questions importantes. Je pense en particulier à la définition des sanctions en cas de fraude ou de trafic illégal de produits pesticides et à la possibilité d’introduire des distances de sécurité entre des habitations et les zones d’utilisation de produits phytosanitaires. Je pense aussi à la prise en compte des adjuvants dans les décisions d’AMM de l’ANSES et au renforcement des pouvoirs de contrôle et d’information du Parlement à l’égard de cette agence.
Concernant l’ANSES, j’espère bien que, au moment de la refonte de ses prérogatives, le ministre pourra nous donner des garanties sur les moyens qui lui seront accordés, en particulier sur la levée des plafonds d’emplois. Ce point est crucial et fondamental pour la réussite des missions que nous souhaitons lui confier.
Toutefois, je tiens à exprimer deux regrets.
En premier lieu, j’estime que la restriction de la publicité qui semble se dessiner à ce stade de la discussion est insuffisante. En effet, l’enjeu central d’une politique visant à réduire les risques liés aux pesticides reste celui de la diminution des volumes consommés, un résultat qu’on est aujourd’hui bien loin d’obtenir. Or ce changement de paradigme ne pourra pas se produire si nous continuons de laisser les pesticides être présentés aux agriculteurs comme des produits miracles.
En second lieu, je constate que le projet de loi comporte peu d’avancées en ce qui concerne le dépistage, la reconnaissance et la compensation des maladies professionnelles. Mes chers collègues, nous ne devons pas abandonner cet objectif fondamental : j’espère qu’il sera mieux pris en compte lors de la suite de l’examen du projet de loi, mais aussi dans les prochains textes relatifs à la santé.
Enfin, je profite de ma présence à la tribune pour exhorter le ministre à porter au niveau européen une voix de la France qui soit ambitieuse, comme il a su si bien le faire dans d’autres dossiers. Je pense en particulier à la stratégie sur les perturbateurs endocriniens, qui, en dépit des blocages de la Commission européenne, doit impérativement être relancée.
De même, il serait important de plaider pour la création d’un fonds de recherche public et indépendant dans le domaine de la santé ; ce fonds devrait être financé par les industriels et disposer de moyens suffisants pour réaliser des études d’envergure indépendantes sur les risques sanitaires et environnementaux insuffisamment documentés.