Intervention de Jean-Pierre Bel

Réunion du 15 avril 2014 à 14h30
Éloge funèbre de m. rené teulade sénateur de la corrèze

Photo de Jean-Pierre BelJean-Pierre Bel, président :

C’est avec émotion que je rends aujourd’hui hommage, au nom de l’ensemble des sénatrices et des sénateurs de la République, au parlementaire respecté et talentueux qu’il était et à l’ami que nous avons perdu.

René Teulade, victime d’un malaise cardiaque, a été brutalement emporté le 13 février dernier. Un hommage émouvant lui a été rendu, le 18 février suivant, en présence du Président de la République, devant plus d’un millier de personnes, dans sa chère ville d’Argentat, dont il aura été le premier magistrat durant vingt-cinq années.

Au milieu de ses proches et de ceux qui lui étaient chers, le Président de la République a prononcé l’éloge funèbre de notre collègue et exprimé notre profonde et commune tristesse. Cette cérémonie fut à l’image de notre ancien collègue, c'est-à-dire simple et digne. J’y conduisais la délégation sénatoriale.

Avant de représenter le Sénat à l’hommage national qui va être rendu à Dominique Baudis, un autre grand humaniste attaché à son terroir – terroir qui m’est cher –, il m’appartient aujourd’hui, en votre nom, de prolonger cet adieu en terre de Corrèze au Palais du Luxembourg, dans notre hémicycle, en présence de sa famille rassemblée dans nos tribunes.

René Teulade faisait partie de ces hommes dont les convictions guident les actes. Humaniste, il avait su donner à ce mot une réalité concrète, par son engagement déterminé, quotidien, pour faire avancer le progrès et la justice sociale tant sur le terrain, en Corrèze, que dans nos assemblées, à Paris. Il avait fait sien l’un des plus beaux combats, celui de la protection sociale : un combat pour le modèle fondé à la Libération, dont il faut rappeler que les objectifs étaient doubles.

Il s’agissait non seulement d’assurer à chacun et à chacune les moyens d’« une existence décente ou, à tout le moins, [d’]un minimum vital », pour reprendre les mots du fondateur de la sécurité sociale, Pierre Laroque, mais aussi, toujours selon les mots de Pierre Laroque, de « débarrasser les travailleurs de la hantise du lendemain, de cette hantise qui crée chez eux un constant complexe d’infériorité, qui arrête leurs possibilités d’expansion et la distinction injustifiable des classes entre les possédants qui sont sûrs d’eux-mêmes et de leur avenir et les non-possédants, constamment sous la menace de la misère ».

Comme les fondateurs de notre modèle social, René Teulade avait viscéralement en lui ce désir de changer la vie, en garantissant pour tous des « jours heureux ».

Quelques jours avant sa disparition, le 4 février dernier, René Teulade était encore à cette tribune pour défendre, avec toute l’éloquence et la force de conviction qui le caractérisaient, sa vision humaniste de l’économie et de la République.

C’était à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi visant à « reconquérir l’économie réelle » et à lutter contre la désindustrialisation de notre pays. Comme nombre de mes collègues, je crois, je me souviens de lui au cours de ce débat qui, pour lui, devait être le dernier. Sa fougue et sa ténacité étaient intactes. Ses mots résonnaient avec la force et la solennité que donne l’expérience.

Comment « rester muet et inactif devant le mur des inégalités érigé en plein milieu de notre République », lançait-il à ses collègues ? « Ne pas s’évertuer à essayer de le détruire, c’est insulter l’humanité ». Ses mots étaient toujours empreints d’une infatigable passion.

René Teulade avait rejoint les bancs de notre assemblée depuis septembre 2008, date à laquelle il fut élu sénateur de la Corrèze, après une longue carrière politique d’élu de proximité.

Né à Monceaux-sur-Dordogne dans ce département de la Corrèze qui lui était si cher, René savait ce que l’ancrage territorial voulait dire. Ce port d’attache le rendait heureux, l’engageait, l’obligeait. Orphelin dès l’âge de douze ans, il n’en comprit que mieux le sens de la transmission. Il devint instituteur, puis professeur des collèges et, enfin, principal du collège de son enfance.

Très tôt, René Teulade milite dans les syndicats enseignants, au Syndicat national des instituteurs et à la Fédération de l’éducation nationale, mais c’est dans le monde mutualiste qu’il s’investit avec passion. Il y consacre l’essentiel de son engagement et exerce les responsabilités les plus éminentes.

En 1974, il devint président de la Mutuelle de retraite des instituteurs et fonctionnaires de l’éducation nationale, devenue la Mutuelle de retraite de la fonction publique, fonction qu’il occupera jusqu’en 1992. René Teulade dirige aussi, de 1979 à 1992, l’importante Fédération nationale de la mutualité française, devenant en quelque sorte le garant de la protection sociale de quelque vingt-cinq millions de Français.

La mutualité était l’illustration quotidienne de son humanisme et de son dévouement pour ses concitoyens. « Pour moi, disait-il, la mutualité, c’est le symbole de la main tendue entre les hommes. » Ses compétences le conduisirent à siéger de 1980 à 1992 au Conseil économique et social, où il présida le groupe de la mutualité et la section des affaires sociales.

Le militantisme mutualiste et les solides convictions de René Teulade se sont rapidement conjugués avec un engagement politique. Il fut président du comité économique, social et culturel, instance de réflexion du parti socialiste, et, durant un quart de siècle, un élu local, puis national, estimé et influent. À Argentat, dont il était le maire depuis 1989, il consacra vingt-cinq années d’un engagement quotidien qui le rendait heureux et fier.

Il était enthousiaste, dynamique. Il avait l’esprit d’équipe du brillant demi de mêlée qu’il avait été dans son jeune âge. Comme il aimait le dire à ses proches, « tu es sur le terrain ce qui tu es dans la vie ». Beaucoup parmi vous, mes chers collègues, savent qu’il affectionnait aussi les « troisièmes mi-temps » passées avec ses administrés, avec ses amis. Beaucoup décrivaient aussi la « force tranquille » qui lui permettait d’aller toujours de l’avant et de surmonter les difficultés de la vie.

Trois ans après son accession à la mairie d’Argentat, René Teulade avait été élu, en mars 1992, conseiller général de la Corrèze. Il se consacra, là aussi avec enthousiasme, à ce mandat départemental, durant près de vingt ans. « Je suis un pur produit de l’élevage local », se plaisait-il à dire.

Il joua bien sûr un rôle majeur dans la victoire des idées qu’il défendait aux élections cantonales de mars 2008, à l’issue desquelles il devint premier vice-président du conseil général, aux côtés du président François Hollande.

Du 2 avril 1992 au 29 mars 1993, il assuma les lourdes fonctions de ministre des affaires sociales et de l’intégration dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy. Même dans cette période, il n’oublia pas son port d’attache. Il racontait d’ailleurs que, pendant ces mois passés au Gouvernement, il cultivait toutes les semaines son jardin, semant ses échalotes et ses poireaux.

Tout au long de cette année-là, il se battit avec ténacité pour faire adopter une loi sur la maîtrise médicalisée des dépenses de santé, qui constitue encore aujourd’hui une référence. Cette loi fondatrice a profondément modernisé la gestion de notre système d’assurance maladie.

Quelques années plus tard, après avoir été le suppléant du député François Hollande, René Teulade devint sénateur, le 25 septembre 2008, aux côtés de son amie Bernadette Bourzai, en ayant comme suppléante Patricia Bordas, qui aura la lourde tâche de lui succéder au Palais du Luxembourg.

Au Sénat, René Teulade rejoignit naturellement la commission des affaires sociales et se consacra plus particulièrement à la sécurité sociale et aux retraites. Faisant toujours preuve d’une grande hauteur de vue, il soulignait que le problème des retraites ne se limitait pas à un simple débat financier, mais constituait bien un véritable choix de société. Pour ses jeunes collègues de la commission, il était en quelque sorte la mémoire de notre histoire sociale.

Je me souviens aussi que René Teulade était un homme d’une grande culture, notamment historique, qu’il mettait au service de sa réflexion politique.

Le 4 février dernier encore, il nous donnait à réfléchir, en rappelant ses convictions à la tribune du Sénat en ces termes : « La France est une République indivisible, [mais] comment parler d’indivisibilité de la République quand les réalités vécues sur le territoire divergent autant ? Bien sûr, la France est administrativement et juridiquement indivisible, mais elle est socialement fracturée, en rupture, parfois même en détresse [...]. Le terme de “République” ne sert pas uniquement à décrire froidement un régime politique, la République est également une philosophie. La République est méritocratique ; elle résonne avec l’égalité des chances. […] La République, c’est aussi un caractère, un état d’esprit. La tolérance, la tempérance, le refus de l’excès sont constitutifs de ses vertus. » Ces mots si forts et si justes résonnent en chacun d’entre nous et doivent continuer, je le crois, à nous inspirer.

Mes chers amis, la personne et l’action de René Teulade furent tournées, pendant toute sa vie, vers une valeur essentielle : la solidarité. Il était une figure locale aimée, un parlementaire estimé, une personnalité attachante et un ami fidèle.

J’exprime en cet instant à Mme Bernadette Teulade, à leurs enfants Dominique et Marie-Paule et à tous leurs proches, aujourd’hui dans la douleur, les condoléances sincères et émues du Sénat de la République, ainsi que ma profonde tristesse personnelle.

René Teulade restera présent dans nos mémoires, et nous aurons à cœur de faire vivre les valeurs qui l’animaient, car ce sont celles de la République : la solidarité, l’altruisme, la foi indéfectible en l’intérêt général.

La parole est à Mme la secrétaire d'État.

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