Merci de me confirmer que mon contrat de rapporteur général n'est pas en déshérence ! Le 13 novembre dernier, Christian Eckert a déposé une proposition de loi relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d'assurance vie en déshérence, sur laquelle la procédure accélérée a été engagée par le Gouvernement. Ce texte s'appuyait sur les conclusions d'une enquête commandée à la Cour des comptes par la commission des finances de l'Assemblée nationale en application de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), et remise en juin 2013.
Adoptée par l'Assemblée nationale le 19 février dernier, cette proposition de loi sera discutée en séance publique au Sénat le 7 mai prochain. Celle d'Hervé Maurey, déposée le 28 novembre 2013, poursuit les mêmes objectifs et a puisé son inspiration à la même source - ce qui montre que cette question n'est pas un objet de clivages politiques.
Le sujet n'est pas nouveau et le législateur est déjà intervenu à plusieurs reprises. La loi d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'assurance de 2005, que Philippe Marini, alors rapporteur général, avait rapportée, consacrait l'obligation pour les assureurs d'aviser les bénéficiaires d'un contrat d'assurance vie à la mort de l'assuré, en mettant en oeuvre tous les moyens raisonnables pour les retrouver. À cette occasion avait également été créée l'Association pour la gestion des informations sur le risque en assurance (AGIRA) que tout particulier peut saisir afin qu'elle interroge en son nom l'ensemble des assureurs sur une éventuelle stipulation faite à son profit.
Ce dispositif a ensuite été renforcé par la loi du 17 décembre 2007, qui rendait possible la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés et garantissait les droits des assurés. Elle imposait aux assureurs de s'informer sur le décès éventuel de l'assuré couvert par un contrat d'assurance vie par l'intermédiaire de l'Agira. En 2009, une proposition de loi relative aux contrats d'assurance sur la vie a été déposée par Hervé Maurey. Adoptée par le Sénat le 29 avril 2010, elle prévoyait le renforcement de l'obligation de recherche incombant aux assureurs et une publication annuelle de leurs démarches. Ce texte n'a pas été examiné par l'Assemblée nationale.
Ces différentes initiatives n'ont toutefois pas réglé de manière définitive la question des comptes bancaires et contrats d'assurance vie en déshérence. Les montants en jeu restent considérables. Selon la Cour des comptes, l'encours des comptes inactifs serait au minimum de 1,5 milliard d'euros et celui des contrats d'assurance vie et de capitalisation, de 2,76 milliards d'euros. Mon estimation est plutôt de 5 milliards d'euros pour les seuls contrats d'assurance vie et de capitalisation. Les assureurs n'avaient évidemment aucun intérêt à rendre des sommes que personne ne leur réclamait. Beaucoup d'assureurs ont donc manqué d'enthousiasme pour s'acquitter de leurs obligations et le respect de ces dernières était peu contrôlé.
La part anormalement élevée de centenaires parmi les assurés sur la vie, dont certains battent tous les records de longévité, est un signe révélateur de ces dysfonctionnements. Le préjudice a été supporté par les bénéficiaires de contrats qui n'étaient pas informés des sommes leur revenant, mais aussi par les contribuables, la plupart des assureurs n'ayant pas appliqué une autre obligation légale, celle de la prescription trentenaire, qui prévoit le reversement des sommes non réclamées à l'État après trente ans.
Les banquiers ne se sont guère montrés plus enclins à appliquer les dispositions concernant les comptes en déshérence. Les sommes déposées volontairement à la Caisse des dépôts et consignations au bout de dix ans d'inactivité restent symboliques, celles versées au Trésor au titre de la prescription trentenaire également. Le fait qu'elles constituent des ressources stables au bilan des banques et donnent lieu à la perception de frais, parfois jusqu'à épuisement du compte, n'y est sans doute pas étranger.
À la suite des contrôles engagés par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), des sanctions devraient être prononcées contre les assureurs. Elles ne sont pas négligeables : il y a quelques jours, un blâme assorti d'une sanction de dix millions d'euros a été prononcé à l'encontre de la compagnie d'assurances Cardif, filiale de BNP Paribas, pour méconnaissance de ses obligations légales de recherche des assurés décédés et de revalorisation des sommes correspondantes. Je souhaite que ces contrôles se poursuivent et que les sanctions soient à la fois publiques et conséquentes, car les montants indûment perçus par les assureurs sont considérables. Ce point sera sans doute examiné par notre président dans le cadre de la mission d'information sur les pouvoirs de sanction des régulateurs financiers, qu'il conduit conjointement avec la commission d'application des lois.
Ces manquements justifient à eux seuls de modifier le droit positif. Le texte transmis par l'Assemblée nationale se concentre cependant sur l'avenir, c'est-à-dire sur le stock existant et les contrats futurs concernés par cette question de la déshérence. Il franchit une étape décisive par rapport aux initiatives antérieures car il encadre de manière précise les différentes étapes conduisant, après trente ans et en l'absence de manifestation de tout ayant-droit en dépit des informations et des recherches mises en oeuvre, à la prescription des sommes au profit de l'Etat.
La proposition de loi de notre collègue Hervé Maurey est moins complète mais les dispositions qu'elle comporte sont presque parfaitement concordantes avec celles de la proposition de loi déposée par Christian Eckert. En effet, elles partagent une source d'inspiration commune : les recommandations de la Cour des comptes.
Pour ma part, je souscris à l'ensemble des dispositions proposées par les propositions de loi, moyennant quelques aménagements. J'ai cependant souhaité élargir le champ du dispositif à divers types d'avoirs ou contrats d'assurance sur la vie qui n'étaient pas pris en compte.
Pour cela, je vous propose d'établir le texte qui sera discuté en séance publique sur la proposition de loi la plus complète, c'est-à-dire celle déjà adoptée par l'Assemblée nationale. Il faut toutefois souligner que la proposition de loi de notre collègue Hervé Maurey sera, de ce fait, satisfaite pour l'essentiel, mais peut-être notre collègue déposera-t-il des amendements en séance.
Je vais donc vous présenter les grandes lignes de la proposition de loi transmise par l'Assemblée nationale avant de vous indiquer les principaux points sur lesquels je vous proposerai ensuite d'adopter des amendements - je précise que sur les 45 amendements que je vous soumettrai tout à l'heure, seule une minorité concerne des questions de fond.
L'article 1er définit le compte inactif et le régime auquel il doit être soumis. Un compte peut d'abord être déclaré inactif parce que son titulaire est mort : si aucun ayant droit ne s'est manifesté au bout de deux ans à compter de la date du décès, les sommes sont alors déposées à la Caisse des dépôts et consignations. Un compte peut également être déclaré inactif s'il n'a pas enregistré d'opération depuis un an et que son titulaire ne s'est pas manifesté : le transfert à la Caisse des dépôts et consignations intervient alors au bout de dix ans d'inactivité. Durant cette période, les établissements sont tenus de vérifier tous les ans que le titulaire du compte inactif n'est pas mort, au moyen du répertoire national d'identification des personnes physiques (RNIPP). Le dépôt n'intervient qu'après que la banque a cherché à prévenir le titulaire à différentes occasions définies par le texte, qui crée à cet égard des obligations très précises.
Dans tous les cas, les sommes déposées auprès de la Caisse des dépôts et consignations sont acquises à l'État à l'issue d'un délai de trente ans à partir du décès du titulaire ou de la dernière opération enregistrée sur le compte. L'Assemblée nationale a précisé que la définition des comptes inactifs devait tenir compte d'une approche « client », c'est-à-dire qu'un compte ne peut être inactif si son titulaire possède un autre compte actif dans le même établissement. Elle a également étendu le dispositif à l'épargne salariale et allongé à cinq ans le délai nécessaire, à compter de la dernière opération, pour constater l'inactivité d'un compte d'épargne.
Je ne vous proposerai sur cet article que deux modifications de fond. Je souhaite d'une part que soient précisées les conditions de liquidation, au terme du délai de dix ans, des titres déposés sur des comptes inactifs. Le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoit que les titres non cotés ne sont pas liquidés ni déposés à la Caisse des dépôts et consignations, je souhaite retenir un critère de liquidité afin d'étendre l'application du dispositif. Je souhaite d'autre part régler la délicate question des coffres forts en déshérence, en prévoyant des obligations de recherche et d'information des titulaires, ainsi que l'ouverture des coffres et la vente des biens déposés à l'issue d'une période de vingt ans à compter du premier impayé de loyer et de trente ans à compter de la dernière manifestation du titulaire.
Les articles 4 et 5 portent sur les contrats d'assurance sur la vie et les bons ou contrats de capitalisation, mais l'un concerne les organismes d'assurance relevant du code des assurances et l'autre les mutuelles et unions relevant du code de la mutualité. Ils renforcent les obligations d'information à la charge des assureurs et instaurent un taux minimal de revalorisation post mortem du capital garanti en cas de décès, afin d'inciter les assureurs à retrouver les bénéficiaires des contrats.
Ces articles prévoient le versement à la Caisse des dépôts et consignations des sommes dues par un assureur mais non réclamées dans un délai de dix ans, puis leur acquisition à l'État au terme d'un délai complémentaire de vingt ans. La Caisse des dépôts et consignations assurerait durant cette période la publicité sur Internet de l'identité des souscripteurs des contrats en déshérence.
Je vous propose d'étendre aux contrats d'assurance sur la vie ne comportant pas de valeur de rachat - par exemple les assurances décès - l'obligation de revalorisation post mortem du capital garanti ; d'inclure ensuite ces contrats ainsi que les bons ou contrats de capitalisation au porteur dans le champ du dispositif de dépôt à la Caisse des dépôts et consignations ; enfin, de faire bénéficier l'ensemble des contrats d'assurance sur la vie, y compris en cours et non seulement ceux qui seront signés dans le futur, du taux minimum de revalorisation introduit par la proposition de loi.
L'article 7 bis oblige le notaire chargé de la succession à consulter systématiquement le fichier des comptes bancaires (Ficoba) afin d'identifier l'ensemble des comptes souscrits par le défunt. Il lui permet également d'interroger le futur fichier des contrats d'assurance sur la vie (Ficovie), sur mandat d'un bénéficiaire éventuel ou pour identifier les contrats de capitalisation souscrits par le défunt. Je vous propose de renforcer les moyens de recherche et d'information des assureurs, en leur offrant d'une part la possibilité d'obtenir de l'administration fiscale les coordonnées d'une personne physique lorsque celle-ci est le bénéficiaire d'un contrat d'assurance sur la vie dont l'assuré est décédé ; et d'autre part, la possibilité de se faire communiquer par le notaire chargé de la succession les informations relatives à la dévolution successorale quand les ayants droit sont les bénéficiaires d'un contrat qui assurait le défunt sur la vie.