Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Commission des affaires sociales — Réunion du 16 avril 2014 : 1ère réunion
Développement encadrement des stages et amélioration du statut des stagiaires -examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy, rapporteur :

En février 2007, je rapportais devant notre commission la proposition de loi visant à organiser le recours aux stages, que j'avais déposée en mai 2006 avec mes collègues du groupe socialiste. Elle fut rejetée, mais après un long débat qui avait soulevé bien des interrogations. La problématique de l'encadrement des stages était alors nouvelle et liée à la prise de conscience de la nécessité de définir un statut du stagiaire pour mettre un terme aux abus dont les médias se faisaient alors l'écho.

Le collectif « Génération précaire », qui s'est fait connaître par ses actions coup de poing contre les structures ayant un recours manifestement abusif aux stagiaires et par son engagement contre leur précarité, est ainsi né en septembre 2005, suivi d'autres structures associatives. C'est ensuite en mars 2006, dans la loi pour l'égalité des chances, que les premières règles furent posées, avec en particulier l'obligation de gratification des stages de plus de trois mois.

La reconnaissance de ce phénomène donna lieu à une succession de mesures législatives et réglementaires dont la sédimentation, au fil des années, a conféré des droits nouveaux aux stagiaires mais créé de la confusion parmi les acteurs concernés. Comme un stage est toujours inscrit dans un cursus scolaire ou universitaire, il est construit autour d'une relation tripartite entre le stagiaire, l'établissement d'enseignement et la structure d'accueil, qui est formalisée par la convention de stage. Au moins dix textes ayant apporté des modifications au régime juridique des stages entre 2006 et 2013, il n'est pas étonnant que le droit en vigueur soit parfois difficile à appréhender.

L'un des objets de cette proposition de loi, déposée à l'assemblée nationale le 14 janvier dernier par la députée Chaynesse Khirouni, est de rassembler ces dispositions dans une partie dédiée du code de l'éducation pour améliorer leur intelligibilité. Elle ne remet aucunement en cause l'avancée majeure qu'a constitué l'accord national interprofessionnel (ANI) du 7 juin 2011 sur l'accès des jeunes aux formations en alternance et aux stages en entreprise, signé par les partenaires sociaux à l'unanimité. La loi dite « Cherpion » du 28 juillet 2011 en a réalisé la transposition législative, confirmant notamment le principe d'une durée maximale de six mois par stage.

La loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche (ESR) a pour la première fois défini le stage comme une « période temporaire de mise en situation en milieu professionnel au cours de laquelle l'étudiant acquiert des compétences professionnelles qui mettent en oeuvre les acquis de sa formation en vue de l'obtention d'un diplôme ou d'une certification ». Elle a également étendu l'obligation de gratification, abaissée en 2009 aux stages de plus de deux mois, à tous les employeurs publics, collectivités territoriales comprises.

Cette proposition de loi poursuit le travail engagé l'an dernier par la loi ESR et concrétise l'engagement de campagne n° 39 du Président de la République. Elle est le reflet de l'évolution des stages depuis le milieu des années 2000, conséquence de la réforme de l'enseignement supérieur et de la professionnalisation croissante des enseignements.

En 2007, lorsque j'ai présenté ma proposition de loi, le nombre de stagiaires était évalué à 600 000. En 2012, le Conseil économique, social et environnemental donnait le chiffre de 1,6 million. La précision de ces estimations n'est pas absolue, car la multiplicité des situations dans lesquelles les stages peuvent être réalisés rend leur recensement très complexe. Elles mettent néanmoins en lumière un phénomène indéniable : la très forte croissance du nombre de stagiaires. Celle-ci appelle une réponse législative globale, qui mette en place un cadre juridique stable pour encadrer les stages et permettre que leur développement se poursuive au bénéfice des jeunes comme des entreprises et sans se faire au détriment de l'emploi salarié.

Ce texte comporte sept articles. L'article 1er établit un régime juridique unique pour les périodes de formation en milieu professionnel (PFMP) des élèves de la voie professionnelle de l'enseignement secondaire et les stages de l'enseignement supérieur. Il évite tout amalgame entre le stagiaire, dont les missions sont définies en fonction d'un projet pédagogique, et le salarié.

Pour la première fois, les missions de l'établissement d'enseignement envers le stagiaire sont clairement énoncées, avec un rôle d'appui et d'accompagnement du jeune dans la recherche du stage puis de définition, dans la convention, de ses objectifs et des compétences à acquérir. Cette responsabilisation des établissements est indispensable et constitue le corollaire de la réaffirmation du caractère pédagogique du stage. Actuellement, sauf exception, l'implication des établissements d'enseignement supérieur dans ce processus se limite bien souvent à la signature d'une convention-type, sans autre forme de suivi. Ce n'est pas le cas dans le secondaire, où les lycées professionnels travaillent en parfaite collaboration avec les entreprises de leur bassin économique et leurs élèves pour garantir la cohérence des périodes en milieu professionnel.

En complément, il est proposé de rendre obligatoire la désignation, pour chaque stage, d'un enseignant référent pour en assurer l'encadrement pédagogique et être à même de jouer le rôle de médiateur en cas de difficultés entre le stagiaire et son organisme d'accueil. Sur ce point, plusieurs questions se posent, comme le nombre d'élèves qu'un enseignant pourra suivre et le contenu précis de cette tâche nouvelle. Il appartient au pouvoir réglementaire de répondre à ces questions, mais il semble nécessaire de faire des distinctions selon les niveaux d'étude et de mettre à profit tous les moyens de communication électroniques.

Le texte confirme par ailleurs l'obligation, pour un stage, d'être accompagné d'un volume pédagogique minimal de formation en établissement durant l'année scolaire, avant ou après sa réalisation. Il s'agit de lutter contre les officines qui disposent à peine d'une boîte aux lettres mais vendent des conventions de stage à des étudiants sans fournir la moindre formation.

Cette proposition de loi marque également l'extinction des dérogations à la durée maximale de six mois pour un stage. Pendant une durée de deux ans, certaines formations conduisant à des diplômes d'Etat dans le domaine médico-social continueront à en bénéficier, afin de leur laisser le temps de faire évoluer leur maquette pédagogique. Les exceptions à cette règle devaient être limitées, en application de la loi « Cherpion », par un décret. Elles ont finalement été très nombreuses, le décret en question n'ayant jamais été pris. Aujourd'hui, la loi reprend le dessus car il est difficile de concevoir les apports pédagogiques d'un stage de huit mois par rapport à un stage de six mois. En revanche, il est très facile d'imaginer comment un stage d'un an peut permettre d'éviter d'embaucher un salarié.

Les règles en matière de gratification restent les mêmes, c'est-à-dire qu'elle est obligatoire pour tout stage de plus de deux mois, et ce dès le premier jour du premier mois et non à compter du troisième mois. De même, les cas d'interdiction de conclure une convention de stage ne sont pas modifiés. Un stagiaire ne peut donc être recruté pour exécuter des tâches correspondant à un poste de travail permanent de l'entreprise, pour faire face à un accroissement temporaire d'activité, pour un emploi saisonnier ou pour remplacer un salarié absent.

Un nombre maximal de stagiaires par entreprise va être institué par décret. C'est un signal fort envoyé à la jeunesse ainsi qu'aux secteurs d'activité qui ont abusivement recours aux stagiaires. Certains regretteront ce renvoi au pouvoir réglementaire, requis par la souplesse nécessaire à l'application de cette mesure. La ministre précisera sans doute les intentions du Gouvernement en séance, mais il semble évident qu'il faudra traiter les plus petites entreprises différemment des grands groupes, et prendre en compte la situation spécifique des start-up. Cela n'enlève rien à la pertinence de cette mesure : est-il vraiment acceptable qu'une entreprise puisse avoir autant de stagiaires que de salariés ou que certaines entreprises du Cac 40 comptent près de 30 % de stagiaires ?

Sur le modèle de ce qui se pratique déjà couramment pour les périodes de formation en milieu professionnel des élèves des lycées professionnels, la désignation d'un tuteur au sein de l'entreprise est rendue obligatoire. Avec la généralisation de cette fonction, qui pourra être précisée et valorisée par accord d'entreprise, il s'agit de responsabiliser l'entreprise et de garantir la transmission des savoirs et des compétences et le respect de la convention de stage. Il n'est pas question qu'un même salarié puisse être le tuteur d'un nombre trop important de stagiaires : un décret fixera un nombre maximal qui s'inspirera sans doute du droit en vigueur pour l'apprentissage.

La seconde partie de ce long article 1er porte sur les droits du stagiaire dans son organisme d'accueil. Il est tout d'abord rappelé qu'il est, dans les mêmes conditions que le salarié, protégé contre les discriminations et le harcèlement sexuel ou moral. La proposition de loi lui accorde le droit à un congé de maternité, de paternité ou d'adoption, permettant de reporter le cas échéant le terme du stage. Surtout, ce texte reconnaît pour la première fois aux stagiaires de plus de deux mois un droit à congés, qui devra figurer dans la convention de stage. Il leur fait également bénéficier, sur un pied d'égalité avec les salariés, de titres-restaurant et de la prise en charge des frais de transport.

Des règles claires relatives aux conditions de travail des stagiaires, et en particulier à la durée de travail qui leur est applicable, sont pour la première fois inscrites dans la loi. Elles suivent, en matière de présence de nuit, de repos et de temps de travail, celles applicables aux salariés de l'organisme d'accueil et, ce qui peut sembler évident, ne pourront pas les dépasser.

Il est vain de fixer un cadre juridique construit autour de plusieurs obligations s'il ne s'accompagne d'aucun mécanisme de contrôle. C'est pourquoi ce texte confie à l'inspection du travail la mission de lutter contre les abus et de s'assurer du respect des dispositions relatives au nombre maximal de stagiaires par entreprise et aux conditions de travail. En cas de manquement, les entreprises en infraction seront passibles d'une amende administrative qui pourra atteindre 2 000 euros par stagiaire concerné ou 4 000 en cas de récidive. L'Assemblée nationale a utilement complété cet article en reprenant une mesure, qui figurait dans la proposition de loi que je vous avais présentée en 2007, concernant le contentieux de la requalification d'un stage en contrat de travail. Saisi d'une telle demande, le bureau de jugement du conseil de prud'hommes devra statuer au fond dans un délai d'un mois. Le passage préalable devant le bureau de conciliation est supprimé, comme c'est le cas pour la requalification d'un CDD en CDI.

L'article 2 de la proposition de loi prévoit que les stagiaires seront désormais mentionnés dans une partie spécifique du registre unique du personnel, alors qu'ils figuraient jusqu'à présent dans un registre distinct. Sans que cela n'ait d'influence sur la comptabilisation des effectifs de l'entreprise, cette mesure a une portée symbolique forte aux yeux des organisations étudiantes. Elle permettra aussi aux institutions représentatives du personnel (IRP) de disposer d'informations supplémentaires sur l'accueil de stagiaires par l'entreprise. L'article 5 prévoit l'information de l'établissement d'enseignement, du stagiaire et des IRP par l'inspection du travail lorsqu'elle constate un manquement à la réglementation. L'article 6 exonère de l'impôt sur le revenu la gratification versée aux stagiaires, dans la limite du Smic, comme c'est déjà le cas pour la rémunération perçue par les apprentis.

Aujourd'hui, la moindre recherche sur Internet donne accès à des sites vendant des conventions de stage. Face à de telles escroqueries, nous ne pouvons rester inactifs. De même, dans certains secteurs, le recours abusif aux stages, outre qu'il les détourne de leur finalité pédagogique, dessert les entreprises vertueuses en les soumettant à une concurrence par les coûts faussée. Il n'en reste pas moins que l'expérience pédagogique et professionnelle que constitue un stage est un atout pour pénétrer sur le marché du travail.

Cette proposition de loi recentre les stages sur leur principe fondamental, celui d'un outil de formation ancré dans un cursus dont il est une composante à part entière. Je ne crois pas que l'adoption de ce texte aboutira à un tarissement de l'offre de stages. Au contraire, c'est bien le phénomène inverse qui a été observé depuis 2006 et a accompagné la construction progressive du statut de stagiaire. A l'heure où certains se demandent s'il n'y a pas trop de stages, il faut surtout se donner les moyens de garantir des stages de qualité. Cette proposition de loi constitue un réel progrès en la matière en impliquant les établissements d'enseignement dès la définition du projet de stage.

Le Président de la République déclarait récemment que le pacte de responsabilité allait être accompagné d'un pacte de solidarité. Cette initiative parlementaire correspond parfaitement à l'esprit de cette annonce. La précarité est le lot commun de la très grande majorité des stagiaires. Le témoignage récent d'une jeune femme, qui a eu une large couverture médiatique, sur cette génération d'« affamés » qui n'a connu que la crise économique et enchaîne les stages faute de perspectives d'embauche confirme ce diagnostic.

Sept ans après vous avoir présenté ma proposition de loi, je regrette que les termes du débat aient si peu évolué mais je suis heureux que, par ce texte, notre société prenne enfin ses responsabilités envers tous ces jeunes en garantissant l'effectivité de leurs droits. A d'autres, entreprises ou établissements d'enseignement, de prendre les leurs !

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