L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi n° 301, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à permettre le don de jours de repos à un parent d'enfant gravement malade.
Cette proposition de loi déposée par M. Paul Salen, adoptée par l'assemblée nationale le 25 janvier 2012 et transmise au Sénat, a été précédée par plusieurs textes aidant salariés et fonctionnaires à concilier les événements les plus tragiques de l'existence avec leur vie professionnelle.
Le don de jours de repos, autorisé dans le cadre d'un accord collectif dans les entreprises du secteur privé, n'est pas prévu dans le secteur public. Les employeurs publics locaux qui ont mis en place des mécanismes de ce type pour faire face à des situations individuelles l'ont fait sur un fondement légal incertain. Il existe sur ce point une véritable aspiration à la solidarité, qui doit être soutenue par le législateur. Le groupe UMP a inscrit ce texte dans son espace réservé pour que la loi consacre, tout en prévoyant certaines garanties fondamentales, la possibilité du don de jours de repos à un parent d'enfant gravement malade, notamment pour que les agents de la fonction publique en bénéficient.
De nombreuses entreprises, comme le groupe Casino, le groupe PSA, les assureurs April, Merial, la MSA Picardie ou l'association pour l'emploi des cadres, ont mis en place par accord au cours des deux dernières années des mécanismes de don de jours de repos pour aider un salarié à accompagner un enfant malade. Dans plusieurs cas - par exemple au sein du groupe PSA - les négociations ont été engagées à la demande de salariés désireux de venir en aide à l'un de leurs collègues.
La possibilité pour les salariés et les fonctionnaires d'exprimer ainsi leur solidarité suscite en effet une véritable attente et la presse a relaté des cas où le don de jours de RTT fut rendu impossible par l'absence de dispositions légales. La question des enjeux financiers liés à la maladie d'un enfant et l'intérêt du don de jours de RTT ont même fait l'objet d'un roman de Brigitte Giraud, adapté sous forme d'un téléfilm qui fut diffusé le 9 avril dernier sur France 2. Un encart précisait à la fin que l'assemblée nationale a voté une proposition de loi légalisant le don de jours de congé par des collègues mais que celle-ci n'avait « toujours pas été validée (sic) par le Sénat ». Une pétition soutenant l'adoption de cette proposition de loi a été ouverte sur Internet le 24 février dernier et a recueilli déjà plus de 19 000 signatures.
Il existe déjà en droit du travail différents dispositifs permettant de prendre soin d'un enfant malade. Les absences pour enfant malade prévues l'article L. 1225-61 du code du travail sont plafonnées à trois jours par an, ou à cinq jours si l'enfant concerné a moins d'un an ou si le salarié assume la charge d'au moins trois enfants de moins de 16 ans. Les conventions collectives applicables peuvent prévoir des conditions de durée et de rémunération plus favorables au salarié. Pour les enfants à charge atteints d'une maladie particulièrement grave, le passage à temps partiel est de droit.
Enfin, un mécanisme spécifique a été mis en place par l'article L. 1225-62 du code du travail pour ces cas graves, nécessitant une présence soutenue : le congé de présence parentale. Son bénéfice a été étendu aux fonctionnaires par la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, et il fut complété depuis par plusieurs textes, dont la loi du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit. Il permet à tout salarié d'interrompre son activité, sans condition d'ancienneté, si l'enfant à charge au sens des prestations familiales est atteint d'une maladie, d'un handicap ou victime d'un accident d'une particulière gravité rendant indispensables une présence soutenue à ses côtés et des soins contraignants.
Le nombre maximal de jours de congés dont peut bénéficier le salarié au titre du congé de présence parentale est de 310 jours ouvrés, soit 14 mois, dans une période dont la durée est fixée, pour un même enfant et par maladie, accident ou handicap, à 3 ans. Aucun de ces jours ne peut être fractionné. Le congé de présence parentale fonctionne ainsi comme un « compte crédit jours » de 310 jours ouvrés, que le salarié peut utiliser en fonction des besoins de son enfant malade, handicapé ou accidenté. Au-delà de cette période de 3 ans, le salarié peut à nouveau bénéficier d'un congé de présence parentale en cas de rechute ou de récidive de la pathologie de l'enfant au titre de laquelle un premier congé a été accordé.
A l'issue du congé de présence parentale, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente. Le congé peut être écourté, dans des conditions prévues à l'article L. 1225-52 du code du travail, en cas de diminution importante des ressources du ménage ou, tragiquement, de décès de l'enfant. Dans ces cas également, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente.
Le cadre juridique actuel permet donc aux parents de faire face aux cas les plus graves. Il est cependant contraignant pour les familles concernées, ce qui a incité plusieurs salariés ou employés de la fonction publique, informés de la situation d'un parent, à vouloir lui venir en aide par le don de jours de RTT.
Les différents congés prévus actuellement par la législation ne sont en effet pas rémunérés, sauf accord collectif pour les salariés du secteur privé. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 a créé une allocation journalière de présence parentale (AJPP) servie par les caisses d'allocations familiales pour les parents qui réduisent leur activité professionnelle pendant plus de quatre mois. Le montant de cette allocation est plafonné à un peu plus de 945 euros par mois pour un couple et soumise à un plafond de revenus.
Les jours non travaillés et rémunérés dans le cadre des accords de réduction du temps de travail antérieurs à la loi du 20 août 2008 sont un moyen de permettre l'absence d'une personne sans perte financière. C'est un choix généreux et logique de la part des collègues d'un parent de vouloir mettre à sa disposition une partie des jours dont ils disposent au-delà des quatre semaines légales de congés payés.
Seules de grandes entreprises ont actuellement mis en place des systèmes de don de jours de RTT, le plus souvent suite à la demande de salariés. Ce sont les entreprises où la négociation professionnelle est la plus active. Les salariés des autres entreprises ne disposent d'aucun moyen de faire don des jours de repos dont ils disposent.
Surtout, un tel dispositif ne peut être mis en place, à l'heure actuelle, dans la fonction publique, sauf à sortir de la légalité. Or les cas douloureux qui ont suscité l'attention des médias montrent que cette solution répond concrètement aux besoins des familles et l'aspiration des collègues de l'un des parents sont réels. Ils appellent donc une réponse urgente.
La proposition de loi soumise à notre examen ne se substitue pas aux accords déjà passés au sein des entreprises pour permettre le don de jours de repos. Elle étend simplement cette possibilité à l'ensemble des salariés, sous réserve de l'accord de l'employeur, ainsi qu'à la fonction publique, selon des modalités définies par décret. Elle offre un cadre et des garanties minimales, qui seront susceptibles de précisions ultérieures si la mise en oeuvre du dispositif l'impose.
Les modalités du don et les motifs pour lesquels il peut intervenir sont encadrés par la proposition de loi. L'article 1er ouvre à tout salarié la possibilité de faire don de jours de repos dont il dispose à un de ses collègues en charge d'un enfant gravement malade. Conformément aux dispositions du code du travail, ce don ne peut porter que sur les jours disponibles au-delà de quatre semaines de congés payés. Il ne peut donc porter sur les jours correspondant à la cinquième semaine de congés payés et aux jours compensateurs accordés à certains salariés qui travaillent au-delà de trente-cinq heures hebdomadaires. Il ne peut se faire qu'à partir d'une démarche individuelle et volontaire, soumise à l'accord du chef d'entreprise en raison de l'impact du transfert des jours de congés sur l'organisation du travail.
Le don se fait pour un collègue déterminé. Il n'est pas possible de faire un don général susceptible de bénéficier à tout collègue se trouvant dans la situation prévue par le texte. Néanmoins, conformément aux règles générales en matière de don en droit français, celui-ci doit être anonyme et gratuit, c'est-à-dire sans contrepartie. L'anonymat du don sera néanmoins quelque peu relativisé par la taille de la structure : garanti dans une grande entreprise, il se trouvera nécessairement amoindri dans une PME. L'anonymat et la gratuité protègent le donateur et le donataire, et il conviendra que l'employeur veille à ce que le don volontaire ne devienne pas une obligation imposée à certains salariés ou que le salarié qui reçoit les jours ne se trouve l'obligé de ses collègues donateurs.
Le don de jours de repos augmentera le nombre de jours disponibles pour un salarié en charge d'un enfant gravement malade. Celui-ci disposera de temps pour être présent auprès de son enfant sans diminution de salaire ou de droits à retraite. Par ailleurs, dans les entreprises où un compte épargne-temps a été mis en place, les jours de repos donnés y seront affectés et pourront faire l'objet d'une conversion en argent ou être utilisés pour un départ anticipé à la retraite.
Le mécanisme proposé sera rendu applicable à la fonction publique en application de l'article 2 de la proposition de loi qui renvoie à un décret.
La réalité de la situation dans laquelle se trouve une personne du fait de la particulière gravité de la maladie, du handicap ou de l'accident dont a été victime un de ses enfants est attestée par un certificat médical détaillé. La proposition de loi ne précise pas qui doit être destinataire de ce certificat mais il semble logique que ce soit l'employeur, qui devra autoriser les dons de jours de repos.
La proposition de loi déposée par M. Paul Salen et adoptée par l'Assemblée nationale pose le principe et les principales modalités du don de jours de repos. C'est au sein des entreprises que se négociera une partie des modalités pratiques. Les dispositions réglementaires fixeront le détail de l'organisation pour la fonction publique.
Deux types de compléments pourraient être apportés au texte proposé. Il s'agirait d'étendre le bénéfice du don de jours de repos d'une part à l'ensemble des parents ayant à prendre soin d'un enfant à charge, au lieu de le limiter à ceux dont les enfants ont moins de vingt ans, et d'autre part aux personnes ayant à s'occuper d'un conjoint, voire d'un parent, atteint d'une pathologie grave. Quant aux cas résultant des soins nécessités par une personne âgée, ils semblent devoir se multiplier, or un dispositif comme celui proposé par le texte est plutôt adapté à la prise en charge de situations exceptionnelles. Pour ne pas retarder encore l'adoption de ce texte, il m'apparaît que ce n'est que dans un deuxième temps, après la mise en place du système tel qu'il figure dans la proposition de loi, que ces compléments pourront être envisagés. Je vous invite donc à adopter ce texte sans modification.
Nous ne voterons pas cette proposition de loi. Nous comprenons la douleur des familles qui doivent s'occuper d'enfants gravement malades, nous saluons la générosité manifestée par certains salariés, mais un dispositif existe déjà pour faire face à ces situations, le congé de présence parentale, dont le rapport rappelle les caractéristiques. Ouvert sans condition d'ancienneté à tous les salariés, demandeurs d'emplois indemnisés, travailleurs non salariés ou agents publics, il concerne les parents d'enfants malades, accidentés, handicapés et ouvre un congé allant jusqu'à 310 jours ouvrés renouvelables sur la base d'un certificat médical. Il est insuffisant : c'est à son amélioration qu'il faut nous consacrer. L'indemnisation de 945 euros qu'il propose est inférieure au seuil de pauvreté et il est soumis à plafond de revenus dans le couple. Environ 1 500 familles sont concernées. La solidarité nationale a donc les moyens d'améliorer ce dispositif.
La proposition de loi qui nous est présentée risque d'aboutir à un traitement inégal entre salariés puisqu'elle laisse les entreprises décider des modalités pratiques d'application. Les donateurs conserveront-ils les droits à congés payés, indemnisation chômage et retraite attachés aux jours donnés ? Ces jours seront-ils imposables ? Le système repose sur le volontariat, mais un salarié peut faire l'objet de pressions morales visant à le culpabiliser. Cette proposition de loi est donc dangereuse, d'autant que les salariés, vu l'intensification des rythmes de production, ont besoin de la totalité de leurs congés. Le dispositif, s'il est voté, risque d'être ensuite étendu aux conjoints, aux ascendants... En fait, c'est à la solidarité nationale qu'il incombe de prendre en charge ces problèmes.
Ce texte est généreux, malgré ses insuffisances qui suscitent des interrogations, bien formulées par M. Watrin. Pourquoi interdire de donner des jours compris dans les quatre premières semaines de congés ? Les situations où la présence du salarié dans sa famille est importante ne se limitent pas aux maladies d'enfants. Pourquoi ne pas aller plus loin ? Les soins aux personnes âgées, par exemple, devront faire l'objet de dispositions de ce type. Nous nous abstiendrons sur ce texte, faute de précisions. Il est toujours délicat de légiférer sur des dons, mais il n'est pas superflu d'apporter davantage d'humanité dans les relations de travail.
Nous voterons ce texte, qui est équilibré. Il faut faire confiance aux acteurs économiques : je ne peux croire un instant qu'un patron incite un employé à offrir un jour de congé ! Il ne s'agit que de 1 500 cas, et toutes les familles ne demanderont pas à bénéficier du dispositif. Où est l'humanité dans vos propos, monsieur Watrin ? Il s'agit de situations où un enfant est à l'hôpital et où, si chacun donne un jour de congé, ses parents pourront rester davantage auprès de lui. Ce n'est pas une question d'argent, mais de solidarité humaine.
Merci pour ce rapport. La France doit conduire une politique de développement des soins à la personne, qui est un gisement d'emploi. Plusieurs projets de loi sont en préparation sur ce thème. Nous parlons aujourd'hui de situations exceptionnelles et douloureuses ; une loi encadrant des actes spontanés de solidarité est bienvenue. Certains syndicats demandent toutefois pourquoi cette possibilité de don ne serait pas ouverte aussi aux employeurs. Il importe aussi de fixer des bornes au nombre de jours qu'un salarié peut céder. Nous ne voterons pas contre cette proposition de loi, et préciserons notre position au cours des débats en séance.
Merci pour ce rapport. Nous sommes dans le domaine de l'entraide, du care ; il s'agit de générosité, pas de solidarité. La générosité doit-elle faire l'objet d'une loi ? C'est sans doute dommage. L'inégalité sur ce point entre secteur privé et secteur public doit cependant être corrigée. Je m'abstiendrai sur ce texte.
Mme Dini a exprimé avec générosité le besoin de solidarité et l'importance de l'humain : soyons clairs, cela rejoint nos propres convictions. Il est toutefois paradoxal de légiférer sur des comportements qui devraient être naturels. De surcroît, une loi à l'application uniforme, qui mettrait en oeuvre la solidarité nationale, vaudrait mieux qu'une possibilité ouverte à chaque entreprise de prendre des mesures à son gré. C'est un texte généreux, mais insuffisant et susceptible de dérives.
Légiférer sur la générosité est gênant, oui. Rappelons-nous le débat que nous avons eu sur le cumul entre allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) et le revenu d'activité. Les positions étaient les mêmes : le parti communiste a voté contre, le parti socialiste s'est abstenu, les verts ont voté pour avec hésitation, et l'Udi et l'Ump ont voté pour. Il s'agissait aussi d'une possibilité, pas d'une obligation. Il est dommage que nous devions en passer par la loi pour l'ouvrir, mais c'est ainsi. Nous voterons ce texte.
Nous sommes solidaires des excellents propos tenus par Mmes Deroche, Dini et Debré.
Ce texte autorise les salariés à aider un collègue dont l'enfant de moins de vingt ans est malade, soit que son pronostic vital soit engagé, soit qu'il doive subir une greffe nécessitant de longs mois d'hospitalisation et de convalescence. Les médecins affirment que les chances de guérison sont augmentées par la présence des parents. Nous recevions hier l'épouse de ce gendarme dont la petite fille doit subir une greffe : pour être auprès d'elle, ils doivent quitter leur ville pendant un an pour vivre à Paris près de l'hôpital. Bien sûr, le contexte familial et financier est chaque fois différent, tout comme la pathologie en cause. Il en va de même, d'ailleurs, pour les donateurs, notamment selon la taille de l'entreprise. Dans le secteur public, il est possible d'accumuler des congés : le gendarme dont je viens de parler en avait accumulé sept mois, ce qui était encore insuffisant. Des dons de ses collègues pouvaient l'aider à atteindre la durée nécessaire : cela a été rendu possible, de manière ponctuelle, et sans doute sous la pression de l'opinion publique. Mieux vaut préciser les choses par la loi. Plus que de générosité et de solidarité, il s'agit de partage. La loi ne prescrira rien, elle rendra simplement possible un tel partage.
L'allocation de présence parentale est payée par les caisses d'allocations familiales, dont la situation financière est dégradée. Pour l'augmenter, il faudrait que le Gouvernement dégage les moyens nécessaires. En effet, 945 euros mensuels ne couvrent certainement pas les besoins d'un couple. Les difficultés financières s'ajoutent donc aux autres. Ce texte simple et clair résoudra sans doute bien des problèmes.
Etendre ces dispositions aux parents d'enfants de plus de 20 ans, pourquoi pas ? Mais ce sont surtout les enfants jeunes qui requièrent une présence parentale soutenue. Quant à leur extension aux personnes âgées, la loi à venir sur la dépendance sera l'occasion d'en parler.
La personne qui donnera des jours de congés verra, bien sûr, son salaire et tous ses droits sociaux inchangés, puisqu'elle continuera à travailler. Il en ira de même du donataire. Enfin, il est impossible de prévoir que des salariés prennent moins de quatre semaines de congé.
Le débat est idéologique, au fond. La compassion que suscite une famille en difficulté doit-elle s'appuyer sur la solidarité nationale ? Nous savons bien que celle-ci est à bout de souffle. Ouvrons donc la porte à la solidarité locale ! Cela devrait susciter un vote à l'unanimité de notre commission.
La porte a déjà été ouverte par la création du jour de solidarité envers les personnes âgées, qui a supprimé un jour de congé. La solidarité, oui, mais celle de tous, pas seulement celle de personnes qui sont déjà démunies ! Ceux qui manifestent leur compassion pour la grande souffrance des familles dont nous parlons méritent aussi de la compassion. L'humanité voudrait que ces familles bénéficient d'une vraie solidarité nationale. Sinon, il y aura des discriminations : un cadre d'un grand groupe bénéficiera plus facilement de ce dispositif qu'un maçon ou un plombier d'une petite entreprise.
L'inégalité existe déjà : la rapporteure a fait allusion à ce gendarme qui a cumulé sept mois de congés, ce qui n'est pas possible pour d'autres catégories professionnelles. L'égalité n'existe pas dans notre pays, pas plus que dans la nature, d'ailleurs !
Les positions dogmatiques rendent parfois les choses plus difficiles. L'an dernier, j'ai fait voter une proposition de loi visant à étendre la journée de solidarité à tous les revenus. Votre groupe, madame la présidente, avait voté contre.
L'employeur peut déjà donner des jours de congé. Il s'agit d'ouvrir cette possibilité aux salariés. L'inégalité, l'injustice sont déjà dans la maladie, qui frappe sans discernement. Au moins, ce dispositif ne coûtera rien, si ce n'est quelques efforts de réorganisation du travail. Il soulagera les familles - heureusement peu nombreuses - qui sont confrontées à de telles situations. La présence des parents auprès de leurs enfants malade favorisera, je l'espère, leur guérison.
La proposition de loi est adoptée.
La commission procède à l'examen de la proposition de loi n° 396 (2013-2014) adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant au développement, à l'encadrement des stages et à l'amélioration du statut des stagiaires.
EXAMEN DU RAPPORT
En février 2007, je rapportais devant notre commission la proposition de loi visant à organiser le recours aux stages, que j'avais déposée en mai 2006 avec mes collègues du groupe socialiste. Elle fut rejetée, mais après un long débat qui avait soulevé bien des interrogations. La problématique de l'encadrement des stages était alors nouvelle et liée à la prise de conscience de la nécessité de définir un statut du stagiaire pour mettre un terme aux abus dont les médias se faisaient alors l'écho.
Le collectif « Génération précaire », qui s'est fait connaître par ses actions coup de poing contre les structures ayant un recours manifestement abusif aux stagiaires et par son engagement contre leur précarité, est ainsi né en septembre 2005, suivi d'autres structures associatives. C'est ensuite en mars 2006, dans la loi pour l'égalité des chances, que les premières règles furent posées, avec en particulier l'obligation de gratification des stages de plus de trois mois.
La reconnaissance de ce phénomène donna lieu à une succession de mesures législatives et réglementaires dont la sédimentation, au fil des années, a conféré des droits nouveaux aux stagiaires mais créé de la confusion parmi les acteurs concernés. Comme un stage est toujours inscrit dans un cursus scolaire ou universitaire, il est construit autour d'une relation tripartite entre le stagiaire, l'établissement d'enseignement et la structure d'accueil, qui est formalisée par la convention de stage. Au moins dix textes ayant apporté des modifications au régime juridique des stages entre 2006 et 2013, il n'est pas étonnant que le droit en vigueur soit parfois difficile à appréhender.
L'un des objets de cette proposition de loi, déposée à l'assemblée nationale le 14 janvier dernier par la députée Chaynesse Khirouni, est de rassembler ces dispositions dans une partie dédiée du code de l'éducation pour améliorer leur intelligibilité. Elle ne remet aucunement en cause l'avancée majeure qu'a constitué l'accord national interprofessionnel (ANI) du 7 juin 2011 sur l'accès des jeunes aux formations en alternance et aux stages en entreprise, signé par les partenaires sociaux à l'unanimité. La loi dite « Cherpion » du 28 juillet 2011 en a réalisé la transposition législative, confirmant notamment le principe d'une durée maximale de six mois par stage.
La loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche (ESR) a pour la première fois défini le stage comme une « période temporaire de mise en situation en milieu professionnel au cours de laquelle l'étudiant acquiert des compétences professionnelles qui mettent en oeuvre les acquis de sa formation en vue de l'obtention d'un diplôme ou d'une certification ». Elle a également étendu l'obligation de gratification, abaissée en 2009 aux stages de plus de deux mois, à tous les employeurs publics, collectivités territoriales comprises.
Cette proposition de loi poursuit le travail engagé l'an dernier par la loi ESR et concrétise l'engagement de campagne n° 39 du Président de la République. Elle est le reflet de l'évolution des stages depuis le milieu des années 2000, conséquence de la réforme de l'enseignement supérieur et de la professionnalisation croissante des enseignements.
En 2007, lorsque j'ai présenté ma proposition de loi, le nombre de stagiaires était évalué à 600 000. En 2012, le Conseil économique, social et environnemental donnait le chiffre de 1,6 million. La précision de ces estimations n'est pas absolue, car la multiplicité des situations dans lesquelles les stages peuvent être réalisés rend leur recensement très complexe. Elles mettent néanmoins en lumière un phénomène indéniable : la très forte croissance du nombre de stagiaires. Celle-ci appelle une réponse législative globale, qui mette en place un cadre juridique stable pour encadrer les stages et permettre que leur développement se poursuive au bénéfice des jeunes comme des entreprises et sans se faire au détriment de l'emploi salarié.
Ce texte comporte sept articles. L'article 1er établit un régime juridique unique pour les périodes de formation en milieu professionnel (PFMP) des élèves de la voie professionnelle de l'enseignement secondaire et les stages de l'enseignement supérieur. Il évite tout amalgame entre le stagiaire, dont les missions sont définies en fonction d'un projet pédagogique, et le salarié.
Pour la première fois, les missions de l'établissement d'enseignement envers le stagiaire sont clairement énoncées, avec un rôle d'appui et d'accompagnement du jeune dans la recherche du stage puis de définition, dans la convention, de ses objectifs et des compétences à acquérir. Cette responsabilisation des établissements est indispensable et constitue le corollaire de la réaffirmation du caractère pédagogique du stage. Actuellement, sauf exception, l'implication des établissements d'enseignement supérieur dans ce processus se limite bien souvent à la signature d'une convention-type, sans autre forme de suivi. Ce n'est pas le cas dans le secondaire, où les lycées professionnels travaillent en parfaite collaboration avec les entreprises de leur bassin économique et leurs élèves pour garantir la cohérence des périodes en milieu professionnel.
En complément, il est proposé de rendre obligatoire la désignation, pour chaque stage, d'un enseignant référent pour en assurer l'encadrement pédagogique et être à même de jouer le rôle de médiateur en cas de difficultés entre le stagiaire et son organisme d'accueil. Sur ce point, plusieurs questions se posent, comme le nombre d'élèves qu'un enseignant pourra suivre et le contenu précis de cette tâche nouvelle. Il appartient au pouvoir réglementaire de répondre à ces questions, mais il semble nécessaire de faire des distinctions selon les niveaux d'étude et de mettre à profit tous les moyens de communication électroniques.
Le texte confirme par ailleurs l'obligation, pour un stage, d'être accompagné d'un volume pédagogique minimal de formation en établissement durant l'année scolaire, avant ou après sa réalisation. Il s'agit de lutter contre les officines qui disposent à peine d'une boîte aux lettres mais vendent des conventions de stage à des étudiants sans fournir la moindre formation.
Cette proposition de loi marque également l'extinction des dérogations à la durée maximale de six mois pour un stage. Pendant une durée de deux ans, certaines formations conduisant à des diplômes d'Etat dans le domaine médico-social continueront à en bénéficier, afin de leur laisser le temps de faire évoluer leur maquette pédagogique. Les exceptions à cette règle devaient être limitées, en application de la loi « Cherpion », par un décret. Elles ont finalement été très nombreuses, le décret en question n'ayant jamais été pris. Aujourd'hui, la loi reprend le dessus car il est difficile de concevoir les apports pédagogiques d'un stage de huit mois par rapport à un stage de six mois. En revanche, il est très facile d'imaginer comment un stage d'un an peut permettre d'éviter d'embaucher un salarié.
Les règles en matière de gratification restent les mêmes, c'est-à-dire qu'elle est obligatoire pour tout stage de plus de deux mois, et ce dès le premier jour du premier mois et non à compter du troisième mois. De même, les cas d'interdiction de conclure une convention de stage ne sont pas modifiés. Un stagiaire ne peut donc être recruté pour exécuter des tâches correspondant à un poste de travail permanent de l'entreprise, pour faire face à un accroissement temporaire d'activité, pour un emploi saisonnier ou pour remplacer un salarié absent.
Un nombre maximal de stagiaires par entreprise va être institué par décret. C'est un signal fort envoyé à la jeunesse ainsi qu'aux secteurs d'activité qui ont abusivement recours aux stagiaires. Certains regretteront ce renvoi au pouvoir réglementaire, requis par la souplesse nécessaire à l'application de cette mesure. La ministre précisera sans doute les intentions du Gouvernement en séance, mais il semble évident qu'il faudra traiter les plus petites entreprises différemment des grands groupes, et prendre en compte la situation spécifique des start-up. Cela n'enlève rien à la pertinence de cette mesure : est-il vraiment acceptable qu'une entreprise puisse avoir autant de stagiaires que de salariés ou que certaines entreprises du Cac 40 comptent près de 30 % de stagiaires ?
Sur le modèle de ce qui se pratique déjà couramment pour les périodes de formation en milieu professionnel des élèves des lycées professionnels, la désignation d'un tuteur au sein de l'entreprise est rendue obligatoire. Avec la généralisation de cette fonction, qui pourra être précisée et valorisée par accord d'entreprise, il s'agit de responsabiliser l'entreprise et de garantir la transmission des savoirs et des compétences et le respect de la convention de stage. Il n'est pas question qu'un même salarié puisse être le tuteur d'un nombre trop important de stagiaires : un décret fixera un nombre maximal qui s'inspirera sans doute du droit en vigueur pour l'apprentissage.
La seconde partie de ce long article 1er porte sur les droits du stagiaire dans son organisme d'accueil. Il est tout d'abord rappelé qu'il est, dans les mêmes conditions que le salarié, protégé contre les discriminations et le harcèlement sexuel ou moral. La proposition de loi lui accorde le droit à un congé de maternité, de paternité ou d'adoption, permettant de reporter le cas échéant le terme du stage. Surtout, ce texte reconnaît pour la première fois aux stagiaires de plus de deux mois un droit à congés, qui devra figurer dans la convention de stage. Il leur fait également bénéficier, sur un pied d'égalité avec les salariés, de titres-restaurant et de la prise en charge des frais de transport.
Des règles claires relatives aux conditions de travail des stagiaires, et en particulier à la durée de travail qui leur est applicable, sont pour la première fois inscrites dans la loi. Elles suivent, en matière de présence de nuit, de repos et de temps de travail, celles applicables aux salariés de l'organisme d'accueil et, ce qui peut sembler évident, ne pourront pas les dépasser.
Il est vain de fixer un cadre juridique construit autour de plusieurs obligations s'il ne s'accompagne d'aucun mécanisme de contrôle. C'est pourquoi ce texte confie à l'inspection du travail la mission de lutter contre les abus et de s'assurer du respect des dispositions relatives au nombre maximal de stagiaires par entreprise et aux conditions de travail. En cas de manquement, les entreprises en infraction seront passibles d'une amende administrative qui pourra atteindre 2 000 euros par stagiaire concerné ou 4 000 en cas de récidive. L'Assemblée nationale a utilement complété cet article en reprenant une mesure, qui figurait dans la proposition de loi que je vous avais présentée en 2007, concernant le contentieux de la requalification d'un stage en contrat de travail. Saisi d'une telle demande, le bureau de jugement du conseil de prud'hommes devra statuer au fond dans un délai d'un mois. Le passage préalable devant le bureau de conciliation est supprimé, comme c'est le cas pour la requalification d'un CDD en CDI.
L'article 2 de la proposition de loi prévoit que les stagiaires seront désormais mentionnés dans une partie spécifique du registre unique du personnel, alors qu'ils figuraient jusqu'à présent dans un registre distinct. Sans que cela n'ait d'influence sur la comptabilisation des effectifs de l'entreprise, cette mesure a une portée symbolique forte aux yeux des organisations étudiantes. Elle permettra aussi aux institutions représentatives du personnel (IRP) de disposer d'informations supplémentaires sur l'accueil de stagiaires par l'entreprise. L'article 5 prévoit l'information de l'établissement d'enseignement, du stagiaire et des IRP par l'inspection du travail lorsqu'elle constate un manquement à la réglementation. L'article 6 exonère de l'impôt sur le revenu la gratification versée aux stagiaires, dans la limite du Smic, comme c'est déjà le cas pour la rémunération perçue par les apprentis.
Aujourd'hui, la moindre recherche sur Internet donne accès à des sites vendant des conventions de stage. Face à de telles escroqueries, nous ne pouvons rester inactifs. De même, dans certains secteurs, le recours abusif aux stages, outre qu'il les détourne de leur finalité pédagogique, dessert les entreprises vertueuses en les soumettant à une concurrence par les coûts faussée. Il n'en reste pas moins que l'expérience pédagogique et professionnelle que constitue un stage est un atout pour pénétrer sur le marché du travail.
Cette proposition de loi recentre les stages sur leur principe fondamental, celui d'un outil de formation ancré dans un cursus dont il est une composante à part entière. Je ne crois pas que l'adoption de ce texte aboutira à un tarissement de l'offre de stages. Au contraire, c'est bien le phénomène inverse qui a été observé depuis 2006 et a accompagné la construction progressive du statut de stagiaire. A l'heure où certains se demandent s'il n'y a pas trop de stages, il faut surtout se donner les moyens de garantir des stages de qualité. Cette proposition de loi constitue un réel progrès en la matière en impliquant les établissements d'enseignement dès la définition du projet de stage.
Le Président de la République déclarait récemment que le pacte de responsabilité allait être accompagné d'un pacte de solidarité. Cette initiative parlementaire correspond parfaitement à l'esprit de cette annonce. La précarité est le lot commun de la très grande majorité des stagiaires. Le témoignage récent d'une jeune femme, qui a eu une large couverture médiatique, sur cette génération d'« affamés » qui n'a connu que la crise économique et enchaîne les stages faute de perspectives d'embauche confirme ce diagnostic.
Sept ans après vous avoir présenté ma proposition de loi, je regrette que les termes du débat aient si peu évolué mais je suis heureux que, par ce texte, notre société prenne enfin ses responsabilités envers tous ces jeunes en garantissant l'effectivité de leurs droits. A d'autres, entreprises ou établissements d'enseignement, de prendre les leurs !
Je salue le travail de Jean-Pierre Godefroy, qui a joué un rôle précurseur, puisqu'il travaille sur les stages depuis 2007. Il a fait preuve de persévérance sur un dossier dont l'importance est évidente lorsqu'on entend les propos de M. Gattaz, qui s'apprête à nous refaire le coup du CPE ou du Smic jeune pour permettre aux jeunes de rentrer sur le marché du travail ce qui me semble scandaleux.
Ce texte prend acte d'un certain nombre de constats : l'explosion du nombre de stagiaires, la très grande diversité des stages qui génèrent souvent une forte précarité, voire même une forte dépendance vis-à-vis de l'organisme d'accueil.
Je retiendrai un certain nombre d'éléments. Tout d'abord le fait que, pour la première fois, on détermine précisément ce qu'est un stage dans le cadre d'un cursus universitaire ou professionnel.
Je suis satisfait de voir aussi que, grâce à une définition rigoureuse de la gratification, on évite la confusion entre ce qu'est un stagiaire et ce qu'est un salarié, confusion qui transparaît dans certaines pratiques. Notre rapporteur a très bien mis en évidence le rôle parfois douteux d'organismes de formation qui profitent du système, ce qui appelle les sanctions prévues par le texte.
Je suis heureux que l'on puisse déterminer la durée maximale d'un stage, afin qu'il n'y ait pas de confusion avec le CDD ou avec les emplois saisonniers.
Il reste encore du travail à faire en matière de législation européenne : l'insatisfaction de nombre de jeunes Français qui vont faire des stages à l'étranger est réelle. Ce sera un sujet de travail pour les années qui viennent.
Le rapporteur a clarifié la situation en nous présentant les lois qui se sont succédé depuis 2006. Mais il n'a pas présenté la face cachée de cette proposition de loi, qui pose problème dans une période où nous savons, en tant qu'élus, que les jeunes ont de réelles difficultés à trouver des stages. A force d'accumuler les contraintes pesant sur les employeurs, on a dissuadé les entreprises d'avoir recours à des stagiaires. Je pense en particulier aux petites entreprises et aux entreprises agricoles, qui jouent pourtant un rôle très important dans la formation professionnelle.
Ce texte concerne conjointement les élèves et les étudiants, alors qu'il conviendrait de les distinguer. Pour certains élèves, les mesures proposées poseront de véritables difficultés. Ainsi pour les formations agricoles, la limitation de la durée des stages à six mois, assortie d'une période de carence, constitue un vrai problème. Les établissements scolaires qui placent ces stagiaires auront beaucoup de difficultés à trouver des employeurs. Il en va de même pour la question de la gratification. Un stage effectué par un élève avant l'âge du bac constitue plus une contrainte qu'un bénéfice pour l'employeur. On ne peut nier qu'il existe des abus, mais on s'apprête à sanctionner tout le monde. Le résultat sera qu'il y aura moins de stages.
Le rôle nouveau confié à l'inspecteur du travail, ainsi que les dispositions relatives aux prud'hommes inspirent beaucoup de craintes aux employeurs, qui risquent de renoncer à prendre des stagiaires. Bien sûr, il y a des entreprises qui commettent des abus, mais pour la plupart d'entre elles, ces mesures sont autant d'épées de Damoclès !
Il y a aussi, comme vous le savez, des cas particuliers parmi les étudiants. La limitation des stages à six mois posera des problèmes pour certaines formations, les études de psychologie, par exemple. Votre volonté de supprimer les possibilités actuelles de dérogation aggravera leurs difficultés à trouver un stage.
Dans cette période difficile où les entreprises ont d'autres soucis que de prendre des stagiaires, même s'il fallait toiletter la législation, on aurait pu le faire à moindre frais et sans alourdir les contraintes qui pèsent sur les entreprises.
Je tiens tout d'abord à faire une remarque sur la forme : les délais impartis pour examiner et amender ce texte sont insuffisants : la date limite de dépôt des amendements est fixée au lundi 28 avril à 11 heures, alors que la semaine prochaine les travaux parlementaires sont suspendus ! Quant au fond, il y a dans cette proposition de loi beaucoup de points positifs, dont certains avaient d'ailleurs déjà été actés sous la législature précédente. D'autres sont contestables : il en va ainsi du quota maximum de stagiaires par entreprise qui va être fixé par décret, et de la suppression de la possibilité de dérogation à la durée maximale de six mois par stage. Ce dernier point posera particulièrement problème pour l'année de césure, que les étudiants des écoles de commerce utilisent souvent pour faire un long stage à l'étranger.
Ce texte tend en outre à aligner le droit des stagiaires sur celui des salariés. On peut être d'accord avec l'octroi de ces droits, mais on ne peut, sur le plan symbolique, accepter l'assimilation avec les salariés. Une amende de 2 000 euros est prévue pour les entreprises en cas d'infraction : c'est un nouveau signe de défiance à l'égard des entreprises. Le groupe UMP, en séance, pourra approuver certains points de ce texte, mais il ne le votera pas. Nous ne le voterons pas non plus en commission.
Cette proposition de loi va dans le bon sens. L'exposé de Jean-Pierre Godefroy nous a donné des éléments très riches, et les amendements qu'il défend sont de nature à renforcer le dispositif. Nous avons tous été témoins, en tant qu'élus, tant des abus commis que de l'explosion du nombre des stagiaires : ils sont aujourd'hui 1 600 000, contre 600 000 en 2006. L'encadrement de la durée des stages est un point positif, de même que les droits nouveaux accordés aux stagiaires. Mais on peut encore améliorer ce texte, comme nous nous efforcerons de le faire en séance : il nous semble par exemple important de porter le seuil minimum de gratification à 50 % du Smic, ou encore de prévoir la validation automatique d'un trimestre de retraite pour 50 jours de stage. Quoi qu'il en soit, nous voterons ce texte.
Je note une incohérence : vous nous dites que le stagiaire ne doit pas être considéré comme un salarié, parce que ce serait une exploitation du stage au bénéfice de l'entreprise, mais que d'un autre côté il doit avoir les droits du salarié. Il faudrait savoir...
Vous augmentez les obligations des employeurs, puisqu'un stagiaire doit désormais avoir non seulement un tuteur, mais aussi un référent, bénéficier d'un volume pédagogique minimal, être inscrit au registre unique du personnel... Autant de contraintes supplémentaires, assorties de pénalités, qui risquent de dissuader les entreprises et les collectivités de prendre des stagiaires.
J'ai l'occasion, en tant que président de conseil général, d'en recruter dans mes services ; mais en cette période de raréfaction de l'argent public, je ne suis plus sûr de pouvoir le faire, surtout si leur encadrement vient s'ajouter aux tâches de mon personnel déjà sous tension.
Deuxièmement, qu'en est-il de l'adaptation de ces dispositions aux études de médecine générale ? La désertification médicale des milieux ruraux ouvre aujourd'hui de belles possibilités d'y faire des stages, qui peuvent conduire à l'implantation de ces futurs médecins. Si vous allez vers des contraintes supplémentaires, les médecins généralistes seront-ils toujours disposés à accueillir des stagiaires ? Là encore, on voit bien les limites des dispositifs trop contraignants.
Je rejoins plusieurs des interventions précédentes. Au point de vue du droit du travail, il paraît logique d'encadrer le stagiaire. On rassemble d'ailleurs ici des textes qui étaient empilés dans le droit du travail, plutôt que l'on ne crée des droits nouveaux. Il n'y aurait rien à y redire, si ce n'était que nous sommes dans un système économique où l'on trouve des petites comme des grandes entreprises et des secteurs qui offrent plus ou moins de stages. Il serait donc intéressant de connaître précisément la répartition des stagiaires. Je suis à peu près persuadé que beaucoup des grandes entreprises, qui en prennent souvent, respectent parfaitement le droit. Restent les petites entreprises, qui sont majoritaires en France et sont fréquemment sollicitées par les jeunes en quête d'un stage.
Il conviendrait donc d'en avoir une meilleure connaissance, et d'être plus souple dans l'application du droit relatif aux conditions de travail. Que penser, par exemple, de l'obligation faite aux entreprises agricoles accueillant des stagiaires d'avoir deux vestiaires, dont l'un destiné aux jeunes femmes ?
Mais, sur le fond, la proposition de loi recentre bien les stages sur leur principe fondamental. Il s'agit d'un outil de formation, encadré par les droits des différentes parties concernées qui conditionnent sa réussite. Nous nous abstiendrons donc aujourd'hui, mais nous nous prononcerons lors de l'examen du texte en séance.
Tout médicament a des effets bénéfiques et des effets indésirables. Nous travaillons ici sur le droit des stagiaires, certainement bénéfique, mais nous allons nuire au droit aux stages ; or c'est bien celui-ci qui constitue le problème principal auquel nous sommes quotidiennement confrontés. En confortant le droit des stagiaires, l'effet indésirable sera qu'il y aura moins de stages, et de plus en plus de jeunes viendront nous solliciter en disant qu'ils n'en ont pas trouvé.
Je félicite Jean-Pierre Godefroy pour l'ensemble de ses travaux dans ce domaine, pour sa persévérance et pour la clarté du texte qu'il nous a présenté. Ce n'est pas un texte de sanction, mais un élément de cohérence et de réaffirmation de principes qui ne doivent pas être oubliés dans ce difficile sujet des stages.
Personne ne nie les difficultés des entreprises, ni le poids parfois excessif de l'administration, pas plus que la réticence de beaucoup d'entreprises à accepter des stagiaires. Mais, dans le même temps, ces mêmes entreprises nous font part à juste titre de difficultés de recrutement. Or le stage consiste justement à mettre des jeunes en situation de travail dans une entreprise et à faciliter à terme leur embauche.
Il y a trop de cas où le stage est en réalité un CDD. J'ai l'exemple tout récent encore d'une jeune femme d'origine étrangère, de très haut niveau de qualification, engagée dans le cadre d'un stage dans une entreprise du CAC 40. Elle était susceptible dès les premiers jours de fournir un apport réel au travail de l'entreprise. On lui a laissé espérer un recrutement, mais au terme de son stage on lui a proposé un poste à... Moscou. Cette jeune personne est d'origine russe, cette proposition n'était donc pas absurde ; mais elle est mariée en France. Il faut lutter contre ces faux stages, trop souvent utilisés pour contourner le droit du travail et le Smic. Ou alors il faut modifier la législation, comme M. Gattaz le demande. Pour toutes ces raisons, je suis très favorable à ce texte.
Un stagiaire n'est pas toujours une charge, il apporte du sang neuf à l'entreprise. Cela méritait d'être dit.
Nous soutenons entièrement cette proposition de loi, et nous la voterons. Dans ce contexte de crise sociale extrêmement grave, il faut maintenir une démarche équilibrée et mettre fin aux abus, qui sont nombreux. Je connais des jeunes diplômés d'écoles d'ingénieurs, mais qui vivent en Seine-Saint-Denis et ont parfois des noms à consonance étrangère : tout ce qu'on leur propose est d'enchaîner les stages, en leur faisant miroiter une embauche.
Former les jeunes, les aider en leur mettant le pied à l'étrier, c'est une mission qui nous incombe à tous. Je rejoins ce que vient de dire Catherine Génisson : ces stagiaires ne doivent pas être présentés comme une charge. En les aidant, nous contribuerons à ce qu'il y ait en France des jeunes en situation de répondre aux demandes des entreprises, qui cherchent justement des personnels et des cadres qualifiés. Cette loi va donc dans le sens de l'intérêt de tout le monde.
Ronan Kerdraon m'interrogeait sur les stages à l'étranger. Une disposition de ce texte oblige à informer les jeunes Français qui sont dans cette situation du droit de leur pays d'accueil : c'est un progrès.
Gilbert Barbier a évoqué la difficulté à trouver des stages ; nous avons pourtant un million de stagiaires de plus qu'il y a sept ans. On peut se demander s'il s'agit bien de stages s'inscrivant dans un cursus. En tout cas, les dispositions de cette proposition de loi n'accroîtront pas les difficultés pour trouver des stages. Je rappelle que pour l'instant les stages de moins de deux mois ne font pas l'objet d'une gratification.
Vous avez fait allusion au cas de l'enseignement agricole, ce qui renvoie aux maisons familiales rurales. Une réponse à leur situation a été apportée à l'Assemblée nationale, par un amendement de Gérard Cherpion, qui siège dans l'opposition et est l'auteur d'un texte antérieur sur ces questions. La durée des stages sera mesurée au prorata de la présence des stagiaires dans l'organisme d'accueil. Dans les maisons familiales rurales, où les élèves alternent les périodes de formation et celles en entreprise, le temps de présence réelle du stagiaire n'est pas incompatible avec les dispositions de la proposition de loi.
L'inspecteur de travail n'est redouté que par les employeurs qui ne se conforment pas à la réglementation. Quant au passage direct devant le bureau de jugement, il est déjà prévu pour la requalification des CDD en CDI en cas d'abus. Il faut bien qu'il y ait un gendarme quelque part.
Le problème des cursus de psychologie semble tenir à leurs maquettes pédagogiques, et à l'absence de numerus clausus. Beaucoup trop de jeunes s'y inscrivent par rapport aux débouchés professionnels.
Alain Milon s'inquiétait des délais impartis pour l'élaboration du texte, mais je lui rappelle que notre rythme de travail est fixé par la conférence des présidents.
Le quota de stagiaires dans une entreprise est un sujet très important. On ne peut accepter qu'une entreprise prenne quinze ou vingt stagiaires pour un seul tuteur. Il s'agit alors en réalité de stages parking, sans aide à l'acquisition des connaissances. L'idée de fixer par décret un quota de stagiaires par entreprise me semble bonne. Le seuil de 10 % envisagé initialement est inadapté aux petites comme aux très grandes entreprises. La question fondamentale demeure de savoir si l'entreprise a bien les tuteurs nécessaires à l'encadrement des stagiaires. Le ratio en vigueur dans l'apprentissage pourrait être repris ici : on demanderait alors environ un tuteur pour trois stagiaires. De même, peut-on s'attendre à ce qu'un enseignant qui signe trente ou quarante conventions suive vraiment ses stagiaires ?
Quant à l'année de césure, qui est un usage courant dans les écoles de commerce, elle ne constitue pas véritablement un problème : on peut faire deux stages de six mois, dès lors que ce n'est pas dans la même entreprise. Il n'y a de toute façon pas de limite pour les stages à l'étranger, puisque c'est la réglementation du pays d'accueil qui s'y applique.
Les deux questions posées par Laurence Cohen sont très importantes. Dans ma proposition de loi de 2006, j'avais défendu l'idée d'une gratification des stagiaires à 50 % du Smic. Il est vrai que l'on a souvent plus d'ardeur lorsque l'on est dans l'opposition que dans la majorité. Le problème du niveau de la gratification doit en tout cas être posé ; il est aujourd'hui fixé à 12,5 % du plafond de la sécurité sociale, soit 436 euros. Est-ce bien suffisant ? Mais la proposition de loi ouvre des droits, notamment aux chèques restaurant et au remboursement des frais de transports, et c'est une avancée.
Quant au problème de la retraite, la dernière réforme des retraites permet aux étudiants de racheter jusqu'à deux trimestres dans un délai de deux ans après leur stage. Mais cela représente une ponction importante sur leur rémunération en début de carrière, à supposer qu'ils aient trouvé du travail à l'issue de leur stage. Il y a là une piste de réflexion à poursuivre. On pourrait imaginer qu'au moins un trimestre soit validé de fait, comme c'était le cas pour le service militaire.
René-Paul Savary m'interrogeait sur les référents et les tuteurs. Pour qu'un stage soit vraiment productif, il faut qu'il y ait dans l'entreprise un tuteur bien défini et qualifié, et un référent pédagogique dans son établissement d'enseignement en contact avec lui. Seul leur travail commun avec le stagiaire peut garantir que le cheminement du stage soit conforme à sa convention. Quant aux professions de santé, elles ne sont pas concernées par l'obligation de gratification.
Je rappelle, en réponse à la question de Jean-Marie Vanlerenberghe, que c'est l'ANI du 7 juin 2011 qui est repris en grande partie dans ce texte. J'espére donc qu'il puisse faire l'objet d'un consensus.
Yves Daudigny a soulevé un point très intéressant : les difficultés des entreprises à recruter. Encore faudrait-il pour cela qu'elles acceptent de prendre des stagiaires afin de leur donner envie d'exercer leurs métiers. Certaines grandes entreprises organisent des stages très largement gratifiés, qui constituent une pré-embauche. Cela leur permet de juger les postulants, avant de puiser dans le vivier des stagiaires pour répondre à leurs besoins.
Je pense, comme Catherine Génisson, que le stagiaire n'est pas une charge pour l'entreprise, au contraire. Lorsque j'étais maire, malgré la réticence du rectorat, j'avais recruté des apprentis. Cela avait l'avantage de nous obliger à former des tuteurs, qui eux-mêmes devaient mettre à jour leurs connaissances. Le même raisonnement s'applique pour les stages : c'est un avantage supplémentaire pour l'entreprise.
Merci, monsieur le rapporteur, pour l'ensemble de ces réponses. Nous passons à l'examen de vos amendements.
Article premier
L'amendement rédactionnel n° 1 est adopté.
La fixation du nombre maximal de stagiaires par enseignant référent doit être confiée au conseil d'administration de l'établissement d'enseignement, dans un cadre fixé par décret, pour qu'il puisse tenir compte de ses spécificités et de ses moyens.
L'amendement n° 2 est adopté, ainsi que l'amendement de cohérence juridique n° 3.
L'amendement n° 4 vise à garantir l'application dans la fonction publique de l'interdiction de remplacer un employé absent par un stagiaire.
L'amendement n° 4 est adopté ainsi que l'amendement rédactionnel n° 5.
L'amendement n° 6 est important : il tend à fixer la durée de travail des stagiaires à la durée légale hebdomadaire, soit 35 heures. Ceux-ci participent à l'activité de l'organisme d'accueil mais la vocation première du stage est la formation. Dans certaines conditions, le temps de travail peut atteindre jusqu'à 60 heures par semaine sur douze semaines. Les stagiaires ne sauraient être concernés, eux qui n'ont droit ni au repos compensateur, ni aux RTT, ni aux heures supplémentaires rémunérées. Protégeons-les contre les risques d'exploitation. Déjà, 31 % des salariés mais 37 % des stagiaires travaillent de nuit...
Certains étudiants qui ont un emploi pourraient même être contraints d'y renoncer pour suivre leur stage !
L'amendement n° 6 est adopté ainsi que l'amendement rédactionnel n° 7.
L'amendement n° 8 étend le champ du contrôle de l'inspection du travail au nombre de stagiaires suivis par un même tuteur.
L'amendement n° 8 est adopté, ainsi que les amendements de coordination n°s 9, 10 et 11, l'amendement rédactionnel n° 12 et l'amendement de coordination n° 13.
L'amendement n° 14 concerne l'information de l'établissement d'enseignement, des IRP et du stagiaire en cas de manquement aux règles d'accueil des stagiaires.
L'amendement n° 14 est adopté, ainsi que l'amendement de coordination n° 15.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
Nous poursuivons notre matinée de travail par l'examen du projet de loi n° 447 (2013-2014) habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées.
Ce projet de loi est le fruit d'un long cheminement sur lequel je souhaite insister avant de vous présenter le contenu même de ce texte.
La question de l'accessibilité a pris corps dans le débat public à l'occasion de la loi de 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées qui, certes, avait fixé des objectifs prometteurs mais ne s'était pas donné les moyens d'y parvenir. Il a fallu attendre trente ans et l'adoption de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées pour qu'une nouvelle étape soit franchie. La notion d'accessibilité est alors étendue à tous les types de handicap (mental, sensoriel, psychique, cognitif, polyhandicap...) et à tous les domaines de la vie en société (cadre bâti, voirie, espaces publics, transport, citoyenneté, école, services publics, loisirs...). Et cela au bénéfice de l'ensemble de la population.
On parle désormais d'accessibilité universelle pour désigner le processus visant à éliminer toutes les barrières qui peuvent limiter une personne dans l'accomplissement de ses activités quotidiennes. Cette démarche s'adresse non seulement aux personnes atteintes d'un handicap, mais aussi à toute personne pouvant être confrontée, un jour ou l'autre, à une difficulté de déplacement, qu'elle soit temporaire ou durable. Au regard du vieillissement de la population, cette approche transversale revêt un enjeu considérable.
Loi ambitieuse, la loi de 2005 a posé un principe fort : l'obligation de mise en accessibilité du cadre bâti et des transports à l'horizon 2015. En fixant ce cap, elle a indéniablement permis d'opérer un changement d'état d'esprit dans notre société, de porter un regard différent sur le handicap. Des efforts incontestables, qui doivent être salués, ont été déployés par les acteurs concernés pour faire avancer l'accessibilité. Les progrès sont tangibles tant en matière de logements neufs, d'établissements recevant du public (ERP) que de transports.
Pour autant, la France ne sera pas au rendez-vous du 1er janvier 2015. Ce constat, lucide, Isabelle Debré et moi-même l'avons posé dès juillet 2012 à l'occasion de la remise de notre rapport sur l'application de la loi de 2005 à la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois. Quelques mois plus tard, une mission conjointe du conseil général de l'environnement et du développement durable, de l'inspection générale des affaires sociales et du contrôle général économique et financier parvenait à la même conclusion.
Plusieurs raisons expliquent notre retard : un délai de parution des décrets plus long que prévu, un impact financier des travaux à mener mal voire non évalué, une mauvaise appréciation des délais nécessaires à la réalisation de l'ensemble des travaux, une réglementation trop complexe, et un défaut de portage politique. Car après la promulgation de la loi et en dehors des deux conférences nationales du handicap, l'insuffisance de l'impulsion politique n'a pas permis de mobiliser les acteurs de terrain, ni d'assurer une appropriation suffisante des enjeux d'accessibilité.
Cette volonté de suivi et d'accompagnement est désormais au rendez-vous. La nécessité de poursuivre l'adaptation de notre société, en vue de la rendre plus inclusive, a en effet amené le Gouvernement à faire de l'accessibilité l'une de ses priorités. Dès octobre 2012, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, m'a confié une mission afin de faire le point sur l'état d'avancement de ce dossier et de rechercher, en concertation avec l'ensemble des acteurs, les solutions permettant à notre pays de répondre le mieux possible aux attentes légitimes suscitées par la loi de 2005. Je lui ai remis mon rapport, intitulé « Réussir 2015 », le 1er mars 2013. Parmi les quarante propositions qu'il contient, deux mesures se distinguent plus particulièrement : la mise en place des agendas d'accessibilité programmée ou Ad'AP, documents d'engagement et de programmation décidés par les maîtres d'ouvrage, et l'ajustement, dans la concertation, des normes d'accessibilité qui se révèlent peu opérationnelles.
C'est sur la base de « Réussir 2015 » que le Premier ministre a décidé, lors du comité interministériel du handicap réuni pour la première fois le 25 septembre 2013, d'ouvrir, dès le mois suivant, deux chantiers de concertation afin de faire évoluer de manière consensuelle le cadre juridique de l'accessibilité : un premier sur la mise en place, par voie d'ordonnance, du nouvel outil Ad'AP pour poursuivre la dynamique engagée par la loi de 2005 ; un second sur les normes d'accessibilité du cadre bâti, de la voirie et des transports pour les adapter à l'évolution des techniques, aux besoins des personnes handicapées et aux contraintes des opérateurs.
A la demande du Premier ministre, j'ai assuré la présidence de cette concertation, qui s'est déroulée d'octobre 2013 à février 2014, en collaboration avec la déléguée ministérielle à l'accessibilité. Permettez-moi de m'arrêter quelques instants sur ce processus inédit, qui constitue le point de départ du projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis.
Cette concertation, qualifiée par tous de moment historique, a été l'occasion, pour la première fois et à une telle échelle, de réunir autour d'une même table l'ensemble des parties prenantes au dossier de l'accessibilité : les associations de personnes handicapées membres de l'Observatoire interministériel de l'accessibilité et de la conception universelle (Obiaçu), les représentants du commerce, de l'hôtellerie-restauration et des professions libérales, les responsables du secteur des transports, les associations d'élus locaux, les maîtres d'oeuvre et d'ouvrage, les techniciens et les experts.
Au cours des 140 heures de réunion, j'ai pu mesurer et apprécier le respect qui a prévalu dans les discussions, l'esprit constructif et la très grande assiduité qui ont animé la centaine de participants. Ces échanges nourris ont permis - et c'est là sans doute la plus grande avancée - à tous les acteurs de prendre conscience des attentes, des difficultés, et de la réalité vécues par les uns et les autres, tout en gardant à l'esprit la nécessité de trouver, ensemble, les moyens de faire progresser l'accessibilité. Menée à son terme, cette concertation est parvenue à deux grandes séries de mesures.
La première est l'élaboration d'un cadre national aux Ad'AP, véritable instrument de politique publique.
En quelques mots, qu'est-ce qu'un Ad'AP ? Il s'agit d'un document de programmation et de financement des travaux d'accessibilité, structuré en une ou plusieurs périodes opérationnelles, qui permettra aux acteurs n'étant pas en conformité avec les règles d'accessibilité posées par la loi de 2005 de s'engager sur un calendrier précis et resserré. L'Ad'AP est un acte d'engagement volontaire qui ne se substitue pas à la loi de 2005, mais qui la complète. Il s'adresse aux maîtres d'ouvrage et aux exploitants d'ERP publics et privés, quelle que soit leur catégorie, ainsi qu'aux autorités organisatrices de transport de voyageurs. Cet outil, cohérent et opérationnel, est le fruit d'un véritable équilibre entre les attentes légitimes des uns et les difficultés à faire rencontrées par les autres. Il n'est en effet pas imaginable de retrouver, dans quelques années, la même situation que celle que nous connaissons aujourd'hui ; il faut donc que l'Ad'AP soit attractif et crédible aux yeux de chacun.
Attractif et crédible, l'Ad'AP l'est tout d'abord pour les associations de personnes handicapées en ce qu'il garantit que les objectifs de mise en accessibilité seront tenus : les dossiers d'engagement à entrer dans une procédure d'Ad'AP devront être déposés avant le 31 décembre 2014, puis devront être validés par le préfet ; l'engagement dans un Ad'AP est irréversible : un dossier validé devra être mené à son terme ; en l'absence d'Ad'AP, le non-respect de l'échéance du 1er janvier 2015 sera, sauf dérogation validée, toujours passible des sanctions pénales prévues par la loi de 2005 ; il n'y aura pas d'« année blanche » : la programmation des travaux sera échelonnée sur une, deux ou trois périodes et, dès la première année, l'amélioration de l'accessibilité devra être constatée ; des points de contrôle régulier jalonneront toute la procédure : à la fin de la première année, puis au terme de chaque période ; des sanctions financières graduées seront appliquées en cas de non-respect des engagements pris dans le cadre de l'agenda (mauvaise foi, retard, carence) ; dans le domaine des transports, des obligations assorties de sanctions seront fixées en termes d'une part, de formation des personnels et d'information des usagers en situation de handicap, d'autre part, d'accessibilité du parc de matériel roulant routier.
Attractif et crédible, l'Ad'AP l'est ensuite pour les gestionnaires d'ERP et de services de transport en ce qu'il constitue une solution adaptée et réaliste pour se mettre en conformité avec la loi de 2005 : l'élaboration d'un Ad'AP permettra de ne pas s'exposer aux sanctions pénales instaurées par la loi de 2005 et de poursuivre au-delà du 1er janvier 2015, en toute sécurité juridique, les travaux de mise en accessibilité ; la procédure d'Ad'AP sera simplifiée pour les ERP de 5e catégorie, qui constituent la grande majorité des ERP ; les dossiers d'Ad'AP pourront être déposés dans un délai d'un an suivant la publication de l'ordonnance, à condition que l'engagement ait été pris avant le 31 décembre 2014 ; l'obligation d'accessibilité des points d'arrêt et des gares fera l'objet d'une priorisation ; le droit au transport des enfants handicapés scolarisés est réaffirmé autour du projet personnalisé de scolarisation (PPS).
Au final, c'est bien une démarche d'équilibre, de pragmatisme et de confiance raisonnée, ainsi que je le recommandais dans mon rapport « Réussir 2015 », qui a prévalu. Non seulement nous n'abandonnons pas l'échéance du 1er janvier 2015, mais nous nous donnons aussi les moyens de poursuivre la dynamique au-delà de cette date.
La seconde série de mesures concerne l'évolution des normes d'accessibilité.
L'objectif de cet autre volet de la concertation était, tout en maintenant le corpus juridique structurant issu de la loi de 2005, d'adapter les dispositions techniques et réglementaires afin de les rendre plus lisibles et plus efficientes. Certaines d'entre elles sont en effet trop souvent perçues comme un frein au progrès et à l'innovation. De même, l'on a trop tendance aujourd'hui à privilégier le respect strict de la norme plutôt que la qualité d'usage. Un autre impératif était de mieux prendre en compte toutes les formes de handicap, conformément à l'objectif d'accessibilité universelle.
Grâce là aussi à une écoute réciproque et à une ferme volonté de trouver des solutions partagées, de nombreuses recommandations ont vu le jour, parmi lesquelles : l'assouplissement de certaines normes pour le cadre bâti ; la simplification et la clarification des exigences dans les secteurs du commerce, de l'hôtellerie et de la restauration ; l'amélioration de la sécurité des déplacements et du repérage dans l'espace ; la généralisation de la formation des personnels d'accueil ; l'obligation d'information des usagers des ERP à travers la création d'un registre d'accessibilité ; le développement du sous-titrage dans les lieux publics.
Sur la base des deux rapports de conclusion de la concertation, le Premier ministre a confirmé, le 26 février dernier, que les mesures de niveau législatif, comme la création des Ad'AP, feront l'objet d'un projet de loi d'habilitation à légiférer par ordonnance, et que les autres mesures, notamment celles issues du chantier « environnement normatif », seront mises en oeuvre au niveau réglementaire dans le même calendrier resserré que celui des textes d'application des dispositions prises par ordonnance.
Comme vous tous, chers collègues, je suis toujours très réservée lorsqu'un gouvernement, quel qu'il soit, décide de recourir à la procédure prévue à l'article 38 de la Constitution pour accélérer la mise en oeuvre de sa politique. Si le recours aux ordonnances ne saurait être un mode habituel d'élaboration de la loi, il est cependant justifié dans des domaines précisément circonscrits, comme celui de l'accessibilité.
J'y vois trois raisons. Premièrement, l'urgence de la situation. A quelques mois de l'échéance du 1er janvier 2015, seules les ordonnances nous permettent de rester dans les temps. Je vous rappelle que les Ad'AP doivent être opérationnels très rapidement afin de permettre aux acteurs concernés de faire part, avant le 31 décembre 2014, de leur intention de recourir à ce nouvel outil. A défaut, ce sont les sanctions pénales prévues par la loi de 2005 qui s'appliqueront. Deuxièmement, la technicité du sujet. La concertation l'a montré, l'accessibilité est un dossier d'une grande complexité, sur lequel il est très difficile de trouver un équilibre entre les positions des uns et des autres. Nous y sommes parvenus, mais la confiance mutuelle demeure fragile. Troisièmement, l'approbation unanime du monde associatif qui voit, dans cette méthode, le seul moyen de mettre rapidement en place les outils nécessaires à la poursuite de la dynamique en cours.
J'en viens à présent au projet de loi d'habilitation à proprement parler, qui se compose de quatre articles.
L'article 1er habilite le Gouvernement à créer, pour les ERP, le nouveau dispositif des Ad'AP. Au-delà du contenu de l'agenda, l'ordonnance définira les procédures applicables à son dépôt, à sa validation et au suivi de l'avancement des travaux prévus. Elle précisera également les délais de réalisation des actions de mise en accessibilité et le régime des sanctions administratives encourues en cas de non-respect des engagements pris. L'article 1er permet également d'adapter, sur la base des recommandations de la concertation, certaines obligations législatives prévues par la loi de 2005 en matière d'accessibilité des ERP et des bâtiments d'habitation.
L'article 2 habilite le Gouvernement à instituer, pour les services de transport public de voyageurs (routier et ferroviaire), un dispositif comparable à celui de l'Ad'AP pour les ERP : le schéma directeur d'accessibilité - agenda d'accessibilité programmée ou SDA/Ad'AP. Sur le modèle de l'article 1er, l'ordonnance définira l'ensemble des procédures applicables au SDA/Ad'AP (contenu, dépôt, validation, suivi, délais, sanctions, etc.). Prenant appui sur les conclusions de la concertation, l'article 2 prévoit aussi une habilitation pour adapter les exigences incombant aux services de transport public de voyageurs en matière de points d'arrêt et d'accessibilité du matériel roulant.
L'article 3 habilite le Gouvernement à prendre diverses mesures relevant du domaine de la loi et correspondant aux préconisations de la concertation, parmi lesquelles : l'assouplissement, pour les petites communes, de l'obligation d'élaborer un plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics (Pave) ; l'autorisation plus large des chiens guides d'aveugle et les chiens d'assistance des personnes handicapées dans les transports et les lieux publics ; l'élargissement de la composition et des missions des commissions communales et intercommunales pour l'accessibilité aux personnes handicapées, ainsi que le changement de leur dénomination ; la création d'un fonds dédié à l'accompagnement de l'accessibilité universelle, dont les ressources proviendront des sanctions financières prononcées dans le cadre des Ad'AP et des SDA/Ad'AP ; l'adaptation à l'outre-mer de certaines des mesures prévues aux articles 1 à 3.
Enfin, l'article 4 fixe à cinq mois, suivant la publication de la loi, le délai dans lequel les ordonnances devront être prises par le Gouvernement. Il fixe également à cinq mois, à compter de la publication de chaque ordonnance, le délai de dépôt du projet de loi de ratification correspondant. Le Gouvernement a d'ores et déjà fait part de son intention de publier les ordonnances au début de l'été.
Je souhaite, pour finir, insister sur un point qui me paraît fondamental et sur lequel je suis revenue à plusieurs reprises lors des travaux de concertation : le nécessaire effort de pédagogie et de communication.
Le chantier de l'accessibilité a, jusqu'à présent, assurément pâti d'un manque d'accompagnement des acteurs de terrain. Ne reproduisons pas les mêmes erreurs. Le nouveau dispositif des Ad'AP aura besoin d'être expliqué tant aux professionnels, qu'aux personnes handicapées et à leurs représentants associatifs locaux. Je suis d'autant plus convaincue de l'utilité de cette démarche que j'ai pu constater combien la diffusion d'informations erronées pouvait avoir des effets dévastateurs. Ainsi, en février dernier, lorsque les conclusions de la concertation ont été présentées et que les arbitrages gouvernementaux ont été rendus, les différents délais de mise en oeuvre des Ad'AP ont été présentés par certains médias comme un report de dix ans de l'échéance de 2015, interprétation qui ne repose évidemment sur aucun fondement.
Conscient de cet enjeu de communication, le Gouvernement a décidé d'agir dans trois directions : le recrutement dès cette année, dans le cadre du service civique, de 1 000 ambassadeurs de l'accessibilité qui auront pour tâche de faire connaître la réforme ; la mise en place d'un accompagnement financier des collectivités locales et des entreprises par la Caisse des dépôts et consignations et la Banque publique d'investissement ; le lancement, dans les prochaines semaines, d'une campagne de communication d'abord à destination des professionnels, puis à destination du grand public.
En tant que nouvelle présidente de l'Obiaçu, je m'impliquerai personnellement dans ce combat car il en va de la cohésion et de l'avenir de notre société.
Il n'est pas acceptable que nous examinions dans une telle précipitation ce projet de loi qui porte sur un sujet majeur pour notre société. Le délai limite pour le dépôt des amendements est fixé au jeudi 24 avril, en pleine suspension de nos travaux, et l'examen en séance publique interviendra le lundi 28 avril, jour de la reprise ! Par ailleurs, nous examinons ce projet de loi alors que notre collègue Jean-Pierre Vial vient de présenter devant la délégation aux collectivités territoriales un rapport sur les normes d'accessibilité ; nous n'avons pu encore prendre connaissance de toutes ses préconisations. Ne disposant pas de toutes les informations, le groupe UMP ne prendra pas part au vote aujourd'hui.
Nous partageons tous cet agacement ; le calendrier qui nous est imposé n'est pas acceptable. Ce projet de loi est issu d'un long travail de notre rapporteure que je tiens à féliciter. Notre groupe s'abstiendra aujourd'hui car il n'a pas eu le temps nécessaire pour examiner le texte en profondeur, mais cela ne préjuge en rien de son vote le 28 avril.
A mon tour de déplorer la précipitation sur ce dossier tout en félicitant notre rapporteure pour son travail remarquable, sur un dossier compliqué.
Il n'est pas question dans ce projet de loi des monuments historiques, ni des secteurs sauvegardés : devront-ils se mettre aux normes ? L'accès des personnes handicapées devra-t-il se faire obligatoirement par l'entrée principale ? Certains estiment que prévoir une entrée secondaire s'apparente à une forme de discrimination. Dans ce texte, parle-t-on d'accessibilité globale, prenant en compte tous les types de handicap, ou seulement partielle ? Enfin, quels sont les seuils démographiques retenus pour les Pave ? Les maires des petites communes rurales sont impatients de le savoir...
Je remercie Claire-Lise Campion pour son travail considérable. Nous sommes au pied du mur... Et encore loin de l'accessibilité universelle ! Les lois de 1975 et de 2005 ont suscité beaucoup d'espoirs, aujourd'hui déçus. Ce projet de loi prolonge les délais et prévoit des assouplissements, voire des dérogations. Je regrette le recours aux ordonnances car un débat parlementaire aurait été indispensable. Certaines associations craignent que les nouveaux délais ne soient, à leur tour, pas tenus.
Enfin, ce projet de loi ne comporte pas de volet financier, notamment pour les collectivités locales qui sont pourtant dans une situation exsangue. Si le Gouvernement ne les aide pas, un nouvel échec est à craindre.
Merci à notre rapporteure. Le sujet doit être pris très au sérieux, il nous engage, nous qui sommes des élus. Les Ad'AP sont le fruit de la concertation et du volontarisme. Les collectivités aussi devront s'engager financièrement et arrêter une programmation des travaux, sous peine de pénalités. Mon groupe votera ce projet de loi d'habilitation.
Je félicite également Claire-Lise Campion pour son travail approfondi.
L'article 2 institue pour les services de transports publics de voyageurs un schéma directeur d'accessibilité - agenda d'accessibilité programmée. Les ordonnances préciseront la procédure de mise en oeuvre de ce nouvel outil. Mais sachant que plusieurs acteurs seront concernés, des possibilités de mutualisation seront-elles prévues ? Par exemple, dans les gares routières, il faut accueillir non seulement les bus des réseaux publics, mais aussi ceux des réseaux privés. Or nous sommes dans le flou concernant les responsabilités de chacun. Comme l'argent public se fait rare, ces ordonnances devront prévoir les modalités pratiques de contractualisation entre les divers opérateurs.
Par ailleurs, l'Etat va-t-il se montrer exemplaire en matière d'accessibilité de ses propres espaces ?
Le Gouvernement nous demandant de nous prononcer dans un temps très court, je vais transmettre votre communication pour faire réagir les acteurs de terrain, dans mon département.
Je salue le travail de notre rapporteure, mais partage les réserves de mes collègues sur le recours aux ordonnances. Je m'insurge également contre les différences de traitement : les élus locaux pourront être frappés par des sanctions pénales alors que l'Etat n'assume pas ses responsabilités. Qu'il dise quelle part il entend prendre dans ce chantier ! Il annonce une nouvelle ponction de 10 milliards d'euros sur les collectivités, après 4,5 milliards. Dotations en baisse, nouvelles péréquations, calendrier de travaux : de quelles enveloppes disposeront-elles, alors même que l'on parle de disparition des départements ?
J'approuve la remarque de Gilbert Barbier sur le patrimoine : j'ai été confronté à l'accessibilité dans un musée du XVIIe siècle, où il a fallu installer des ascenseurs...
Rien n'a été dit sur les professions libérales, souvent installées dans des copropriétés qui refusent de financer les travaux. L'ordonnance devra donc faire l'objet d'une attention toute particulière pour éviter que l'Etat n'impose des sujétions rigoureuses sans donner les moyens correspondants.
Je dis toute ma sympathie à notre rapporteure qui a beaucoup travaillé sans même connaître le contenu exact de ce projet de loi, triomphe de la technocratie sur la démocratie. L'Etat fixe les règles et laisse aux élus locaux le soin... de se débrouiller, sans leur en donner les moyens. Cela me révolte. L'étau se resserre sur les collectivités. Les Pave feront travailler les bureaux d'étude, les conseils généraux valideront les documents à la chaîne : ces dossiers coûteront aux collectivités des milliers d'euros, mais elles en ont besoin pour obtenir des subventions pour leurs voiries.
Vous parlez, madame la rapporteure, d'engagements volontaires. Mais il s'agit d'engagements obligatoires ! J'espère que ces schémas ne seront pas trop compliqués et que nous pourrons éviter de faire appel une fois de plus à des bureaux d'étude.
Certes, les débats vont être précipités. Mais pourquoi a-t-il fallu attendre 2012, avec le travail réalisé par Claire-Lise Campion, pour se rendre compte que la loi de 2005 était mal et peu appliquée ? Nous avons un retard énorme à rattraper. Ne faisons pas de mauvais procès au Gouvernement. Le recours aux ordonnances doit être exceptionnel mais nous sommes face à une urgence, que notre rapporteure a rappelée.
Comment les dérogations seront-elles accordées ? Comment éviter que les délais soient allongés au-delà du raisonnable ? Les pénalités seront-elles progressives, tiendront-elles compte du budget des collectivités ? Comment organiser la vigilance démocratique, afin d'éviter de nouveaux retards, que l'on découvrira a posteriori, quand ils se seront accumulés ? Le coût des travaux de l'accessibilité dans les transports publics sera très élevé. Des arbitrages seront nécessaires. Nous devrons nous interroger : les personnes handicapées sont-elles, oui ou non, des citoyens à part entière ?
Lors de l'évaluation du texte de 2005, tout le monde s'est félicité des avancées. A l'époque, j'avais dit que les délais seraient difficiles à tenir. Certes, beaucoup de collectivités ont engagé des travaux, mais les élus locaux sont confrontés à des impossibilités techniques et à des normes qui défient le bon sens. Comment adapter les rues d'un village de charme ? Faut-il vraiment créer dans les stades des vestiaires pour les arbitres handicapés, qui seront utilisés au mieux une fois par an ? Le pragmatisme doit l'emporter.
A mon tour, je félicite notre rapporteure. La loi oblige les établissements touristiques à se conformer à de nouvelles normes d'accessibilité. Comment les hôtels installés dans des bâtiments historiques peuvent-ils satisfaire ces normes ? Sans adaptations réglementaires, nous courons à la catastrophe économique et sociale dans ce secteur d'activité. Les représentants de l'hôtellerie ont participé à la concertation nationale : prenons en compte leurs revendications, car ils doivent consentir un effort considérable sur les équipements.
Je suis déçue que nous soyons forcés d'avancer à la va-vite, alors que nous avions tant travaillé sur notre rapport il y a deux ans. Que deviennent nos propositions ? Pourquoi légiférer par ordonnances alors qu'il fallait remettre à plat toutes les normes d'accessibilité ? Nous savions que le 1er janvier 2015 serait intenable...
Relisez le compte-rendu de nos débats d'alors. Il est inexact de dire que la loi de 2005 n'a pas été suivie d'effets. Le Gouvernement souhaite publier les ordonnances avant l'été, avez-vous dit. Mais quel Gouvernement ? Celui de Jean-Marc Ayrault ou celui de Manuel Valls ? Qui va procéder aux contrôles ? Comment seront formés les contrôleurs ?
Je ne reviens pas sur les délais : la conférence des présidents a fixé le cadre des débats.
Ce projet de loi ne comporte aucune nouvelle sanction, ni nouvelle contrainte. Demeurent celles de la loi de 2005, et rien que celles-là, comme l'a rappelé le Premier ministre lors de la conclusion de la concertation. Aujourd'hui, nous voulons éviter un échec qui aurait des conséquences catastrophiques pour les personnes handicapées. En outre, il est temps de prendre en compte le vieillissement de notre société : nos aînés doivent pouvoir continuer à vivre de façon autonome le plus longtemps possible.
La loi de 2005 fixait des objectifs ambitieux. Le délai de dix ans, alors, paraissait long. Des échéances intermédiaires avaient été prévues, 2008 pour les schémas départementaux d'accessibilité des transports, 2011 pour les universités et les services de l'Etat... Deux conférences nationales sur le handicap ont été tenues entre 2005 et 2011. Cependant, nous n'avons sans doute pas suffisamment accompagné les acteurs de terrain dans la mise en oeuvre de la loi.
Je rappelle que celle-ci prévoyait trois dérogations, qui hélas ne sont pas connues sur le terrain. Nous-mêmes, qui les avions votées, les avons presque oubliées ! Ces dispenses s'appliquent aux bâtiments relevant du patrimoine historique, aux cas d'impossibilité technique, et à ceux où la distorsion est trop importante entre la charge financière et le résultat. La dérogation doit être demandée à la commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité (CCDSA) compétente, présidée par le préfet et associant, outre les services de l'Etat, les associations de personnes handicapées, les acteurs économiques, commerçants notamment. J'indique d'ailleurs que la représentativité de cette instance sera améliorée car y siègeront désormais les représentants des personnes âgées.
Aucun parlementaire n'apprécie la procédure des ordonnances. Mais celle-ci intervient à la suite d'un processus de concertation nationale sans précédent. Après les différentes étapes - notre rapport sénatorial en 2012, ma mission en 2013 - il était indispensable que l'ensemble des acteurs aient un temps d'écoute et d'échange. Il fallait comprendre l'attente des personnes handicapées, mais aussi les difficultés à faire des opérateurs publics et privés. La concertation a été la plus large possible, rassemblant hôteliers, restaurateurs, commerçants, professions libérales, collectivités, association des maires de France (AMF), assemblée des départements de France (ADF), association des régions de France (ARF), assemblée des communautés de France (ADCF), association des maires ruraux (ADMF)...
Nous avons veillé à l'égalité de traitement entre acteurs publics et privés : l'Etat a les mêmes responsabilités que le secteur privé et doit se montrer exemplaire. Les représentants de l'hôtellerie, de la restauration et du commerce ont pris une part active dans la concertation, affichant leur volontarisme et formulant de nombreuses propositions, même après la fin de la concertation. Les représentants des collectivités ont également été très constructifs. Nous étions à un tournant, car en 2015 les sanctions pénales prévues par la loi de 2005 s'appliqueront et les premières condamnations interviendront ! Il faut aller vite. Le Gouvernement a choisi de préserver tout le contenu de la loi de 2005 et de chercher des solutions complémentaires pour accompagner les professionnels. Par exemple, la loi impose pour les allées des ERP existants une largeur de 1,40 mètre : cette obligation est maintenue pour les allées principales, non pour les allées secondaires. C'est un détail, mais il est essentiel, car cette norme peut entraîner une perte de chiffre d'affaires, alors qu'un fauteuil électrique passe sans encombre dans une allée un peu moins large.
Les règles relatives aux Pave seront précisément définies dans l'ordonnance. Les communes de 500 à 1000 habitants élaboreront un Pave limité aux sections reliant les pôles générateurs de déplacement dans la commune. Les communes de moins de 500 habitants auront la faculté, mais non l'obligation d'élaborer un tel plan. Nous avons gardé à l'esprit la situation des communes rurales. L'allègement, la simplification, la facilité à faire, tels sont les principes pragmatiques qui ont guidé notre travail.
S'agissant des SDA/Ad'AP, la possibilité de désigner une autorité chef de file est prévue. Bien sûr, je ne sous-estime pas la donne financière. Mais des aides de la Caisse des dépôts et consignations, ainsi que de la Banque publique d'investissement sont bien prévues. Des conventions vont être signées tout prochainement.
J'ai été auditionnée par la délégation aux collectivités territoriales il y a quelques mois. Le rapport de notre collègue Jean-Pierre Vial sur les normes d'accessibilité n'ayant été présenté qu'hier après-midi, je n'ai pas eu le temps d'en prendre connaissance dans le détail.
Enfin, en tant que présidente de l'Obiaçu, je souhaite que cette institution dédiée à l'accessibilité universelle travaille désormais sur des sujets comme la recherche et l'innovation ou l'accompagnement des acteurs de terrain.
Le projet de loi est adopté sans modification.
La commission désigne M. Jacky Le Menn comme rapporteur du projet de loi n° 423 (2013-2014) relatif à la désignation des conseillers prud'hommes.
La réunion est levée à 12 h 47.