Je tiens, en préambule, à remercier Sylvia Pinel et ses collaborateurs, avec qui nous avons travaillé sur ce texte avant le changement de gouvernement, ainsi que vous-même, monsieur le ministre, pour avoir repris ce projet de loi à bras-le-corps. Je vous prie de transmettre mes vœux de prompt rétablissement à Valérie Fourneyron, nouvelle secrétaire d'État chargée du commerce et de l'artisanat.
Outre des dispositions ponctuelles relatives aux réseaux consulaires, au FISAC ou au statut de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, ce texte aborde quatre sujets principaux : le régime des baux commerciaux, l’harmonisation des régimes fiscal et social de la très petite entreprise, la définition du champ de l’artisanat et, enfin, la législation de l’urbanisme commercial.
À travers le traitement de ces sujets, relativement indépendants les uns des autres, s’exprime une même volonté : celle de créer des conditions favorables au développement du tissu des petites entreprises qui maillent l’ensemble du territoire et assurent à la population une offre de proximité, ainsi que de nombreux emplois peu délocalisables.
Je rappelle que l’artisanat représente près du tiers des entreprises du secteur marchand, 3 millions d’emplois, dont 2 millions d’emplois salariés, et plus de 100 milliards d’euros de valeur ajoutée par an. Quant au commerce, il offre 3 millions d’emplois salariés. Au total, ces deux ensembles constituent 15 % du PIB français.
Je rappelle aussi la place prépondérante qu’occupent les très petites entreprises dans ces deux secteurs. Dans le secteur artisanal, les structures de moins de dix salariés représentent plus de 95 % du total des entreprises. Même si, dans le commerce, la situation est plus contrastée, puisqu’on y trouve de grands groupes, le petit commerce de proximité compte encore plus de 300 000 très petites entreprises.
Il est donc essentiel de créer des régulations spécifiques pour ce secteur de notre économie d’importance stratégique.
Un des outils historiques de cette régulation est le régime des baux commerciaux. Ce régime offre déjà aux commerçants des règles protectrices pour garantir la pérennité de l’exploitation commerciale, telles que le droit au renouvellement du bail, des règles de plafonnement des loyers ou encore le droit de céder le bail en cas de cession du fonds de commerce.
Le projet de loi vise à conforter, à moderniser et à simplifier ce régime protecteur, par des mesures nouvelles fortes que M. le ministre vient de rappeler : obligation d’établir un état des lieux d’entrée et de sortie ; obligation de réaliser un inventaire des charges et de préciser leur répartition entre le preneur et le bailleur, dans un triple objectif de transparence, de proportionnalité et d’équilibre des charges entre bailleurs et locataires ; lissage des augmentations de loyer dans les cas où le plafonnement ne s’applique pas ; droit de préférence pour le commerçant en cas de cession des locaux loués.
Je l’ai souligné en commission la semaine dernière et je le rappelle aujourd’hui, la principale difficulté posée par cette partie du texte est que ses dispositions s’appliquent à des formes d’activités souvent très différentes. Un régime protecteur qui limite assez fortement le droit de propriété du bailleur se justifie, incontestablement, pour des petits commerçants indépendants de centre-ville en situation de faiblesse économique, mais les baux commerciaux s’appliquent également à des formes de commerces qui possèdent un pouvoir de négociation important face aux bailleurs et sont même parfois en position de force par rapport à eux.
Au-delà encore, les baux commerciaux peuvent concerner des activités de logistique ou de bureaux, très éloignées d’une activité commerçante. En raison du caractère universel de ce régime, il y a donc un risque d’étendre les nouvelles protections à des situations pour lesquelles elles ne sont ni économiquement pertinentes ni politiquement justifiées.
Les députés ont entrepris de corriger les problèmes de ciblage originels du texte, en recentrant les protections nouvelles sur les acteurs qui ont vocation à en bénéficier. L’équilibre trouvé par l’Assemblée nationale est le bon.
C’est pourquoi, la semaine dernière, la commission des affaires économiques a simplement adopté des amendements destinés à sécuriser le dispositif, en encadrant l’exercice du droit de préférence dans les centres commerciaux ou en apportant des clarifications sur la répartition des charges entre locataires et bailleurs.
Certains des amendements que nous examinerons visent, cependant, à étendre ces nouvelles protections aux commerçants des centres commerciaux, au motif que, dans ces centres, on ne trouve pas que des géants du commerce, mais aussi une part minoritaire de commerces indépendants de taille relativement modeste. Il me semble que, en allant dans cette direction, on créerait surtout un effet d’aubaine en faveur des grands commerces, au risque de perturber gravement l’équilibre d’ensemble de l’économie des centres commerciaux et de déstabiliser l’investissement immobilier commercial. Les commerçants les plus modestes des centres commerciaux risqueraient de ne pas être gagnants à terme, car les bailleurs exigeraient probablement des droits d’entrée importants pour compenser l’insécurité accrue de leurs investissements.
Concernant la réforme du régime de la micro-entreprise, nous sommes arrivés également à un texte d’équilibre et d’apaisement. Artisans et auto-entrepreneurs sont assez satisfaits de la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, qui préserve, et même approfondit, la simplicité fondamentale du régime de l’auto-entreprise, tout en soumettant cette dernière à des obligations qui permettent d’éviter le risque, bien identifié, de distorsion de concurrence, de sous-déclaration de l’activité, voire de dissimulation du travail salarié.
Sur la base des préconisations du rapport de nos collègues Philippe Kaltenbach et Muguette Dini et de celui du député Laurent Grandguillaume, le Gouvernement a posé les fondements d’un régime unique de la micro-entreprise, en fusionnant le régime micro-social et le régime micro-fiscal. L’article 12 du projet de loi vise à soumettre, par principe, les micro-entrepreneurs au paiement des cotisations minimales de droit commun, mais l’article 12 ter, lui, prévoit la possibilité d’opter pour le non-paiement de ces cotisations minimales, préservant ainsi le principe du « pas de chiffre d’affaires, pas de cotisation ». Par défaut, les micro-entrepreneurs ne seront pas soumis aux cotisations minimales, sauf s’ils souhaitent disposer d’une meilleure protection sociale et formulent une demande spécifique en ce sens.
En contrepartie de ces avancées, tous les bénéficiaires du régime simplifié seront soumis à l’obligation d’immatriculation. En outre, ils ne seront plus dispensés de stage de préparation à l’installation, pour les auto-entrepreneurs de l’artisanat, et il sera mis un terme à l’exonération, au bénéfice des auto-entrepreneurs, des taxes pour frais de chambres consulaires.
Au total, l’alignement des différents régimes rendra plus aisé le passage des micro-entreprises ayant un potentiel de développement vers le régime au réel. Cette transition sera encore facilitée par des dispositifs d’accompagnement restant à mettre en œuvre.
Concernant la réforme du statut de l’artisanat, le texte prévoit d’apporter des clarifications bienvenues, qui répondent aux intérêts tant des artisans que des consommateurs.
Le projet de loi vise à établir que seules pourront se prévaloir de la qualité d’artisan les personnes qui possèdent un certain niveau de qualification professionnelle. L’obligation d’inscription sur le registre des métiers pour l’exercice des activités totalement libres ne permettra plus automatiquement de se dire artisan.
Autre progrès, la vérification sur pièces des qualifications est désormais autorisée pour les chambres de métiers.
Sur cette partie du texte, la commission des affaires économiques a adopté plusieurs amendements qui, selon nous, confortent les avancées que j’ai décrites.
Un amendement a permis de prendre en compte la vérification de la qualification des coiffeurs, qui avaient été oubliés parce que leur statut n’est pas régi par la loi de 1996.
Un autre amendement a permis d’étendre la vérification des qualifications requises dans deux cas importants : celui où une entreprise déjà existante modifie son domaine d’activité et celui où la qualification est détenue non pas par le chef d’entreprise, mais par un salarié.
Enfin, l’adoption d’un troisième amendement a permis de mieux cibler l’obligation faite aux artisans de prouver qu’ils ont souscrit les assurances obligatoires. Cette obligation portera sur le seul cas qui intéresse directement les consommateurs, à savoir la garantie décennale en matière de travaux de construction.
J’en viens maintenant à la réforme de l’urbanisme commercial.
Sur la forme, il est un peu dommage qu’il n’y ait pas eu de rapport préparatoire sur ce sujet, permettant une réflexion préalable partagée. Il est regrettable, aussi, que la discussion se soit engagée au Parlement sur un texte incomplet. Les dispositions clés de la réforme ne figuraient en effet pas dans le texte initial. Elles ont été introduites en partie dans le projet de loi ALUR, avant d’en être retirées, à la demande du Sénat, et plus particulièrement du rapporteur du texte, Claude Bérit-Débat. Elles ont ensuite été de nouveau introduites, à l’Assemblée nationale, dans le projet de loi relatif à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, et modifiées par voie d’amendement gouvernemental. Au final, nous avons le sentiment que les choses n’ont peut-être pas été mises à plat comme elles auraient dû l’être.
Sur le fond, le texte proposé vise avant tout à simplifier l’existant, sans pour autant le bouleverser. Il n’y a pas d’intégration de l’urbanisme commercial dans l’urbanisme de droit commun, puisque l’ensemble des dispositions figurant dans le code de commerce sont maintenues : obligation d’obtenir une autorisation d’exploitation pour les projets commerciaux les plus significatifs, maintien des commissions départementales d’aménagement commercial, les CDAC, maintien de la Commission nationale d’aménagement commercial…
La réforme est en fait avant tout procédurale : elle prévoit que, pour les projets nécessitant la délivrance d’un permis de construire en sus de l’autorisation d’exploitation commerciale, le permis pourra tenir lieu d’autorisation d’exploitation. La prise de position de la CDAC ou de la CNAC est ramenée au rang d’avis conforme, que l’on peut considérer comme un acte préparatoire à la délivrance du permis de construire. Désormais, seul ce dernier est attaquable devant le juge administratif, ce qui permettra d’« économiser » le temps du recours contre la décision de la CNAC devant la cour d’appel, puis devant le Conseil d’État, soit un gain de plusieurs mois.
Un second avantage est que la procédure intégrée garantit une meilleure cohérence entre la décision prise sur le fondement du code de commerce et celle prise en application du code de l’urbanisme. Il était courant que le projet faisant l’objet de la demande de permis de construire ne corresponde pas à celui autorisé par la CDAC. Ce ne sera désormais plus possible.
Outre cette réforme de la procédure d’autorisation, le texte comprend aussi une réforme de la composition et des critères de décision de la CDAC. Il prévoit une augmentation du nombre des membres de droit qui y siègent de manière permanente, de façon à donner plus de cohérence aux décisions de la commission à travers le temps. Il prévoit également l’introduction d’un nouveau type de critères relatifs à la protection du consommateur.
Enfin, le projet de loi comporte une réforme du statut et de la composition de la CNAC. Cette dernière devient une autorité administrative indépendante, et son collège passe de huit à douze membres. Elle se voit dotée, en outre, d’un pouvoir d’auto-saisine pour les projets de plus de 20 000 mètres carrés.
Sur cette partie du texte, la commission a adopté plusieurs amendements que nous lui avons présentés : l’articulation du schéma de cohérence territoriale, le SCOT, avec le travail de la CDAC et la procédure de délivrance du permis de construire a été précisée, afin de donner au SCOT toute sa portée ; la composition de la CDAC et de la CNAC a été modifiée afin d’assurer la représentation de l’échelon intercommunal ; les litiges portant sur le permis de construire tenant lieu d’autorisation d’exploitation commerciale ont été renvoyés directement à la cour administrative d’appel, afin d’accélérer le temps des procédures contentieuses ; la nature des critères de décision de la CDAC relatifs à la protection des consommateurs a été précisée.
Nous aurons l’occasion d’examiner, dans la suite du débat, plusieurs amendements tendant à « muscler » un peu cette réforme de l’urbanisme commercial. Il s’agit notamment de renforcer le volet commercial du SCOT et de prendre pour référence des seuils de saisine de la CDAC la surface de plancher plutôt que la surface de vente.
Avant de conclure, je souhaite remercier les rapporteurs pour avis de la commission de la culture et de la commission des lois, Didier Marie et Nicole Bonnefoy, de leur contribution très positive à l’élaboration du texte qui est aujourd’hui soumis au Sénat.
Au total, ce projet de loi privilégie une approche pragmatique pour lever certains freins au développement du monde de l’artisanat et du petit commerce, et pour corriger quelques-uns des déséquilibres qui pourraient le menacer. C’est pourquoi je proposerai au Sénat de l’adopter tel que modifié par les amendements que nous aurons pu approuver au cours des débats.