Intervention de Didier Marie

Réunion du 16 avril 2014 à 14h30
Artisanat commerce et très petites entreprises — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication n’avait initialement que peu de raisons de se pencher sur le projet de loi relatif à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises dans sa version déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 29 janvier dernier, et moins encore de s’en saisir pour avis.

L’introduction sur l’initiative du Gouvernement, en commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, d’un article 24 bis nouveau concernant le régime d’autorisation applicable à l’implantation d’établissements cinématographiques, puis, en séance publique, des alinéas 28 à 30 de l’article 9, relatifs à la définition des métiers d’art, a modifié notre analyse et nous a conduits à nous saisir de ces dispositions.

L’article 9, tout d’abord, a trait à la qualification professionnelle et à la définition de la qualité d’artisan. Il modifie plusieurs dispositions de la loi du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat, pour redéfinir plus clairement les critères permettant de qualifier un artisan.

Lors de l’examen du texte en séance publique, l’Assemblée nationale a adopté un amendement, soutenu par votre prédécesseur, monsieur le ministre, visant à permettre enfin d’identifier clairement les entrepreneurs artisans relevant des métiers d’art et pouvant être qualifiés d’« artisans d’art ».

Aujourd’hui, la frontière entre artisans traditionnels et artisans d’art est floue, et aucun élément de définition ne permet de les distinguer de façon certaine au sein des 217 métiers répertoriés, depuis 2003, dans l’arrêté dit « Dutreil » fixant la liste des « métiers de l’artisanat d’art ».

On trouve entre autres professionnels, dans cette liste, les imprimeurs d’estampes, les doreurs sur métal, les ébénistes ou les peintres sur porcelaine. Comme l’a souligné une étude du ministère de l’économie datant de 2009 et mise en ligne par l’Institut national des métiers d’art, un métier peut relever de plusieurs activités différentes et correspondre à des entrepreneurs ne relevant absolument pas des métiers d’art. L’approche « métier » est donc aujourd’hui insuffisante pour identifier les artisans d’art, ce qui explique la difficulté rencontrée pour obtenir des études statistiques fiables et, surtout, pour identifier sans équivoque les artisans pouvant bénéficier du crédit d’impôt en faveur des métiers d’art.

Au cours des auditions que nous avons menées, j’ai pu constater combien le sujet mobilisait de nombreux acteurs du secteur de l’artisanat et au-delà. Ces auditions me permettent de dresser aujourd’hui trois constats.

Tout d’abord, la définition, dans la loi, du sous-ensemble des entreprises d’artisanat d’art au sein des métiers d’art répond aux attentes du secteur, soucieux de définir son périmètre et sa spécificité, afin de pouvoir enfin bénéficier de politiques de soutien ciblées et pertinentes.

Ensuite, d’autres témoignages ont montré une méconnaissance des règles en vigueur chez certains acteurs et une confusion quant à la portée de cette définition. Plusieurs de nos interlocuteurs ont exprimé la crainte qu’elle n’exclue bon nombre de professionnels du secteur des métiers d’art. Il me paraît important de redire que le dispositif proposé ne concerne que l’artisanat et que le présent texte n’a pas vocation à définir tous les autres pans de la création relevant également des métiers d’art. Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir lorsque le projet de loi sur la création sera soumis à notre examen.

Enfin, des inquiétudes tout à fait légitimes relatives au choix des termes utilisés pour définir les artisans relevant des métiers d’art ont été exprimées. C’est la raison pour laquelle la commission de la culture a adopté un amendement de réécriture partielle de l’alinéa 29 de l’article 9, qui permet de lever les quelques ambiguïtés que la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale pouvait soulever, notamment quant à la dimension artistique des métiers d’art.

En outre, je crois que les professionnels de la culture seraient plus sereins si vous pouviez confirmer, monsieur le ministre, que cette disposition relative aux artisans d’art n’interférera en aucun cas avec le code du patrimoine.

Ainsi conçu, ce nouvel élément de définition des artisans d’art devrait rassurer l’ensemble des professionnels et permettre à la France de poursuivre efficacement sa politique de soutien aux métiers d’art, cette spécificité française, apparue au XIIIe siècle, qui a permis de faire vivre, pendant plusieurs siècles, le génie français. Je suis heureux que nous nous apprêtions à mettre nos pas dans ceux d’Henri IV, de Louis XIV ou de Bonaparte, qui ont su donner ses lettres de noblesse à cette tradition séculaire faisant la renommée de notre pays et représentant aujourd’hui un secteur d’activité fort de 38 000 entreprises et de plus de 50 000 emplois, pour un chiffre d’affaires annuel de plus de 3, 5 milliards d’euros.

J’en viens maintenant à l’article 24 bis.

Je crois pouvoir dire que, au-delà de nos diverses sensibilités politiques, nous sommes tous très attentifs à l’économie du secteur du cinéma, tant celui-ci tient une place fondamentale dans le contenu de l’exception culturelle à la française.

À ce titre, la commission de la culture avait d’ailleurs organisé une table ronde sur ce sujet en février 2013. De même, il y a deux mois, nous avons eu l’occasion d’évoquer l’avenir du cinéma français en séance plénière.

L’article 24 bis du projet de loi a un objet plus limité, en ce sens qu’il se résume à la transposition dans le code du cinéma et de l’image animée des dispositions relatives au régime d’autorisation applicable à l’implantation d’établissements cinématographiques actuellement dispersées entre le code du cinéma et le code de commerce. Mais il doit aussi être replacé dans le cadre plus large des réflexions que j’évoquais à l’instant. Les amendements déposés témoignent d’ailleurs des préoccupations de nos collègues à ce sujet.

La réglementation relative à l’aménagement cinématographique a été élaborée, à sa création en 1996, par analogie avec le régime applicable à l’ouverture et à l’extension des grandes surfaces commerciales prévu par la loi du 27 décembre 1973 d’orientation du commerce et de l’artisanat, dite « loi Royer ».

Pour répondre aux tentatives récurrentes de contournement du régime d’autorisation, le dispositif a progressivement été renforcé, jusqu’à la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, qui a défini les critères actuellement en vigueur. Sont ainsi soumis à autorisation les projets portant création d’un établissement de plus de 300 places, ainsi que les projets d’extension ou de réouverture au public d’un établissement ayant atteint ce seuil ou ayant vocation à le dépasser.

La réforme de 2008 a également conduit, en application de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, à substituer aux critères économiques des critères relatifs à l’offre culturelle.

L’autorisation d’implantation est donnée par la commission départementale d’aménagement commercial siégeant en matière cinématographique, au regard tant de l’effet potentiel de la réalisation du projet sur la diversité cinématographique dans la zone d’influence concernée que de ses conséquences sur l’aménagement culturel du territoire. En cas de rejet, un recours peut être déposé devant la commission nationale, qui tranche en dernière instance.

L’article 24 bis n’a pas vocation à modifier le dispositif existant, ni à refondre les critères de sélection des projets présentés. Toutefois, je me félicite de ce que les commissions départementales et nationale d’aménagement cinématographique soient consacrées en tant que telles, et non plus seulement comme des émanations ponctuelles des commissions d’aménagement commercial. Accueillir un expert supplémentaire du secteur cinématographique en leur sein, sans modifier le nombre des personnalités qualifiées, est une bonne chose.

Certains d’entre nous pourraient regretter le manque d’ambition de cet article, tant il est vrai que l’aménagement cinématographique des territoires ne se limite pas au dispositif d’autorisation applicable à l’implantation d’établissements. Il entraîne en effet des conséquences en matière de diversité culturelle, d’équilibre concurrentiel entre multiplexes et salles d’art et d’essai et, au-delà, pose la question de l’avenir du modèle économique du secteur cinématographique français.

Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, la commission de la culture est particulièrement attentive à ces problématiques. Elles ont par ailleurs récemment fait l’objet de travaux d’expertise. Je pense notamment au rapport sur le financement de la production et de la distribution cinématographiques à l’heure du numérique remis par René Bonnell en janvier 2014 et au rapport sur le bilan du régime d’autorisation d’aménagement cinématographique issu de la loi de modernisation de l’économie rendu il y a moins d’un mois par notre ancien collègue Serge Lagauche. Il y est question de ciblage des subventions, de réforme de la chronologie des médias et de régionalisation du dispositif d’aménagement cinématographique du territoire. Mais le présent texte, faute du temps nécessaire pour procéder à l’évaluation des propositions des auteurs et à la consultation des professionnels et des élus, ne les met en œuvre, dans la version transmise au Sénat, qu’a minima.

Les récentes discussions entre le Centre national du cinéma et de l’image animée et les ministères concernés ont toutefois permis, ces tout derniers jours, d’avancer sur trois propositions formulées par Serge Lagauche. Il s’agit d’éviter la fermeture des « petits » cinémas, de soumettre à autorisation les extensions permettant à un établissement d’atteindre le seuil de huit salles, mais également de prendre en compte le schéma de cohérence territoriale ou le plan local d’urbanisme, ainsi que la cartographie des établissements existants, pour juger de la pertinence d’un projet.

Ces avancées sont importantes pour le maintien de la diversité cinématographique dans nos territoires et, à titre personnel, je remercie le Gouvernement d’avoir très rapidement mené le travail interministériel préalable permettant aujourd’hui de nous proposer les dispositions législatives nécessaires. Je souhaite qu’elles puissent s’appliquer, grâce à leur introduction dans le présent texte par notre assemblée, dès l’adoption de ce dernier.

Par ailleurs, s’agissant des réformes de plus grande ampleur envisagées au travers des travaux d’expertise que je mentionnais à l’instant, les prochains rendez-vous législatifs, qu’ils concernent les missions des collectivités territoriales en matière culturelle ou l’avenir de la création cinématographique et de son financement, ne pourront faire l’économie d’une réflexion plus approfondie. Notre commission de la culture y veillera.

À ce stade, qui ne concerne, je le rappelle, que le seul régime d’autorisation des implantations de salles, notre commission vous propose de lier plus efficacement l’aménagement cinématographique aux engagements de programmation pris par les exploitants de salles en faveur de la diversité de l’offre. Ainsi, lorsque le projet concerne l’extension d’un établissement existant, un contrôle du respect de l’engagement de programmation souscrit précédemment par l’exploitant devra être réalisé par le Centre national du cinéma et de l’image animée préalablement à l’instruction du dossier et transmis à cet effet à la commission d’aménagement cinématographique compétente. Tel est le sens de l’amendement que la commission de la culture vous proposera d’adopter.

Permettez-moi enfin de dire quelques mots d’un amendement déposé par le Gouvernement, tendant à l’habiliter à prendre par ordonnances, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi, les mesures nécessaires à la création d’un nouveau statut d’établissement d’enseignement supérieur consulaire.

Le sujet avait été évoqué lors de l’examen du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche, l’année dernière. Les écoles de commerce ont été historiquement constituées sous la forme de simples services des chambres de commerce et d’industrie, dépourvus de statut juridique propre. Les principales agences d’accréditation internationales ont recommandé le renforcement de l’autonomie de gouvernance de ces écoles, ce qui a incité certains de leurs dirigeants à opter pour un statut associatif, statut dont la Cour des comptes a souligné les limites en 2013.

La réforme tant attendue n’a pu aboutir lors de l’élaboration de la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, le Gouvernement ayant alors indiqué que la réflexion devait se poursuivre. L’objet de l’amendement présenté à l’occasion de la discussion du présent projet de loi indique que le Gouvernement envisage de créer des « entités autonomes de droit privé dédiées à la gestion de leurs écoles d’enseignement supérieur » et un statut d’établissement d’enseignement supérieur consulaire. Ce nouveau statut comportera des garanties relatives à l’indépendance du corps professoral, sur le plan social, mais également sur le plan patrimonial.

La commission de la culture, bien qu’elle ne se soit pas saisie de cette disposition, a estimé que les mesures envisagées permettraient de consolider l’autonomie de gestion des écoles consulaires, qui pourraient ainsi poursuivre leur développement stratégique dans de meilleures conditions. Elle se félicite donc de cette avancée.

Sous réserve de l’adoption de ses amendements, la commission de la culture a rendu un avis favorable à l’adoption du présent projet de loi.

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