Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis d’un texte très important, puisqu’il concerne l’écrasante majorité des entreprises de notre pays. Celles-ci ont été tout particulièrement évoquées lors de la déclaration de politique générale du nouveau Premier ministre la semaine passée. Aussi, je ne résiste pas à l’envie de le citer : « Nous avons besoin de nos entreprises, de toutes nos entreprises, de nos PME, de nos start-up, de nos artisans. […] Je salue nos entreprises, nos PME et PMI, nos artisans, nos agriculteurs, nos commerçants, qui travaillent dur, qui aiment leur métier. ». Tels sont les propos, très importants, qu’a tenus Manuel Valls.
Les voilà bienheureux, en effet, ces entrepreneurs, d’être l’objet de telles attentions ! Avouez que c’est plutôt nouveau et aussi plutôt réconfortant ! D’ailleurs, monsieur le ministre, vous avez rappelé le désarroi actuel de nombre d’entre eux : les artisans, les petits commerçants, les TPE ayant été les premières victimes de la crise, il est vraiment grand temps de les accompagner et d’essayer de simplifier leur quotidien, en mettant véritablement en œuvre ce fameux choc de simplification tant attendu.
Comme l’a rappelé Mme la rapporteur pour avis Nicole Bonnefoy, et je l’en remercie, c’est en ma qualité de rapporteur pour avis que j’ai présenté, lors de la discussion de la dernière loi de finances, un bilan du statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, l’EIRL.
Créé par la loi du 15 juin 2010 pour offrir un statut protecteur pour le patrimoine familial de l’entrepreneur, l’EIRL, que le présent texte, dans quatre de ces articles – les articles 16 bis à 19 – prévoit de modifier, sera l’objet principal de mon intervention.
Ce statut, jusqu’à présent, n’a pas rencontré le succès escompté. En effet, seuls 18 000 EIRL étaient recensés au 31 août 2013, un chiffre qu’il convient de comparer aux entreprises individuelles, qui sont au nombre de 1, 8 million, et aux 390 000 créations d’entreprises individuelles en 2012.
Alors que le dispositif de la déclaration d’insaisissabilité de la résidence principale, créé en 2003, est plébiscité pour sa simplicité, le statut de l’EIRL est d’une complexité juridique et comptable telle qu’il est peu attractif, d’autant qu’il ne règle pas la question de l’accès au crédit.
Plusieurs facteurs expliquent le relatif insuccès de l’EIRL.
La séparation des deux patrimoines suppose de remplir des formalités et des obligations comptables, et la loi prévoit, dans certains cas, à titre de sanction, la confusion des patrimoines. D’après les auditions que j’ai organisées au cours de l’année 2013, les facteurs psychologiques sont prépondérants en la matière.
Ainsi, un chef d’entreprise qui ne veut pas créer de société et exerce en nom propre, par simplicité, ne choisira pas un statut compliqué, ce que l’on peut comprendre. Pour triviale qu’elle puisse paraître, cette explication me paraît néanmoins sérieuse.
Il reste enfin la question de l’accès au crédit : les banques sont hésitantes à l’égard de l’EIRL. En tout état de cause, elles peuvent toujours demander des garanties au-delà du patrimoine professionnel.
À cet égard, nous pourrions distinguer les prêteurs des autres créanciers professionnels. C’est pourquoi je proposerai deux amendements tendant, d’une part, à ajuster le régime de la déclaration d’insaisissabilité en cas de procédure collective et, d’autre part, à faciliter l’accès au crédit, en instituant une modularité des effets de l’affectation en fonction des créanciers.
L’EIRL apparaît comme un bon système pour les entrepreneurs individuels familiarisés avec les questions juridiques et comptables qui n’ont pas besoin de crédit pour financer leur activité, qui ont des actifs professionnels limités et qui peuvent être très rigoureux dans la séparation de leurs biens personnels et professionnels.
Or ce profil ne semble pas complètement correspondre à celui de la population initialement recherchée, à savoir les artisans. Des pistes d’amélioration sont donc envisageables. Nous pourrions profiter du présent texte pour apporter quelques aménagements.
En effet, alors qu’il avait été annoncé, à l’époque, la création de 100 000 EIRL, nous sommes aujourd’hui bien loin du compte ! Certes, plusieurs mesures de simplification comptable du régime de l’EIRL sont présentées, mais elles ne bouleversent pas grandement son économie générale.
Pourtant, cela fait presqu’un an que nos collègues Muguette Dirai et Philippe Kaltenbach ont déposé un rapport d’information, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, portant évaluation de l’auto-entreprise. Ayant constaté que le principal avantage du statut d’auto-entrepreneur était de ne cotiser qu’en cas de réalisation de chiffre d’affaires, il leur est apparu nécessaire d’harmoniser ce statut avec celui des micro-entreprises, telles que l’EIRL, l’EURL, l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, et la SARL à gérance majoritaire.
Ce panel de statuts disponibles pour les entrepreneurs individuels étant trop large, donc trop compliqué, il fallait profiter du projet de loi relatif à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises pour évoquer ce semi-échec de l’EIRL, afin de le simplifier et d’harmoniser l’ensemble.
Or la mesure prévue à l’article 16 bis, adopté par l’Assemblée nationale, tendant à la remise d’un rapport sur l’établissement d’un statut unique de l’entreprise individuelle dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi recule encore l’échéance de simplification. Cette modification – si elle arrive enfin ! – ne serait donc pas effective avant presque un an.
Il se passera donc presque deux ans entre le constat et les faits pour voir le quotidien de nos entrepreneurs sensiblement amélioré. Au moment où il faut libérer les initiatives et faciliter l’accès à l’entreprise, cela paraît un siècle ; en tout état de cause, c’est beaucoup trop long.
Par ailleurs, les simplifications proposées dans les articles suivants, même si elles sont bienvenues, sont à la marge ; je les soutiendrai cependant.
Je veux parler de la prise en compte par les registres de publicité légale du changement de domicile de l’EIRL, de la prise en compte du bilan pour simplifier l’établissement de la déclaration d’affectation de patrimoine d’un entrepreneur en activité optant pour le statut d’EIRL ou encore de l’allégement des obligations comptables annuelles applicables à l’EIRL.
J’avais formulé toutes ces propositions dans le cadre de l’avis budgétaire précité, et je me réjouis qu’elles soient reprises dans le présent texte.
En outre, il conviendrait peut-être de rendre la déclaration notariée d’insaisissabilité, la DNI, une procédure simple et plébiscitée, plus automatique. Les experts-comptables suggéraient même l’application automatique du régime de l’EIRL à tous les entrepreneurs individuels, le dépôt annuel du bilan valant déclaration d’affectation du patrimoine professionnel.
Je ne veux pas clore mon intervention sans évoquer l’usine à gaz – on est bien loin de l’objectif de simplification affirmé pour nos artisans du bâtiment ! – qu’est le fameux compte personnel de prévention de la pénibilité, qui ouvre des droits pour la retraite.
Les fiches individuelles devront être remplies, poste par poste, par un suivi quotidien de 80 % des salariés, alors que les tâches sont très différentes en fonction des chantiers et des situations.
À l’heure où l’on vante encore et toujours les vertus de la simplification, voilà qui pénalise encore ces entreprises, qui n’ont ni le temps ni les moyens de faire face à cet alourdissement considérable des tâches administratives.
Cependant que l’on ne cesse d’invoquer un retour nécessaire à un minimum de compétitivité, ces contraintes supplémentaires participent à l’aggravation d’une concurrence déloyale dans la mesure où les salariés détachés, comme les entreprises des autres États européens, n’auront pas à remplir ces exigences.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, je suis très inquiet quant au devenir de nos petites entreprises, quels que soient leurs secteurs d’activité, et je ne suis pas certain que le présent texte les soulage tant que cela. Néanmoins, dans ce domaine, il convient de souligner que toute amélioration est bonne à prendre. §