Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 29 avril 2014 à 14h30
Statut des stagiaires — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, voilà maintenant plus de sept ans, au mois de février 2007, je présentais dans cet hémicycle la proposition de loi visant à organiser le recours aux stages que j’avais déposée, avec mes collègues du groupe socialiste de l’époque, au mois de mai 2006. Le fait que nous abordions ce sujet aujourd’hui est un indice, pour ceux d’entre vous, mes chers collègues, qui ne siégeaient pas encore parmi nous, sur le sort qui fut réservé à ce texte ! Je garde en mémoire le débat que celui-ci avait suscité et les interrogations qu’il avait soulevées sur toutes les travées.

En effet, la problématique de l’encadrement des stages était alors nouvelle. Elle était liée à la prise de conscience, partagée par tous, de la nécessité de définir un statut du stagiaire pour mettre un terme aux abus dont les médias se faisaient alors l’écho. Le collectif Génération précaire, qui s’est fait connaître par ses actions coup-de-poing contre les structures recourant manifestement de façon abusive aux stagiaires et par son engagement contre la précarité de ces derniers, est ainsi né au mois de septembre 2005, suivi par la mise en place d’autres organisations associatives. C’est ensuite au mois de mars 2006, à l’occasion de l’examen du projet de loi pour l’égalité des chances, que les premières règles furent posées, en particulier l’obligation de gratification des stages de plus de trois mois.

La reconnaissance de ce phénomène donna lieu à une succession de mesures législatives et réglementaires dont la sédimentation, au fil des années, a abouti certes à conférer des droits nouveaux aux stagiaires, mais également à créer de la confusion parmi les acteurs concernés. Avec l’adoption de pas moins de dix textes apportant des modifications au régime juridique des stages entre 2006 et 2013, il n’est pas étonnant que certains aient eu des difficultés à appréhender le droit en vigueur.

L’un des objets de la présente proposition de loi, déposée à l’Assemblée nationale le 14 janvier dernier par la députée Chaynesse Khirouni, est de rassembler ces dispositions dans une partie dédiée du code de l’éducation, afin d’améliorer leur clarté et leur intelligibilité. Ce texte ne remet aucunement en cause l’avancée majeure qu’a constituée l’accord national interprofessionnel du 7 juin 2011 sur l’accès des jeunes aux formations en alternance et aux stages en entreprise, signé par les partenaires sociaux à l’unanimité, dont la loi Cherpion du 28 juillet 2011 a réalisé la transposition législative, confirmant, notamment, le principe d’une durée maximale de six mois d’un stage.

Comme un stage est toujours inscrit dans un cursus scolaire ou universitaire, il est construit autour d’une relation tripartite entre le stagiaire, l’établissement d’enseignement et la structure d’accueil. Cette relation se matérialise par la convention de stage. Cela peut sembler évident, mais il s’agit là de l’un des atouts du système français. En effet, une récente enquête a montré que, dans l’Union européenne, 35 % des stages ne font pas l’objet d’une telle formalisation juridique.

Par ailleurs, la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche a, pour la première fois, fixé une définition du stage, à savoir « une période temporaire de mise en situation en milieu professionnel au cours de laquelle l’étudiant acquiert des compétences professionnelles qui mettent en œuvre les acquis de sa formation en vue de l’obtention d’un diplôme ou d’une certification. » Elle a également étendu l’obligation de gratification, restreinte en 2009 aux stages de plus de deux mois, à tous les employeurs publics, collectivités territoriales comprises.

La proposition de loi que nous examinons ce jour poursuit le travail engagé l’an dernier par le biais de la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, et concrétise l’engagement de campagne n° 39 du Président de la République. Elle est le reflet de l’évolution des stages depuis le milieu des années 2000, conséquence de la réforme de l’enseignement supérieur et de la professionnalisation croissante des enseignements.

En 2007, lorsque j’ai présenté ma proposition de loi, le nombre de stagiaires était évalué à 600 000. En 2012, le Conseil économique, social et environnemental donnait le chiffre de 1, 6 million. La précision de ces estimations n’est pas absolue, car la multiplicité des situations dans lesquelles un stage peut être réalisé rend leur recensement très complexe. Elles mettent néanmoins en lumière un phénomène indéniable, que chacun de nous a pu constater : la très forte croissance du nombre de stagiaires. Celle-ci appelle une réponse législative globale, qui consiste à mettre en place un cadre juridique stable des stages permettant la poursuite de leur développement, au bénéfice des jeunes comme des entreprises, sans que ce soit au détriment de l’emploi salarié. Je note d’ailleurs, comme vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État, que les évolutions, notamment concernant la gratification, n’ont pas empêché les stages de croître et d’embellir ! C’est peut-être une réponse à ceux qui s’inquiètent, selon moi à tort…

Je ne serai pas redondant avec votre présentation, aussi je traiterai des aspects du texte qui me semblent essentiels et qui ont justifié, la semaine dernière, son adoption par la commission des affaires sociales. Cette proposition de loi repose sur un double processus de responsabilisation : premièrement, des établissements d’enseignement ; deuxièmement, des organismes d’accueil des stagiaires.

J’évoquerai d’abord la responsabilisation des établissements d’enseignement dans l’accompagnement du stagiaire et le suivi du déroulement pédagogique du stage.

Trop souvent, l’implication des établissements d’enseignement supérieur dans ce processus se limite à la signature d’une convention-type, sans autre forme de suivi. Ce n’est pas le cas dans le secondaire, où les lycées professionnels travaillent en parfaite collaboration avec les entreprises de leur bassin économique et leurs élèves pour garantir la cohérence des périodes passées en milieu professionnel.

Pour la première fois, les missions de l’établissement d’enseignement envers le stagiaire sont clairement énoncées, afin de réaffirmer le caractère pédagogique du stage. En complément, la désignation, pour chaque stage, d’un enseignant référent est rendue obligatoire, afin d’en assurer l’encadrement pédagogique. L’idée est qu’un enseignant soit à même de jouer le rôle de médiateur en cas de difficultés entre le stagiaire et son organisme d’accueil.

Le présent texte confirme, par ailleurs, l’obligation d’accompagner un stage, avant ou après sa réalisation, d’un volume pédagogique minimal de formation en établissement durant l’année scolaire. Madame la secrétaire d’État, vous avez répondu par anticipation à l’interrogation qui avait été émise à ce sujet, ce dont je vous remercie !

Cette proposition de loi prévoit également l’extinction des dérogations à la durée maximale de six mois pour un stage. Alors que, aujourd’hui, faute de décret d’application, les contournements de cette règle sont nombreux, la future loi reprendra le pas. Il est difficile de concevoir les apports pédagogiques d’un stage de huit mois par rapport à ceux d’un stage de six mois. En revanche, il est très facile d’imaginer qu’un stage d’un an peut permettre d’éviter d’embaucher un salarié.

Ce texte s’attaque également à la situation des stagiaires dans leur organisme d’accueil et aux pratiques de ces derniers en matière de recours aux stages. Il doit permettre de faire évoluer des comportements inacceptables auxquels, par fatalité ou résignation, notre société s’est malheureusement accoutumée.

Est-il vraiment tolérable qu’une entreprise puisse avoir autant de stagiaires que de salariés ou que certaines entreprises du CAC 40 comptent près de 30 % de stagiaires ? Voilà pourquoi un nombre maximal de stagiaires par entreprise sera institué par décret. Envoyer ainsi un signal fort à la jeunesse, mais aussi aux secteurs d’activité dont le recours aux stages est abusif est, à l’heure du pacte de responsabilité et de solidarité, un geste indispensable.

La désignation d’un tuteur au sein de l’organisme d’accueil contribue également à la responsabilisation de l’entreprise en garantissant la transmission des savoirs et des compétences, ainsi que le respect de la convention de stage.

L’accent mis sur les droits du stagiaire dans son organisme d’accueil répond à cette même philosophie. Droit à congés, bénéfice des titres-restaurant, protection contre les discriminations et le harcèlement : voilà des avancées extrêmement importantes. De même, la définition de règles relatives aux conditions et à la durée de travail, conduisant à les aligner sur celles des salariés, met un terme au flou juridique qui existait en la matière.

Il est vain de fixer un cadre juridique construit autour de plusieurs obligations s’il n’est accompagné d’aucun mécanisme de contrôle. C’est pourquoi le fait de confier à l’inspection du travail les missions de lutter contre les abus et de s’assurer du respect des dispositions relatives au nombre maximal de stagiaires par entreprise ainsi que des conditions de travail ne me choque pas. Au contraire, il me semble que tous ceux qui ont un comportement vertueux envers leurs stagiaires devraient se réjouir de la mise en œuvre de telles mesures. Seuls ceux qui ne voient les stagiaires que comme représentant un avantage compétitif seront, enfin, mis face à leurs responsabilités.

Comme le diable se niche dans les détails, sur certains points, bien sûr, des éclaircissements de la part du Gouvernement seraient souhaitables. Cette proposition de loi renvoie à plusieurs reprises au pouvoir réglementaire pour ce qui concerne la détermination des modalités de sa mise en œuvre. Une telle procédure n’est pas en soi illégitime, car il n’est pas souhaitable de figer dans la loi des règles d’application ne relevant pas de son domaine. Il ne faut toutefois pas qu’elle aboutisse à un résultat qui soit contraire à l’esprit de cette proposition de loi.

Je pense tout d’abord au nombre de stagiaires qu’un même enseignant référent pourra suivre et au contenu précis de cette nouvelle tâche. Il semble nécessaire de faire des distinctions selon les niveaux d’études et l’objet du stage : les besoins ne sont pas les mêmes lors d’une période de formation en milieu professionnel dans le cadre de la préparation d’un baccalauréat professionnel ou au cours d’un stage long de master. De plus, le volume pédagogique minimal de formation en établissement avant un stage ne devra pas se résumer à un cours symbolique.

Il en va de même pour la question du nombre maximal de stagiaires par organisme d’accueil. Une fois encore, certains regretteront ce renvoi au pouvoir réglementaire, mais la souplesse requise pour appliquer une telle mesure plaide en ce sens. Il semble d’ores et déjà évident qu’il faudra traiter différemment les plus petites entreprises et les grands groupes. Une règle uniforme risquerait d’être inopérante, alors que le recours aux stagiaires varie grandement selon la taille de l’entreprise et le secteur d’activité. Vous avez évoqué ce point, madame la secrétaire d’État.

J’aimerais enfin attirer l’attention du Gouvernement sur la situation de certains établissements de l’enseignement agricole. Les maisons familiales rurales offrent des formations à des jeunes en difficulté selon un rythme spécifique, et les résultats obtenus sont indéniables. Dans certains cas, les élèves, qui sont bien souvent âgés de moins de dix-huit ans, peuvent accomplir plus de deux mois de stage par année scolaire. Si la présente proposition de loi est adoptée, ces organismes craignent que leurs élèves ne trouvent pas d’employeur prêt à leur offrir une période de formation en milieu professionnel gratifiée. Sont en l’occurrence en cause le plus souvent de petites entreprises agricoles ou artisanales. Quelle réponse pouvons-nous leur apporter ? Je note néanmoins que l’amendement de notre collègue député Gérard Cherpion, adopté par l’Assemblée nationale, constitue une première solution.

Cela étant, lors de sa réunion du 16 avril dernier, la commission des affaires sociales a adopté la proposition de loi qui lui était soumise, modifiée par quinze amendements que je lui avais présentés. Elle a souhaité confier au conseil d’administration de chaque établissement d’enseignement la mission de fixer le nombre de stagiaires dont un même enseignant référent peut assurer le suivi. En fonction des moyens et, surtout, des formations dispensées, l’organe de direction de l’établissement est bien le mieux à même de déterminer la manière d’organiser ce suivi. C’est le corollaire de l’autonomie pédagogique qui lui est reconnue.

La commission a également limité la durée de travail des stagiaires à la durée légale hebdomadaire, soit 35 heures. Rappelons que les stagiaires ne sont pas des salariés à part entière – vous l’avez indiqué, madame la secrétaire d’État – et qu’ils n’occupent pas un emploi permanent dans l’entreprise. Quelle est donc la nécessité de les faire travailler parfois plus de 40 heures sans qu’ils puissent bénéficier, comme les salariés, de contreparties sous la forme d’une rémunération complémentaire – ils perçoivent simplement une gratification a minima de 436 euros – ou de temps de repos ?

Ces constats posés, la présente proposition de loi recentre les stages sur leur principe fondamental, à savoir un outil de formation ancré dans un cursus dont il est une composante à part entière. Je vous rejoins pleinement, madame la secrétaire d’État, je ne crois pas au discours selon lequel l’adoption de ce texte aboutira à un tarissement de l’offre de stages. Au contraire, c’est bien le phénomène inverse qui a été observé depuis 2006 et qui a accompagné la construction progressive du statut de stagiaire.

À l’heure où certains se demandent justement si les stages ne sont pas trop nombreux, il faut surtout se donner les moyens de garantir des stages de qualité. Cette proposition de loi constitue un réel progrès en la matière en impliquant les établissements d’enseignement dès la définition du projet de stage.

Récemment, le Président de la République déclarait que le pacte de responsabilité allait être accompagné d’un pacte de solidarité. J’ai le sentiment que cette initiative parlementaire correspond parfaitement à l’esprit de cette annonce. En effet, la précarité est le lot commun de la très grande majorité des stagiaires. Le témoignage récent d’une jeune femme – il a fait l’objet d’une couverture médiatique notable – sur cette génération d’« affamés » qui n’a connu que la crise économique et enchaîne les stages faute de perspectives d’embauche confirme ce diagnostic.

J’en viens maintenant à un regret personnel : ce texte ne fait pas évoluer le régime de la gratification des stagiaires. Au moment où la jeunesse doute et ressent un déclassement par rapport à la génération de ses parents, un débat sur la revalorisation de cette gratification mérite d’avoir lieu, car, eu égard à son faible montant, cette dernière symbolise, aux yeux de nombreux jeunes, leur relégation dans un état de précarité qui se prolonge d’année en année. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé, en ma qualité de rapporteur, deux amendements – je sais qu’ils feront l’objet de discussions : l’un vise à relever le montant de la gratification et à le porter de 12, 5 % à 15 % du plafond de la sécurité sociale – soit 530 euros –, l’autre tend à rendre cette gratification obligatoire pour tous les stages de l’enseignement supérieur de plus d’un mois. Je considère en effet que les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur sont tout de suite opérationnels compte tenu de leur qualification.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, sept ans après avoir présenté ma proposition de loi, je regrette que les termes du débat aient si peu évolué, mais je suis heureux que, par le biais du présent texte, notre société prenne enfin ses responsabilités envers tous ces jeunes en garantissant l’effectivité de leurs droits.

À d’autres maintenant, que ce soient les entreprises ou les établissements d’enseignement, de prendre les leurs.

Pour y parvenir, il est très important que le Parlement adopte cette proposition de loi dans les meilleurs délais, afin que ses premières mesures puissent être appliquées, autant que faire se peut, dès la rentrée prochaine. Je vous invite donc, mes chers collègues, à lui apporter vos voix.

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