Nous nous trouvons, de surcroît, devant le paradoxe d’une loi dont l’exigence avait justement eu pour objet de remédier au défaut de la mise en œuvre de la loi de 1975 dans son volet portant sur l’accessibilité.
Mais ce seul constat doit nous conduire à plus de réalisme et à en tirer toutes les conséquences pour que ce chantier immense n’ait pas à être rouvert. Ainsi que Mme le rapporteur en faisait elle-même le constat, « malgré des progrès tangibles », la France ne sera pas au rendez-vous du 1er janvier 2015.
Je tiens d’ailleurs à saluer la qualité et l’importance du travail réalisé, tant par notre collègue Claire-Lise Campion à travers son premier rapport remis au Premier ministre le 1er mars 2013 que par les auteurs de celui, plus récent, qui contient les propositions issues de la concertation et du travail d’animation conduit avec Marie Prost-Coletta.
Je le dis avec conviction : comme ma collègue Isabelle Debré, je regrette que cet immense travail ne nous ait pas permis de réussir la dernière étape, celle d’une saisine du Parlement dans des conditions plus satisfaisantes. §
Notre pays s’est engagé résolument dans la loi du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées, qui, il est vrai, n’aura guère été suivie d’effets en ce qui concerne l’accès des personnes handicapées aux institutions ouvertes à l’ensemble de la population.
La loi de 2005 s’était donné une ambition et avait été conçue par réaction aux insuffisances de la loi de 1975, dont le chef de l’État lui-même, Jacques Chirac, qui l’avait fortement souhaitée, ne sera pas pour rien dans l’exigence des arbitrages, sur lesquels, il faut bien le reconnaître, il y a lieu d’avoir aujourd’hui une approche plus réaliste et plus pragmatique.
La loi de 2005 a posé une notion particulièrement exigeante fondée sur le principe de l’accès universel. Son article 41 impose en effet d’une façon très large l’accessibilité à toute personne handicapée, « quel que soit le type de handicap, notamment physique, sensoriel, cognitif, mental ou psychique […] ».
Cette exigence a été étendue aux établissements recevant du public, existants ou à construire, en y intégrant la notion de spatialité, dont l’article 45 posait le principe de « la chaîne du déplacement », dans son intégralité.
Or il est un premier paradoxe qui mérite d’être souligné, comme l’ont fait les inspecteurs généraux dans leur rapport de 2012 : l’exigence de l’interprétation du principe d’accessibilité universelle est défendue dans son acception la plus absolue quand elle porte sur le handicap fauteuil, alors que les autres handicaps, tout autant prévus par la loi de 2005, semblent faire l’objet d’une exigence beaucoup moins forte, très en retrait de la réalité, si vous me permettez cette expression.
Cette interprétation exigeante de la notion d’accessibilité universelle pousse à une première interrogation et mérite d’être examinée au regard d’une pratique internationale souvent citée en exemple.
C’est tout d’abord l’article 2 de la convention relative aux droits des handicapés élaborée par l’ONU en 2006 qui définit l’exigence de services « qui puissent être utilisés par tous, dans toute la mesure possible, sans nécessiter ni adaptation ni conception spéciale ».
De la même façon, la directive européenne du 27 novembre 2000 en matière d’accès au lieu de travail exige que pour « garantir le respect du principe de l’égalité de traitement à l’égard des personnes handicapées, des aménagements raisonnables sont prévus ».
Les législations relatives à l’accessibilité adoptées par plusieurs États européens bien avant la loi du 11 février 2005 – entre 1966 et 1995 par la Suède, la Belgique, l’Espagne, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni – sont tout autant instructives.
Ces États européens souvent cités en exemple en sont en réalité restés à des objectifs généraux, avec une certaine souplesse quant aux mesures d’application.
Ainsi, le Royaume-Uni a posé le principe des adaptations raisonnables et la Suède celui de la levée des obstacles faciles à supprimer.
Une proposition de directive du Conseil européen du 2 juillet 2008 relative « à l’égalité de traitement entre les personnes » s’est donné comme objectif d’aborder les questions d’accessibilité et d’aménagement raisonnable.
Ce pragmatisme, ce réalisme caractérise d’ailleurs l’intégration en droit national des directives européennes, quand on fait une étude comparée quel qu’en soit le domaine.
Permettez-moi, madame la secrétaire d’État, de souligner ce point, qui mériterait d’être davantage pris en compte quand on sait notre propension à prendre les autres pays européens comme exemple.
Ainsi, si la loi de 1975 a pu être jugée décevante par son absence de résultat, encore convient-il d’apprécier la loi de 2005 avec objectivité.
Oui, la loi de 2005 a eu un mérite indéniable, qui, comme le reconnaît l’étude d’impact, « a entraîné un changement d’état d’esprit et permis de porter un regard différent sur le handicap ». Et comme le reconnaissent beaucoup d’observateurs et d’experts, elle a mis la France dans une situation qui n’a rien à envier à celle des autres pays européens, souvent pris en exemple et qui se sont engagés dans cette action depuis bien plus longtemps.
Dès lors, s’il est vrai que la France ne sera pas au rendez-vous de 2015, encore convient-il que les raisons objectives en soient parfaitement reconnues et analysées.
Sont tout d’abord en cause la complexité et la rigueur des règles. Le rapport de trois inspecteurs généraux soulignait déjà en 2012 que les mesures d’application portaient essentiellement sur le handicap fauteuil et revêtait un caractère pointilleux.
Par ailleurs, le coût des travaux n’a pas été pris en compte, pas plus qu’il n’avait fait l’objet d’une évaluation.
Enfin, les délais ont été mal appréciés, ce que l’étude d’impact met particulièrement en relief. La loi de 2005 avait voulu adresser un signal fort et, en dehors du symbole du principe d’accessibilité universelle, le calendrier constituait une seconde exigence, qu’il nous convient aujourd’hui d’apprécier avec lucidité dans un environnement économique dégradé.
Malgré tout, force est de constater que, si les objectifs ne sont pas satisfaits au regard de cette exigence, l’importance de l’effort et des investissements ne doit pas être sous-estimée ni minorée.
Si l’on considère les seuls établissements recevant du public, on note que ceux qui sont aux normes et ceux qui ont fait l’objet de travaux et d’autorisations représentent environ 500 000 établissements, soit au moins la moitié du parc des ERP, selon l’estimation la plus maximaliste.
Concernant le public – si l’on excepte l’État, madame la secrétaire d’État, sur lequel il serait judicieux de disposer de données, dont l’approximation est pour le moins affligeante et dont l’étude d’impact pousse à quelques interrogations –, force est de constater que, si certaines collectivités locales peuvent se voir reprocher un engagement tardif, l’effort d’ensemble mérite d’être souligné, particulièrement en matière de transport, surtout quand on connaît le coût et la complexité des investissements et aménagements à réaliser.
Face à cette situation, le principe est de ne pas remettre en cause la mise en œuvre de la loi de 2005. C’est un trait de notre culture ou de la richesse de notre langue, nous avons décidé de maintenir l’heure tout en sachant que nous serons en retard. Je le dis en saluant Mme la rapporteur puisque le projet de loi repose sur la proposition phare du rapport Réussir 2015, l’agenda d’accessibilité programmée, l’Ad’AP, qui aurait effectivement offert tant de possibilités, comme l’ont souligné beaucoup, et sur un certain nombre de préconisations résultant de la concertation.
C’est un travail important qui a été réalisé, et plusieurs propositions constituent des avancées, voire des innovations pour apporter des adaptations sans aller jusqu’à la remise en cause du principe même.
Devant une telle échéance, la délégation sénatoriale aux collectivités locales et à la décentralisation ne pouvait pas ne pas se saisir d’un enjeu aussi lourd de conséquences.
J’ai eu l’honneur de conduire ce travail pour le compte de la délégation, qui a adopté à l’unanimité une série de propositions qui seront présentées par voie d’amendement, et dont je souhaiterais présenter les grands principes.
Nous nous trouvons en effet dans le cadre d’une originalité législative que les spécialistes n’ont pas manqué d’analyser, avec curiosité pour certains, et sans concession pour d’autres.
La délégation aux collectivités territoriales a consacré depuis 2010 plusieurs travaux, divers, approfondis et convergents, tendant à la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales.
Cette problématique a été exposée dans quatre rapports d’information, dont celui de Claude Belot et plus particulièrement celui d’Éric Doligé consacré à la simplification des normes applicables aux collectivités locales, sans oublier le dernier rapport publié en mars 2013 de la mission de lutte contre l’inflation normative de MM. Alain Lambert et Jean-Claude Boulard.
Ces rapports trouvent tout leur sens dans les récentes propositions de simplification administratives dont le présent projet de loi ne saurait être exclu.
La deuxième préoccupation est bien évidemment financière au regard de la situation dans laquelle se trouve notre pays, qu’il s’agisse non seulement des acteurs privés ou publics, mais également du principe de réalité au regard du calendrier.
Ce sont d’ailleurs ces deux principes que le chef de l’État n’a pas manqué, très récemment, de mettre en avant comme exigences.
La première exigence consiste à appliquer la loi de 2005 au regard d’une démarche de modernisation du droit et de simplification des normes.
L’exigence de la loi de 2005 ne saurait être amoindrie en soumettant celle-ci à des règles de simplification et de modernisation, qui est certainement l’un des chantiers les plus importants auquel le Parlement doit se consacrer et qui est l’occasion de constater que, dans le processus législatif, le Parlement n’est pas le plus gros producteur de normes, et cette loi en est une illustration.
La commission consultative départementale de sécurité et d’accessibilité, la CCDSA, constitue un élément important du dispositif même de la loi de 2005. Cependant, son avis ne saurait être un avis lié, il doit rester un avis simple, la décision finale devant relever de l’État, c’est-à-dire du préfet de département.
De la même façon, et conformément au principe rappelé aujourd’hui avec exigence, à défaut de réponse explicite de l’administration, le silence vaut acceptation, d’où la possibilité pour le préfet de prolonger les délais d’instruction si nécessaire.
En outre, la procédure des permis de construire ne saurait déroger au droit commun, et la complexification de la conformité par un maître d’œuvre différent n’a aucune raison d’être, l’architecte assumant une responsabilité pleine et entière, y compris sur le plan pénal.
En matière de simplification et d’égalité de traitement, il y a lieu de pouvoir étendre aux équipements publics la dérogation reposant sur le principe de disproportion manifeste, qui n’a aucune raison d’être écartée par rapport au principe retenu pour les acteurs privés.
Les mesures de contrainte ne sauraient davantage échapper au droit commun. Les sanctions pénales particulièrement lourdes ne justifient aucunement d’être doublées d’une pénalité administrative qui échapperait tant au juge judiciaire qu’au juge administratif.
Il convient donc que ces sanctions administratives, madame la secrétaire d’État, soient purement et simplement abandonnées au profit des seules sanctions pénales relevant du juge judiciaire, ou au pire, allais-je dire, il faut des sanctions administratives qui relèvent du juge administratif à la place de sanctions pénales. En effet, prévoir une double peine avec des condamnations aussi lourdes paraît purement et simplement inacceptable.
La seconde exigence à laquelle la loi de 2005 ne saurait se soustraire, c’est celle du réalisme économique et administratif. Si le principe de l’Ad’AP, nous l’avons dit, constitue une procédure intéressante, celle-ci doit être appréciée au regard de la capacité que les services auront à traiter un stock qui peut être considéré comme l’équivalent du flux absorbé et traité jusqu’à ce jour dans le cadre de la loi.
Il n’est pas sérieux de proposer un calendrier d’instruction et de mise en place des Ad’AP dans les délais envisagés, qui ne pourront en aucun cas être respectés. Je vous le dis fermement, madame la secrétaire d’État, le calendrier n’est pas raisonnable, …