Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette convention, adoptée par le comité des ministres du Conseil de l’Europe le 7 avril 2011, à Istanbul, constitue le premier instrument juridiquement contraignant au niveau européen et offre un cadre juridique complet pour la prévention de la violence, la protection des victimes et la poursuite des auteurs des faits.
L’entrée en vigueur de cette convention, signée par près d’une trentaine d’États, est conditionnée à sa ratification par au moins dix pays. L’Espagne a procédé, il y a quelques semaines, à cette ratification ; la France s’honorerait d’être le dixième État à accomplir cet acte, ce qui permettrait, trois ans après la signature de la convention, la mise en œuvre de ce bel instrument.
La situation en matière de violences faites aux femmes est pour le moins préoccupante. Mes chers collègues, je vous épargnerai la répétition des chiffres déjà cités par les orateurs précédents. La France, dans ce domaine, ne se révèle pas exemplaire.
Malgré cette situation préoccupante, les médecins en général, et les psychiatres en particulier, s’intéressent toujours aussi peu aux victimes de violences, y compris sexuelles. Cet état de fait est d’autant plus incompréhensible que nos connaissances quant aux conséquences des violences sur la santé ont beaucoup évolué ces deux dernières décennies.
Les victimes se trouvent souvent abandonnées par le corps médical. Aucune formation sur les psychotraumatismes n’est actuellement dispensée pendant les études médicales, pas même aux psychiatres durant leurs études de spécialité. Les médecins capables d’identifier des symptômes psychotraumatiques typiques chez leurs patients et de les relier à des violences subies sont rares. Or une reconnaissance de ces violences, un dépistage des troubles psychotraumatiques, une prise en charge de qualité, précoce, empathique et bienveillante sont primordiaux pour protéger, soulager les victimes et pour empêcher que des troubles psychotraumatiques ne s’installent dans la chronicité.
Hélas, alors que l’on sait que de 22 % à 35 % des femmes qui consultent dans les services d’urgence des hôpitaux présentent des symptômes consécutifs à des violences principalement sexuelles ou conjugales, seulement 2 % d’entre elles sont identifiées par les médecins comme victimes de violences. À ce propos, pour prendre l’exacte mesure de la situation, je vous invite, mes chers collègues, à lire et à méditer l’ouvrage du docteur Muriel Salmona intitulé Le Livre noir des violences sexuelles.
La violence faite aux femmes, malgré sa tendance à engendrer de la souffrance et de nouvelles violences, n’est nullement une fatalité. Pour prévenir les violences, il convient avant tout de les identifier, de protéger et de soigner les victimes, et de ne pas laisser impunis les auteurs. Les violences sont une affaire de droit. Les agresseurs ont à rendre des comptes, et leur addiction à la violence doit être traitée le plus tôt possible.
Dans un système très hiérarchisé et discriminatoire pour les femmes, le statut inférieur de celles-ci traduit leur assimilation à une marchandise, qui n’aura de valeur que si elles appartiennent à un « légitime » propriétaire : père, frère, mari, concubin, compagnon. Des hommes peuvent se livrer à des violences sur elles, souvent en toute impunité, dès lors qu’ils exercent sur elles leur droit de propriétaire.
À quelques semaines des élections européennes, la ratification de cette convention permettrait de montrer au plus grand nombre que l’Europe, avec la construction de son droit commun, peut aussi contribuer à renforcer les droits fondamentaux de tous ses citoyens, en l’occurrence de toutes ses citoyennes.
Le groupe écologiste votera naturellement le projet de loi autorisant la ratification de la convention d’Istanbul, dans le droit fil de la lutte constante qu’il mène pour l’égalité entre les femmes et les hommes et contre les violences faites aux femmes.
Permettez-moi, mes chers collègues, de clore mon intervention en vous livrant un témoignage, celui d’une victime :
« Nous les victimes de violences, enfants et adultes, la plupart du temps, on ne nous voit pas, et on dit qu’on ne parle pas, mais c’est faux, c’est totalement faux. Quand nous essayons de parler, on ne nous entend pas, ou on a peur de nous, on a peur de ce qu’on pourrait dire, et on nous fait taire très rapidement, mais nous parlons quand même, nous parlons énormément, nous parlons avec nos comportements et avec nos corps, et on ne nous comprend pas, on nous juge, on juge ce que nous sommes et comment nous sommes.
« Nous finissons par penser que nous ne sommes pas des êtres normaux, que nous n’appartenons pas ou plus à l’espèce humaine, nous finissons par nous sentir en dehors de votre monde, nous nous terrons dans nos maisons, derrière nos ordinateurs, nous rasons les murs et nous ne croisons plus vos regards. […]
« Nous ne vivons pas, nous survivons avec nos douleurs et nos souffrances à l’intérieur, nous survivons dans une solitude que vous n’imaginez même pas. […]
« Nous avons besoin d’être pris très au sérieux et avec le plus grand respect par les institutions médicales, sociales, policières, judiciaires, et par l’État lui-même. Nos droits doivent être réels, et non plus de simples mots allongés sur du papier. »
À nous, chers collègues, de montrer que, cette fois, nous avons entendu. §