Intervention de François Rebsamen

Réunion du 6 mai 2014 à 14h30
Lutte contre le dumping social et la concurrence déloyale — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de François RebsamenFrançois Rebsamen :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes aujourd’hui appelés à examiner une très intéressante proposition de loi, déposée par le député Gilles Savary : elle vise à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre dans le cadre de la sous-traitance internationale.

Il s’agit là d’un sujet qui revient souvent, car nous partageons tous un même but : lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale.

Le détachement de travailleurs étrangers n’est pas un fait nouveau, mais il se développe. En 2012, 170 000 salariés étrangers ont été détachés en France et, même si nous ne disposons pas encore des chiffres définitifs, on peut estimer que leur nombre aura été de 220 000 en 2013, soit une hausse importante, de l’ordre de 10 %. Bien entendu, il faut le souligner, un grand nombre de nos compatriotes bénéficient eux-mêmes d’un détachement : 140 000 Français sont détachés à l’étranger par des entreprises françaises. La France occupe ainsi le troisième rang en Europe quant à la mise en œuvre de cette possibilité.

Il convient de le souligner, le principe du détachement des travailleurs n’est pas en cause. Ce qui l’est, ce sont les montages frauduleux et les abus qui peuvent l’entourer et qui, malheureusement, sont de plus en plus fréquents.

La directive européenne Détachement de 1996 avait posé un cadre pertinent : aucun employeur établi hors d’un territoire ne peut détacher un salarié sans être soumis au respect des règles sociales de l’État d’accueil. Toutefois, force est de constater que cette directive est désormais contournée, sans possibilité réelle de sanction.

Ces situations ne sont l’apanage ni des villes ni des campagnes, pas plus que des chantiers de BTP ou des exploitations agricoles ; c’est un sujet qui concerne toute la société française, et même toute l’Europe.

Pour le Gouvernement, comme pour le Sénat, j’en suis sûr, le choix est clair : construire l’Europe, ce n’est pas laisser faire. Nous nous devons donc de refuser la concurrence par le moins-disant social.

C’est tout l’intérêt de cette proposition de loi. Elle protège les entreprises qui payent leurs cotisations sociales en France et respectent le droit. Elle protège les travailleurs installés en France d’une concurrence aussi inégale qu’injuste. Elle protège aussi les travailleurs détachés qui, loin d’être coupables, sont les victimes de certaines pratiques inacceptables.

C’est l’honneur de notre pays que de protéger et de respecter ceux qui travaillent sur notre sol. La loi française doit s’appliquer de la même manière à tous les travailleurs, détachés ou non. Or il est illégal, en France, par exemple, de faire travailler des salariés 45 heures par semaine pour 3 euros de l’heure, ou moins, de faire dormir des gens dans des hangars, de les priver d’accès aux soins.

Ces dénis ou, à tout le moins, ces contournements de notre droit provoquent la concurrence déloyale que dénoncent d’une même voix organisations syndicales et patronales et qui engendre, ici ou là, il faut bien le reconnaître, racisme et xénophobie.

En 2012, la Commission européenne a proposé un texte que je qualifierai de faible, car il ne permet pas de demander au donneur d’ordre, le vrai responsable, de rendre des comptes. La France l’a refusé le 25 octobre dernier, faisant ainsi échouer un mauvais compromis – comme quoi, c’est possible ! – et se donnant deux mois pour convaincre ses partenaires européens. C’est tout à l’honneur de notre pays.

Avec l’Allemagne, mais aussi la Roumanie et la Bulgarie, deux pays qui savent fort bien ce que signifie l’exploitation de leurs travailleurs, nous sommes parvenus, le 9 décembre 2013, à arracher, cette fois, un compromis que l’on peut considérer comme bon.

Il comporte en effet, incontestablement, deux avancées majeures.

Il prévoit, premièrement, que la liste des documents exigibles auprès des entreprises en cas de contrôle doit être une liste ouverte. La France fixera la liste des documents exigibles pour tous les travailleurs détachés dans notre pays. La directive imposera aussi des règles dans les pays qui en sont aujourd’hui dépourvus.

Il prévoit, deuxièmement, que les entreprises donneuses d’ordres du secteur du bâtiment et des travaux publics doivent impérativement être responsabilisées vis-à-vis de leurs sous-traitants, et cela dans tous les États, sous la forme d’une responsabilité solidaire ou d’un mécanisme de sanctions équivalentes. Les responsables des fédérations du BTP, que j’ai rencontrés, souhaitaient une telle évolution.

En clair, cela signifie qu’il sera désormais possible d’établir une chaîne de responsabilités pour lutter contre les montages frauduleux, dont le seul but est de contourner les textes. La page de la directive Bolkestein, qui aura fait beaucoup jaser, est donc bel et bien tournée. Il n’y aura plus ni dumping ni exploitation !

Au moment où les élections européennes approchent, je tiens à souligner que le Parlement européen a, le 16 avril dernier, voté la nouvelle directive ; on en entend dire tellement de mal qu’il est bon aussi de rappeler les choses positives qu’il accomplit, même si cela s’est fait, en l’occurrence, sous la pression de notre pays.

La proposition de loi de Gilles Savary anticipe la mise en œuvre de cette nouvelle de cette nouvelle directive et en renforce même le dispositif. Elle ne limite pas son champ d’action au seul secteur du bâtiment. Elle élargit la chaîne de responsabilités à l’ensemble des donneurs d’ordre, des maîtres d’ouvrage, mais aussi des entreprises de travail temporaire ou des entreprises qui sous-traitent, et garantit ainsi aux salariés détachés la possibilité de faire valoir leurs droits. Elle confère en outre aux organisations syndicales la possibilité d’agir au nom d’un salarié lorsque celui-ci, par exemple, n’est plus présent sur le territoire, ce qui est bien souvent le cas.

La commission que vous présidez, madame David, a accompli, sous l’égide de Mme Emery-Dumas, un important travail de simplification de la proposition de loi, travail je voudrais ici remercier tous les membres de la commission des affaires sociales. Il est important d’aller vers des textes simples, efficaces, précis, qui puissent réellement s’appliquer.

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