Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le sujet des « emprunts toxiques » est un sujet complexe, qui empoisonne – c’est bien le moins pour des toxiques ! – les finances des collectivités territoriales et de l’État depuis plusieurs années.
Les points de vue sur la question semblent irréconciliables. Certains arguent que les banques ont floué des collectivités territoriales désemparées face à des contrats de prêt qu’elles ne pouvaient techniquement maîtriser. D’autres estiment que les collectivités ont été irresponsables en contractant sciemment des emprunts, certes dangereux, mais très profitables à court terme. Ces différentes analyses se retrouvent souvent au sein des groupes parlementaires.
Face à ces appréciations divergentes, nous vous proposons une solution équilibrée.
Équilibrée, d’abord, entre les banques et l’État : les banques participent à 61 % – 50% par le biais de la taxe systémique et 11 % à travers des contributions volontaires de la Société de financement local, la SFIL, et de Dexia – au financement du fonds de soutien de 1, 5 milliard d’euros, l’État étant appelé à financer le reste. Je rappelle que ce fonds a pour vocation d’aider les collectivités et d’autres établissements à régler ce douloureux et délicat problème des emprunts toxiques.
Équilibrée, ensuite, entre les collectivités territoriales et les banques : les aides accordées au titre du fonds ne pourront dépasser 45 % du montant des indemnités de remboursement anticipé, ou IRA.
L’objet du présent projet de loi est de rééquilibrer le dispositif voté en loi de finances initiale de 2014. Celle-ci prévoyait un système pérenne et équilibré, permettant de sortir du problème des emprunts structurés contractés, notamment, par les collectivités.
Le fonds de 1, 5 milliard d’euros vise à financer une partie du coût de sortie, pour les collectivités, de leurs emprunts toxiques.
La loi de finances de 2014 prévoyait également une validation législative visant à éviter les risques que ferait peser sur les finances publiques la généralisation du jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 8 février 2013.
Le décret d’application relatif à la création du fonds de soutien est paru au Journal officiel du 2 mai dernier. Reste désormais à constituer le comité d’orientation et de suivi, qui devra définir une doctrine. Les premières aides pourront être accordées avant la fin de l’année 2014.
Le Conseil constitutionnel a, en revanche, censuré la validation législative. Pourquoi ? Parce que le champ de cette validation était trop large par rapport au motif d’intérêt général invoqué, c'est-à-dire la protection des finances publiques des conséquences financières dévastatrices d’une éventuelle généralisation du contentieux jugé par le tribunal de grande instance de Nanterre.
Le Gouvernement a tout fait pour s’assurer de la constitutionnalité du nouveau dispositif qu’il propose aujourd’hui. Afin de mieux cibler la validation législative sur le risque pesant sur les finances publiques, conformément à la volonté du Conseil constitutionnel, son champ a été resserré. Celle-ci concerne désormais exclusivement les personnes morales de droit public. Les personnes morales de droit privé en sont exclues. Il s’agit d’une différence majeure avec la disposition qui a été censurée.
De surcroît, la validation législative vise exclusivement les emprunts dits « structurés », et non l’ensemble des emprunts. Cette autre différence permet également de tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel.
En outre, la validation est limitée aux motifs de l’absence ou de l’erreur de mention du taux effectif global – TEG –, du taux de période ou de la durée de période, à condition que les informations utiles à l’emprunteur pour déterminer les échéances de son prêt aient par ailleurs été fournies. Elle ne prive en aucun cas les collectivités des armes dont elles disposent sur le terrain du défaut de mise en garde.
Ainsi, la validation est très largement ciblée sur les contrats de Dexia et de la SFIL, ceux-là mêmes qui font peser un risque sur nos finances publiques, et par conséquent centrée, conformément à l’exigence du Conseil constitutionnel, sur le motif impérieux d’intérêt général que j’ai rappelé.
Le Conseil d’État a validé la constitutionnalité de ce dispositif.
Il existe, pour nos finances publiques, un risque majeur qui justifie ce projet de loi : celui de la généralisation de la décision du tribunal de grande instance de Nanterre. Il est évalué à 17 milliards d’euros – je n’ignore pas que cette évaluation donne lieu à des commentaires –, dont 9 milliards d'euros à court terme. C’est ce motif d’intérêt général qui justifie l’intervention d’une loi.
Nous devons éviter d’accroître notre déficit public d’un montant correspondant à environ 1 % de notre PIB, afin de garantir notre indépendance vis-à-vis de marchés financiers, qui nous pénaliseraient à travers un renchérissement du coût de la dette, mais aussi pour nous épargner de devoir adopter des hausses d’impôts ou des coupes dans les dépenses qui deviendraient inacceptables pour les Français.
Comment se décomposent ces 17 milliards d’euros de coût potentiel pour l’État ?
On estime à 10 milliards d’euros le coût direct lié à la nécessité de provisionner le risque contentieux dans les comptes de Dexia et de la SFIL. Ces provisions pour risque exigeraient des recapitalisations pesant sur l’État, actionnaire à hauteur de 44 % de Dexia et de 75 % de la SFIL. Concernant la SFIL, la participation de 20 % de la Caisse des dépôts et consignations et celle de 5 % de la Banque postale ont été, en outre, accordées sous réserve de la garantie de l’État.
Une partie de ce coût correspondrait à la différence entre le taux applicable et le taux légal. Une autre partie serait liée à la nécessité pour Dexia et SFIL de « déboucler » les instruments de couverture, les swaps, souscrits auprès d’autres banques pour se protéger.
Outre ces 10 milliards d’euros de coût direct, un coût supplémentaire indirect de 7 milliards d’euros aurait un effet immédiat. Cette somme correspondrait à la mise en extinction, en run-off, comme l’on dit dans une autre langue, de la SFIL, qui deviendrait inéluctable. En effet, un tel niveau de pertes, dû au provisionnement des contentieux, remettrait en cause la viabilité financière même de la SFIL, qui devrait alors être mise en extinction, sans production nouvelle pour amortir ses coûts – et notamment ceux qu’engendre le stock de prêts toxiques qu’elle porte – et avec des coûts de refinancement accrus.