Intervention de Michèle André

Réunion du 13 mai 2014 à 14h30
Sécurisation des contrats de prêts structurés — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Michèle AndréMichèle André :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons nous oblige à un exercice d’une grande complexité.

Tout d’abord, ce texte nous contraint à un saut en arrière dans le temps, étant donné qu’il nous faut considérer plus de quinze ans de relations entre les banques et les collectivités territoriales. La diffusion des emprunts toxiques dans le secteur public local date en effet de la fin des années quatre-vingt-dix.

Ensuite, ce texte nous confronte à l’une des pages les plus sombres de l’histoire de la décentralisation. Tout a été dit sur les origines et les causes de la diffusion des emprunts toxiques, et le meilleur panorama de cette question a sans conteste été dressé en 2011, par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale. Le rapport Bartolone-Gorges, remis au terme de ces travaux, portait précisément sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux.

Les conclusions et analyses de cette commission d’enquête ont fait l’unanimité. Elles ont été rendues publiques au terme de plusieurs mois d’un travail approfondi, voire exhaustif, au titre duquel tous les acteurs et parties prenantes ont pu être entendus. Elles aboutissent à une « responsabilité partagée ».

Premièrement, il s’agit d’une responsabilité des banques. Les uns et les autres ont souligné la « politique commerciale agressive » menée par ces dernières auprès des collectivités locales et de nombreux établissements publics, dans un contexte de concurrence accrue pour le secteur du crédit et de sophistication croissante des produits financiers élaborés par les établissements de crédit.

Deuxièmement, il s’agit d’une responsabilité des collectivités territoriales. Celles-ci ont parfois pu manquer de vigilance, notamment lorsqu’elles avaient les moyens d’expertiser de tels produits.

Troisièmement et enfin, il s’agit d’une responsabilité de l’État. Entre la fin des années quatre-vingt-dix et les alertes issues des audits municipaux réalisés en 2008, les services en charge du contrôle de légalité ont été bien longs à lancer l’alerte.

Il serait vain de chercher les responsabilités ailleurs. Convenons néanmoins qu’elles concernent bien des acteurs !

L’ampleur du problème, c’est encore la commission d’enquête Bartolone-Gorges de 2011 qui en a donné le meilleur aperçu, en estimant à plus de 32 milliards d’euros l’encours total des emprunts structurés. Elle seule a pu, à ce jour, évaluer réellement cet encours, le secret bancaire ne lui étant pas opposable.

Aujourd’hui, le total des emprunts jugés toxiques, toujours difficile à évaluer, serait d’environ 10 milliards d’euros. Plus de 7 milliards d’euros relèvent de la SFIL, structure créée en 2013 et dont l’État – telle est bien là la difficulté – est l’actionnaire majoritaire. L’enchevêtrement des responsabilités et l’origine ancienne du problème rendent la résolution de ce dernier particulièrement délicate.

Chacun s’en souvient, la garantie financière de l’État a été accordée au mois d’octobre 2011 au groupe Dexia, alors confronté aux difficultés que l’on sait. Le problème de l’« héritage » de Dexia, l’un des principaux établissements bancaires à l’origine de la commercialisation des produits structurés auprès des collectivités territoriales, est donc, qu’on le veuille ou non, d’ordre collectif.

Le Gouvernement a estimé le risque financier global pour les finances publiques, en cas d’absence ou de rejet du présent projet de loi de validation, à près de 17 milliards d’euros. Une dizaine de milliards d’euros se matérialiserait pour la quasi-totalité dès 2014, du fait des pertes qui seraient alors subies par Dexia et la SFIL, et qui nécessiteraient une recapitalisation par l’État ; près de 7 milliards d’euros s’y ajouteraient, en raison de la mise en extinction de la SFIL que provoquerait inévitablement une telle situation.

Au reste, si la SFIL n’a pas encore dû être recapitalisée, c’est uniquement parce que les comptes présentés partent du principe que le futur dispositif de validation entrera en vigueur, ce qui entraîne quelques complexités…

Voilà quelques jours, nous avons consacré un débat en séance publique au programme de stabilité de la France pour les années 2015 à 2017. Nous avons tous en tête la difficulté de tracer une trajectoire des finances publiques responsable, qui permette à la croissance de poursuivre sa reprise et à l’emploi de revenir, tout en amorçant un désendettement progressif du pays. Les 50 milliards d’euros d’économies constituent en tant que tels un défi considérable. Si l’on devait y ajouter 17 milliards d’euros de pertes dues à la non-résolution du dossier « SFIL », il est évident que notre trajectoire des finances publiques pour 2017 serait mort-née...

Au-delà du choc pour les finances publiques, une conséquence indirecte pour notre économie serait le retour de tensions en matière de financement des collectivités locales.

Depuis deux ans, l’accès au crédit s’est assoupli, grâce à la conjugaison de plusieurs mesures comme l’enveloppe de 20 milliards d’euros de la Caisse des dépôts et consignations, les initiatives de la Banque postale et la création de la SFIL. Celle-ci regroupe aujourd’hui 20 % des crédits accordés aux collectivités et sa mise en extinction susciterait mécaniquement de violentes tensions pour le secteur public local, qui va déjà devoir subir la baisse durable des dotations versées par l’État.

Au stade où nous en sommes désormais, le dispositif proposé par le Gouvernement via ce projet de loi paraît la moins mauvaise des solutions... Certes, il est imparfait. Nous pouvons comprendre que certains le discutent. Mais, à nos yeux, il est trop tard pour prendre un autre chemin, sauf à accepter le risque d’une perte de 17 milliards d’euros pour les finances publiques.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion