Ainsi que M. le secrétaire d'État vient de le rappeler, les élus de la montagne connaissent l’importance cruciale du tourisme de sports d’hiver pour l’économie de leurs territoires.
Avec plus de 57, 9 millions de journées skiées en 2013, la France est redevenue ces dernières années la première destination mondiale du ski, devant les États-Unis et l’Autriche. Elle accueille tous les ans 7 millions de skieurs, dont 2 millions d’étrangers. Au total, 120 000 emplois, en comptabilisant les emplois indirects, dépendent de l’ouverture des domaines skiables. Dans mon département, la clientèle espagnole représente jusqu’à 38 % de la fréquentation du domaine skiable de certaines stations.
Formés par l’École nationale des sports de montagne basée à Chamonix, les 19 000 moniteurs de ski diplômés que compte notre pays, forts de leur excellence technique et de leur connaissance intime de la montagne, assurent un enseignement dont la qualité est reconnue dans le monde entier et sont pour beaucoup dans les brillants résultats des massifs français.
Depuis 1963, le Syndicat national des moniteurs du ski français, qui fédère près de 90 % de la profession au sein des écoles du ski français, a mis en place un dispositif de réduction progressive de l’activité des moniteurs seniors, afin de garantir aux jeunes moniteurs diplômés une absence de chômage lors de leur entrée sur le marché du travail.
Révisé à quatre reprises pour repousser l’âge de réduction d’activité des moniteurs seniors, ce système de solidarité intergénérationnelle a pleinement fait ses preuves au cours du temps, en permettant, génération après génération, à des jeunes désireux de travailler dans les territoires de montagne dont ils étaient originaires de s’insérer rapidement dans la vie active en devenant moniteurs de ski. Il n’a nullement empêché les moniteurs seniors de travailler, puisque 73 % d’entre eux sont encore en activité à 65 ans, et 56 % à 70 ans.
Depuis 2009, toutefois, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 27 mai 2008 qui transposait la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, ce dispositif bien rodé a été considérablement fragilisé par une bataille judiciaire opposant au Syndicat national des moniteurs du ski français un petit groupe de moniteurs seniors qui s’estimaient victimes d’une discrimination.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à mettre fin à ce conflit, en définissant un cadre juridique plus clair et en garantissant que nul ne puisse être l’objet d’une discrimination en raison de l’âge.
Pour ce faire, elle tient pleinement compte des décisions de justice qui ont été rendues dans ce dossier ces dernières années et veille à respecter scrupuleusement les critères fixés par la directive du 27 novembre 2000 que j’ai déjà mentionnée.
La proposition de loi offre aux écoles de ski réunissant des moniteurs de ski exerçant à titre indépendant la possibilité, et non l’obligation, d’instituer un dispositif de réduction d’activité des moniteurs ayant atteint l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite. La redistribution d’activité résultant de la mise en œuvre de ce dispositif bénéficiera exclusivement aux moniteurs âgés de moins de 30 ans exerçant en continuité sur la saison, pour que l’effort de leurs aînés en leur faveur ne puisse être dilué.
Afin de prévenir tout risque d’abus et d’apporter de solides garanties aux moniteurs seniors, elle plafonne leur réduction d’activité pendant cinq ans au moyen de deux dispositions.
Premièrement, pour les moniteurs ayant atteint l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite et souhaitant poursuivre leur activité, la réduction ne peut excéder, pendant une période initiale de trois années, 30 % de l’activité à laquelle ils pouvaient normalement prétendre en fonction des règles de répartition établies par l’école de ski.
Deuxièmement, pour les moniteurs ayant exercé leur activité durant trois années au-delà de l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite et souhaitant poursuivre leur activité, la réduction ne peut excéder, pendant les deux années suivantes, 50 % de l’activité à laquelle ils pouvaient normalement prétendre en fonction des règles de répartition établies par l’école de ski.
En outre, la proposition de loi prévoit qu’il pourra être fait appel « en tant que de besoin » aux moniteurs ayant exercé leur activité durant cinq années au-delà de l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite et souhaitant poursuivre leur activité.
À l’instar du pacte intergénérationnel de 2012, la proposition de loi prévoit expressément que les moniteurs ayant atteint l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite et souhaitant poursuivre leur activité, ainsi que les moniteurs de moins de 30 ans, bénéficieront d’un nombre d’heures de cours suffisant pour valider au moins deux trimestres d’assurance vieillesse par an dans leur régime de retraite de base.
La proposition de loi réaffirme enfin solennellement que le dispositif ne concernera en aucun cas l’activité des moniteurs sollicités directement ou par l’intermédiaire de leur école de ski à titre personnel par la clientèle, ce qui arrive souvent pour les moniteurs seniors.
Par courrier en date du 2 mai 2014, le Défenseur des droits, dont j’ai souhaité connaître l’avis sur cette proposition de loi, « relève tout d’abord que cette initiative parlementaire permettra de sécuriser ce dispositif en lui conférant une base légale, dans la mesure où l’État est seul compétent pour instituer une différence de traitement fondée sur l’âge, sous réserve que celle-ci soit justifiée par un objectif légitime et que les moyens de réaliser celui-ci soient appropriés et nécessaires.
Par ailleurs, il observe que « l’intégration des jeunes moniteurs est en soi un objectif légitime » et que « le principe d’un encadrement de la réduction d’activité – garantie de pouvoir valider deux trimestres par saison minimum – est de nature à éviter une disproportion excessive aux dépens des moniteurs les plus âgés ».
En conclusion, le Défenseur des droits estime que « le cadre général ainsi défini n’apparaît pas comme caractérisant une discrimination prohibée au regard du droit communautaire et des dispositions nationales dans le domaine de la lutte contre les discriminations ».
Nous attendions cet avis très important, et l’intégralité de la réponse écrite du Défenseur des droits figure d'ailleurs en annexe du rapport de la commission.
Toutefois, le Défenseur des droits, lors de son audition, a souhaité attirer l’attention du Sénat sur un problème connexe que je vais évoquer devant vous aujourd’hui, comme je l’ai fait lors de la réunion de la commission des affaires sociales du 7 mai dernier, même si ce problème ne concerne pas directement la proposition de loi que je viens de vous présenter.
Certains moniteurs de ski, qui ont déjà atteint ou qui vont atteindre dans les années à venir l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite, n’ont pas tous les trimestres nécessaires pour disposer d’une pension de retraite à taux plein et sont fortement incités à poursuivre leur activité jusqu’à un âge avancé pour éviter de subir une décote.
En effet, les cotisations qu’ils ont versées entre 1963, date de mise en place par le Syndicat national des moniteurs du ski français d’un fonds de prévoyance par répartition, et 1978, date de l’obligation légale d’adhésion au régime de base et au régime complémentaire d’assurance vieillesse des professions libérales, ne leur donnent droit à aucun trimestre d’assurance vieillesse.
Aussi la commission des affaires sociales a-t-elle unanimement estimé qu’il serait souhaitable que le Gouvernement étudie, dans le cadre de la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, les conditions dans lesquelles les moniteurs de ski qui n’ont pas encore liquidé leur pension de retraite pourraient faire valider des trimestres supplémentaires en rapport avec l’activité qui a été la leur entre 1963 et 1978.
Mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est le fruit d’un large accord politique à l’Assemblée nationale, comme je l’ai rappelé au début de mon intervention.
Elle mettra fin à l’insécurité juridique qui fragilise, depuis maintenant plusieurs années, le dispositif de solidarité entre générations dont ont bénéficié tant de moniteurs de ski au sein des écoles du ski français.
Elle répond à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, comme les données économiques et démographiques du secteur en attestent. Elle confortera un modèle de régulation de l’activité indispensable à une profession saisonnière, soumise aux aléas de l’enneigement et de la fréquentation touristique, et dont il faut veiller au bon renouvellement, car les moniteurs de ski sont des acteurs incontournables de la vie de nos massifs.
Cette proposition de loi est équilibrée et obéit à une exigence de proportionnalité. Le dispositif qu’elle met en place est approprié et nécessaire pour atteindre l’objectif légitime d’insertion professionnelle des jeunes moniteurs de ski diplômés. En outre, il offre bien plus de garanties aux moniteurs ayant atteint l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite que les versions successives du pacte intergénérationnel du Syndicat national des moniteurs du ski français. Enfin, ce texte a été adopté par la commission à une très forte majorité.
Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, je vous invite à adopter conforme cette proposition de loi issue de l’Assemblée nationale.