Cependant, l’exemple de la fluidification du marché de cette profession libérale, qui présente la particularité d’être grandement organisée, témoigne de la possibilité de penser concomitamment et efficacement des stratégies d’insertion professionnelle et de maintien dans l’emploi.
J’en veux pour preuve ce que nous a déclaré le directeur de l’École nationale des sports de montagne, à savoir que tous les nouveaux diplômés sont embauchés, alors même que le taux d’activité des moniteurs de ski en fin de carrière est très élevé : 82 % à 60 ans et 56 % à 70 ans.
Ces chiffres sont à comparer avec le taux d’activité général des 60-64 ans, qui est extrêmement faible et inquiétant en France, puisqu’il plafonne à un accablant 23, 1 %. Cette spécificité est notre talon d’Achille, comme en témoigne le taux d’emploi des 60-64 ans à l’échelle de l’Union européenne, supérieur de près de 10 points au nôtre.
Or une étude plus fine des données statistiques démontre qu’il n’existe aucune fatalité quant à l’emploi des seniors. En effet, plusieurs de nos partenaires européens présentent des résultats probants, parvenant à obtenir un taux d’emploi proche de 50 % pour les 60-64 ans, taux qui atteint même 61 % en Suède !
Malheureusement, le drame de l’emploi des seniors se conjugue à la tragédie du chômage de la jeunesse. Certes, la France est dans la moyenne de l’UE avec près d’un jeune de 15 à 24 ans sur quatre sans emploi. Nous sommes bien mieux lotis que certains États qui doivent faire face à une jeunesse tentée par l’exil ou menacée par la décomposition, près d’un jeune sur deux étant au chômage, mais nous n’en sommes pas moins menacés par ce fléau, qui ravage déjà certains de nos territoires confrontés à un taux de chômage des jeunes accablant.
Comme l’éducation, l’emploi est devenu un facteur d’aggravation de la fracture territoriale, qui est pernicieuse et dangereuse pour la cohésion sociale.
En outre, à la veille des élections européennes, il convient de mettre en exergue les efforts de l’Union afin d’endiguer le chômage des jeunes et des seniors. Sur ce point, la stratégie « Europe 2020 » vise notamment à porter à 75 % le taux d’emploi de la population âgée de 20 à 64 ans, en mettant l’accent sur la lutte contre le chômage des jeunes et des seniors.
De manière analogue, l’initiative pour l’emploi des jeunes, proposée par la Commission européenne et validée par le Conseil européen des 7 et 8 février 2013, est salutaire, car elle a principalement pour objet d’aider les jeunes sans emploi qui ne suivent pas de cursus scolaire ni de formation dans les régions où le taux de chômage de ces derniers est supérieur à 25 %.
Rappelons que, en France, les contrats d’avenir, ardemment défendus par la majorité présidentielle et parlementaire, ont été non pas un gadget, mais bel et bien un outil d’insertion professionnelle pour près de 100 000 jeunes en 2013. La montée en charge du dispositif doit se poursuivre, et l’objectif de 150 000 emplois d’avenir d’ici à la fin de l’année apparaît réaliste.
Enfin, la mise en place de la « garantie jeunes » par le décret du 2 octobre 2013 se révèle primordiale, dans la mesure où elle focalise les efforts sur l’accompagnement, pierre angulaire de la stratégie de lutte contre le chômage, comme le confirment les réussites scandinaves.
Mes chers collègues, cette brève analyse fait d’autant mieux ressortir le mérite du dispositif instauré par le SNMSF, lequel a permis non seulement aux jeunes de s’insérer parfaitement sur le marché du travail, mais aussi aux plus âgés de conserver un emploi. En somme, il contribue à remédier, dans ce secteur d’activité précis, aux maux qui affectent le marché du travail français en général.
D'ailleurs, de par son esprit, ce mécanisme est une anticipation, lointaine il est vrai, des contrats de génération façonnés par le Président de la République, qui ont trouvé leur traduction dans la loi du 1er mars 2013.
Par-delà la logique économique qui leur est inhérente, l’idée d’échange, de transmission, entre un senior et un jeune, d’aptitudes, d’un savoir, d’une expérience, en un mot d’un vécu, doit être préservée.
Cet archétype philosophique est allègrement plus qu’un symbole ; il est inexorablement de nature à recréer du lien social entre les individus et, par ce truchement, à enrayer la « société de défiance » décrite par Yann Algan, qui aboutit à la peur du changement, à la hantise de la réforme et, in fine, à l’inertie.
C’est pourquoi, il est nécessaire d’aménager, de mieux faire connaître et comprendre, les contrats de générations aux différents acteurs, afin qu’ils y aient davantage recours. Pour ce faire, les entreprises doivent y avoir accès plus aisément, et le recrutement des seniors doit être facilité.
Dans cette perspective, des incitations peuvent être envisagées. Néanmoins, comme l’ont rappelé plusieurs de mes collègues, le dispositif en faveur de l’emploi des moniteurs de ski est aujourd’hui contesté.
Sans entrer dans le récit judiciaire du contentieux toujours d’actualité, il est devenu indispensable que le législateur intervienne pour sécuriser juridiquement le mécanisme de régulation élaboré dans les années 1960.
Cependant, cette intervention doit tenir compte de la directive européenne portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail et des motivations des diverses décisions de justice, comme cela a été souligné au sujet des avis de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, du 29 novembre 2010 et du Défenseur des droits du 2 mai 2014.
De ces impératifs, il résulte une proposition de loi équilibrée et aboutie. D’une part, elle reprend l’architecture du pacte intergénérationnel, fondé sur la solidarité, qui a été gage d’un haut niveau d’emploi pour les moniteurs de ski, génération après génération. D’autre part, elle érige un cadre plus draconien, en apportant des garanties sur la mise en œuvre du dispositif.
Par cet intermédiaire, l’objectif est de répondre aux exigences juridiques qui découlent en particulier de nos engagements européens et d’écarter ainsi les griefs portés à l’encontre du pacte intergénérationnel.
Parmi les avancées manifestes de ce texte, il paraît significatif de relever tout d’abord la condition d’âge fixée par l’article 1er, disposant que « la redistribution d’activité générée par la mise en œuvre [du] dispositif bénéficie exclusivement aux moniteurs âgés de moins de trente ans et exerçant en continuité sur la saison ».
S’y ajoute l’établissement d’un filet de sécurité qui consiste à permettre aux jeunes, comme aux moniteurs âgés de 62 à 67 ans, de valider au moins deux trimestres d’assurance vieillesse par an.
Enfin, le caractère facultatif, cela a été souligné, du dispositif, qui ne devra pas être imposé verticalement aux écoles de ski. En ce sens, les écoles de ski peuvent être assurées de la vigilance à la fois des élus locaux, des parlementaires, et du Gouvernement en ce qui concerne l’application de cette future loi. Latitude et liberté de choix doivent être laissées aux centres de formation.
Dans le cas contraire, l’obligation de souscrire au pacte intergénérationnel présenterait le risque d’affaiblir, voire de détruire, l’accord quasi unanime sur sa légitimité et son efficacité.
Mes chers collègues, si vous me le permettez, je citerai François Ponsard, écrivain et poète du XIXe siècle, qui soulignait que « tout conseil est mauvais quand il est imposé ».
Enfin, j’aimerais insister, même si cela a déjà été souligné par mon collègue Georges Labazée, sur la situation délicate dans laquelle se trouve un nombre considérable de moniteurs de ski. En effet, avant l’obligation légale d’affiliation au régime de base et au régime complémentaire d’assurance vieillesse des professions libérales, plusieurs d’entre eux ont cotisé à perte, entre 1963 et 1978, au fonds de prévoyance par répartition créé par le syndicat des moniteurs de ski.
Aujourd’hui, il s’ensuit que certains moniteurs qui ont déjà atteint, ou qui sont sur le point d’atteindre, l’âge ouvrant le droit à l’assurance vieillesse n’ont pas tous les trimestres requis pour disposer d’une pension à taux plein. Dès lors, ils sont incités à poursuivre leur activité pour éviter de subir une décote.
L’enjeu se révèle donc double : au premier chef, réparer l’injustice dont ils sont victimes en permettant à ces moniteurs de bénéficier d’une pension de retraite équivalente au nombre de trimestres qui auraient dû être effectivement validés entre 1963 et 1978 ; en second lieu, d’un point de vue systémique, éviter « l’effet congestion » qui pourrait mettre en danger la viabilité du pacte intergénérationnel, reposant sur la fluidité du marché du travail des moniteurs de ski.
En conséquence, à l’instar de notre rapporteur, je souhaiterais appeler le Gouvernement à réfléchir, dans le cadre de la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, à la possibilité de remédier à la situation inique dans laquelle se trouvent ces moniteurs de ski. Il s’agit là exclusivement d’une question de justice sociale.
En conclusion, cette proposition de loi sécurise le dispositif en lui conférant une base légale, ce qui est dans l’intérêt des moniteurs de ski. Si vous me permettez, mes chers collègues, je terminerai par une note d’humour : j’espère que ce texte glissera paisiblement et ne déclenchera aucune avalanche dans les travées de notre périlleuse piste noire.