Le Sénat s'est emparé des sujets écologiques depuis bien longtemps : je sais que je suis en territoire ami. Depuis dix-huit mois, j'exerce la mission d'envoyé spécial du Président de la République pour la protection de la planète. L'ampleur du titre peut faire sourire. Elle est néanmoins très adaptée aux enjeux universels auxquels nous sommes confrontés pour la première fois dans l'histoire des sociétés. Nous serons tous gagnants, ou tous perdants. Personne n'a intérêt à un échec de la conférence de Paris en 2015. Je m'étonne que certains pays continuent de se défausser de leurs responsabilités dans les négociations multilatérales onusiennes. Le dernier rapport du Giec montre que la fenêtre d'opportunité se referme un peu plus chaque jour. C'est l'avenir de nos enfants et de nos petits-enfants qui se joue. Depuis vingt ans, la prise de conscience grandit, mais sa traduction en mesures concrètes peine à suivre l'emballement des phénomènes climatiques, dont l'aggravation n'est pas linéaire. Nous sommes lancés dans une cruelle course contre la montre.
La conférence de Paris suscite espoirs et inquiétudes. Celle de Copenhague était déjà le rendez-vous de la dernière chance. Les coûts humain et économique vont se développer de manière exponentielle. Le troisième volet du dernier rapport du Giec confirme à 98,5 % - j'admire la prudence des scientifiques - la responsabilité anthropique du changement climatique, à l'oeuvre sous des formes variées, y compris sous nos latitudes. Le coût économique est parfaitement mesurable. Aux Etats-Unis, les catastrophes naturelles ont coûté 4 milliards de dollars en 1980, 20 milliards en 2000 ; en 2012, le seul ouragan Sandy a coûté 60 milliards et la sécheresse dans le New-Jersey, 40. Le Giec confirme les prévisions de son premier rapport - l'amplification et la multiplication des extrêmes climatiques. Je m'en désole et m'en réjouis à la fois : les événements sont nos meilleurs alliés pour convaincre ceux qui doutent encore.
En dépit des accords internationaux, le rythme des émissions de gaz à effet de serre ne cesse d'augmenter. La Chine nous a rattrapés en volume global, mais non en volume par habitant. Le rapport du Giec, qui coïncide avec celui de la Banque mondiale, indique que si nous laissons la température augmenter de deux degrés Celsius au cours du siècle, les économies et les démocraties seront directement menacées. Si le sujet suscite souvent une attention sincère, un malentendu subsiste quant à la teneur des enjeux climatiques, optionnels pour certains, conditionnels pour d'autres, dont je fais partie - c'est-à-dire que les changements climatiques conditionnent tous les enjeux de solidarité auxquels nous sommes attachés. Ils amplifient l'injustice, multiplient les inégalités, creusent la souffrance. Ils sont un facteur aggravant de la raréfaction des ressources, je songe à l'état des océans, à l'accès à l'eau potable, à la productivité des terres agricoles. Nous marchons en spectateurs éclairés vers une catastrophe annoncée. Plus on attend pour s'engager, plus le coût en terme de PIB augmente, Nicholas Stern l'a montré.
Pourquoi ajournons-nous sans cesse notre mobilisation ? Le positivisme opère encore, qui fait croire que le progrès est irréversible et que le temps règlera tous les problèmes. Les fondamentaux de notre modèle économique sont solidement ancrés. Nous devons à la fois répondre aux exigences présentes de nos concitoyens, faire face à l'héritage des siècles précédents et, pour la première fois dans l'histoire, réfléchir aux impératifs de long terme. Sacrifiera-t-on l'avenir au présent ou le présent à l'avenir ? Durant les dix-huit mois de ma mission, j'ai rencontré des interlocuteurs du monde entier, y compris dans des pays aux postures radicales. Certains pays considèrent que la responsabilité du changement climatique doit être rejetée sur ceux de l'OCDE et de l'hémisphère nord qui ont saturé l'atmosphère de gaz à effet de serre. A l'inverse, les pays du nord engagent les pays émergents à prendre leur part de responsabilité, en arguant qu'ils ont pris le pas en matière d'émissions de gaz à effet de serre. Sur notre continent, certains veulent développer l'investissement dans les modèles économiques de demain. Pour d'autres, plutôt les pays de l'est, l'Europe n'en a que trop fait. L'unanimité affichée lors de l'adoption du paquet énergie-climat a fait long feu.
Une sortie par le haut à la conférence de Paris dépend d'étapes intermédiaires, en particulier le sommet Ban Ki-moon à New-York à l'automne prochain. A Copenhague, les chefs d'Etat étaient entrés dans le jeu au dernier moment, ce qui a pesé dans l'issue des débats. Il semble aujourd'hui que des discussions se déroulent en coulisse entre les Américains et les Chinois. Aux Etats-Unis, les récentes déclarations du président Obama sont porteuses d'espoir. Même si le Congrès n'est pas disposé à ratifier un engagement international, les esprits bougent, y compris dans le camp républicain. L'économie américaine subit l'impact des éléments climatiques. Les agences militaires, CIA en tête, estiment que la menace climatique pèse autant que la menace terroriste sur la sécurité nationale. Du point de vue des technologies de l'environnement, les entreprises américaines sont en pointe. La lutte contre le réchauffement climatique leur offre une opportunité économique intéressante. Selon Al Gore, le président serait en mesure de prendre un engagement international en se passant de la ratification du Congrès - le Clean Air Act mis en oeuvre directement par les grandes agences ayant fait précédent. M. Obama a une certaine marge d'action pour s'engager. Il souhaite certainement rester dans l'Histoire autrement que comme le premier président noir des Etats-Unis. L'Histoire retiendra ce que les Etas-Unis auront fait ou pas.
Quant à la Chine, jusqu'à présent, elle ne s'engageait qu'à reculons dans le processus de lutte contre le réchauffement climatique, sous la pression internationale. Désormais, l'enjeu est interne. La pollution a un coût économique. À Shanghai, l'activité économique a dû s'arrêter pendant une semaine, pour assainir l'air. Les dirigeants craignent des mouvements de masse en protestation contre un air trop pollué. Le terme de « civilisation écologique » est entré dans le vocabulaire chinois, c'est un signe : on peut espérer une réponse proche. La situation se décrispe également dans les pays du Golfe. Les Emirats Arabes Unis font partie du Dialogue de Carthagène, un espace de discussion informel et très ouvert sur le changement climatique. L'Arabie Saoudite, le Koweit et le Qatar sont disposés à oeuvrer pour que le sommet de Paris soit une réussite, par exemple en encourageant les pays du G77 à poser leurs propres engagements au lieu d'attendre de voir ce que font les autres. Des partenariats intéressants sont possibles, car ces pays disposent d'une manne économique extraordinaire et de fonds souverains à faire pâlir d'envie, sans avoir les capacités humaines nécessaires à la recherche-développement. On peut ainsi envisager une coopération entre la France, les pays du Golfe et l'Afrique. Les dés ne sont pas encore joués pour le sommet de Paris. Le rôle de la France est important mais limité dans un processus qui est d'abord onusien. Le pays hôte peut développer des arguments, montrer le scénario positif d'un nouveau modèle économique, mais peut-il oser la rupture ?
J'ai eu l'occasion de visiter le plus grand centre de recherche au monde sur les énergies renouvelables, au Colorado. Il regroupe 2 à 3 000 chercheurs du monde entier. Le futur est en marche, effaçant toute vision archaïque des énergies renouvelables. Les choses vont aller vite. J'ai une foi absolue dans l'efficacité des énergies renouvelables exploitées en bouquet. La courbe du rendement énergétique croise celle du coût. Le développement de technologies nouvelles, comme le stockage des énergies intermittentes ou le transport durable, suscite l'optimisme. En France, nous avons tout un secteur de pointe dans le domaine de l'environnement et de l'efficacité énergétique. Le foisonnement des initiatives se heurte hélas à un mur de scepticisme du côté des banquiers, ce qui étouffe dans l'oeuf nombre d'initiatives. Le rôle de la BPI sera à cet égard essentiel. La diplomatie française est dévouée au sujet. Laurent Fabius se montre volontaire. L'enthousiasme et la fierté sont les sentiments qui dominent au sujet de la conférence. Nous avons besoin de cette émulation collective pour réussir.