… disent concernant l’article 1382 du code civil ne correspond pas à la réalité.
Le Sénat est aujourd'hui invité à examiner la proposition de loi tendant à réprimer la contestation de l’existence du génocide arménien déposée par Serge Lagauche et trente de ses collègues socialistes.
Je rappelle que la France a officiellement et publiquement reconnu le génocide arménien de 1915 par la loi du 29 janvier 2001. De nombreux autres pays ont, eux aussi, reconnu l’existence du génocide arménien, mais leur Constitution leur permettait de le faire par voie de résolution, ce qui n’était pas possible en 2001 dans notre pays, à une époque où les résolutions étaient interdites. Je tiens à le rappeler à ceux qui auraient la tentation de refaire l’histoire. Le Parlement européen a lui aussi reconnu le génocide arménien par voie de résolution.
Le texte dont nous discutons aujourd’hui prévoit de franchir une étape supplémentaire en punissant d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende les personnes qui contesteraient publiquement l’existence du génocide arménien de 1915, sur le modèle de l’article 9 de la loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, dite « loi Gayssot », qui sanctionne pénalement la contestation de l’existence de la Shoah.
Comme vous le savez sans doute, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission des lois a estimé que ce texte soulevait de réelles difficultés d’un point de vue constitutionnel et elle a, par conséquent, décidé de proposer au Sénat de lui opposer l’irrecevabilité.
Que les choses soient très claires : il n’est pas question pour la commission, comme je l’ai lu, de nier de quelque manière que ce soit l’existence du génocide arménien ; la loi du 29 janvier 2001 l’a reconnu solennellement. Toutefois, la commission des lois a estimé que le recours à la voie pénale soulevait de réelles difficultés juridiques et suscitait un risque de censure assez certain. J’y reviendrai dans un instant.
Avant cela, je souhaite rappeler brièvement les éléments du débat.
Le génocide arménien est une réalité historique aujourd’hui largement reconnue.
Dans le contexte de la Première Guerre mondiale et de l’affrontement russo-turc dans le Caucase, les dirigeants de l’empire ottoman ont décidé, à partir d’avril 1915, de déporter l’ensemble de la population arménienne d’Anatolie et de Cilicie vers les déserts de Syrie et d’Irak. Au total, environ les deux tiers de la population arménienne de l’Empire ottoman – entre 800 000 et 1, 25 million de personnes selon les évaluations faites par les historiens – auraient péri dans ces circonstances.
Ces massacres sont souvent d’ailleurs présentés comme le premier génocide du XXe siècle.
Toutefois, il convient de rappeler que ce n’est qu’à l’issue de la Seconde Guerre mondiale que les notions de « crime contre l’humanité » et de « génocide » sont officiellement reconnues comme des concepts juridiques.
Le « crime contre l’humanité » est ainsi défini pour la première fois par le statut du tribunal militaire international de Nuremberg ; la notion de « génocide », évoquée par notre collègue tout à l’heure, fait quant à elle l’objet d’une reconnaissance officielle avec l’adoption, en décembre 1948, de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
J’attire votre attention sur le fait que, pour l’essentiel, les éléments matériels constituant le crime de génocide ou les autres crimes contre l’humanité correspondent à des infractions réprimées par ailleurs par le droit pénal : assassinat, tortures, violences, etc. Ces crimes prennent la qualification de « génocide » ou de « crime contre l’humanité » en présence d’un élément moral spécifique : l’exécution d’une entreprise criminelle de grande envergure guidée par des motifs idéologiques et caractérisée par l’existence d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d’un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire.
En l’état actuel de la recherche historique et scientifique, la qualification de génocide peut être appliquée rétroactivement aux massacres commis contre les populations arméniennes en 1915 : la simultanéité dans les meurtres, le caractère identique des méthodes employées, « l’inutilité » sur un plan stratégique de nombreuses déportations plaident pour une planification visant à homogénéiser la population arménienne d’Anatolie plutôt qu’à éliminer une soi-disant « cinquième colonne ».
Néanmoins, aucune organisation internationale ni aucune juridiction internationale ou française ne se sont jamais prononcées sur les responsabilités et la qualification des massacres ainsi perpétrés. C’est ici l’une des sources des difficultés sur lesquelles je reviendrai dans un instant.
Suivant l’exemple donné par une quinzaine de parlements étrangers, par le Parlement européen et par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, entre autres, la France, je le rappelle, a officiellement reconnu l’existence du génocide arménien par la loi du 29 janvier 2001.
Je dirai un mot sur la question de la contestation de l’existence du génocide arménien devant les tribunaux français, surtout après ce que j’ai pu lire dans la presse émanant de certains qui croient connaître le droit mieux que moi. Je ne le connais pas beaucoup, mais un petit peu tout de même !