Intervention de Didier Boulaud

Réunion du 26 novembre 2010 à 9h30
Loi de finances pour 2011 — Défense

Photo de Didier BoulaudDidier Boulaud :

C’était, ni plus ni moins, à une impasse financière de l’ordre de 50 milliards d’euros qu’il fallait faire face, sans compter – et personne ne s’en faisait l’oracle – que la crise économique allait passer par là.

Mes chers collègues, mon propos ne saurait se concentrer sur le seul projet de budget pour 2011, tant celui-ci est étroitement lié à ce qui en découlera jusqu’en 2013, et même au-delà. D’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement pour une annuité budgétaire qui n’est, somme toute, que de transition, d’aucuns qualifiant son contenu de tour d’écrou et d’escamotage ?

Mes collègues reviendront plus en détail sur différentes mesures de ce projet de budget. Par ailleurs, les différents rapporteurs, parfois en termes élégants, ont déjà exprimé de réelles inquiétudes.

Surtout, ne nous trompons pas sur le vote émis par la commission, qui ne reflète que les dispositions de la majorité à se montrer une fois de plus – j’allais dire une fois de trop – particulièrement bienveillante, soit dit en ces termes pour ne pas être désagréable. Car c’est la même majorité qui s’esbaudit toujours, cinq ans après son adoption, devant la funeste loi de programmation militaire précédente, persuadée qu’elle est que celle-ci a été la seule de l’histoire à avoir été irréprochable. Et pourtant… Mais plus c’est gros, plus ça passe, selon un vieil adage !

En effet, j’y insiste, la loi de programmation militaire en cours d’exécution est, elle aussi, à jeter aux oubliettes. Le Livre blanc, quant à lui, est obsolète, car il manquerait d’ores et déjà quelque 25 milliards d’euros à l’échéance de 2020 pour qu’il puisse être appliqué.

Pour autant, il ne faudrait pas que la seule logique financière prenne le pas sur les choix stratégiques, au risque de voir des programmes non encore engagés, peut-être les plus utiles, être abandonnés, et tous les programmes de production annihiler, pour longtemps et de manière sans doute rédhibitoire, tous les programmes de recherche.

Monsieur le ministre d’État, le budget de 2011 sera le dernier en année pleine du quinquennat ; il est à l’image d’une politique qui n’aura tenu ni les engagements ni les promesses qui la sous-tendaient.

Tout d’abord, la loi relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense, votée tardivement à l’été 2009 alors qu’une de ses annuités était déjà largement engagée, reposait sur des perspectives de financement irréalistes. Elle tablait sur l’obtention de recettes exceptionnelles – 1, 8 milliard d’euros – et un montant total d’économies de 3, 5 milliards d’euros sur les seuls exercices 2009 à 2011, que l’on savait hors d’atteinte. La vente d’actifs industriels et immobiliers, ainsi que les marges d’action dégagées par la baisse des effectifs et l’externalisation de certaines tâches confiées au secteur civil, n’ont pour l’heure pas même produit 20 % du montant d’économies officiellement escompté.

Enfin, de nombreux coûts ont été délibérément ignorés ou sous-estimés.

Ainsi, premièrement, le coût du retour au sein des structures militaires intégrées de l’OTAN, de l’ordre de 600 millions à 800 millions d’euros, a été passé sous silence, de même que les frais d’installation de la base d’Abu Dhabi.

Deuxièmement, la charge des opérations extérieures –environ 850 millions d’euros par an, dont 470 millions d’euros pour l’Afghanistan –, certes mieux prise en compte désormais, reste cependant notablement sous-budgétée.

Troisièmement, le bilan coûts/avantages du resserrement du dispositif territorial des armées a été mal pondéré. Non seulement la constitution du réseau des bases de défense, qui est passé, on ignore par quel miracle, de plus de quatre-vingt-dix bases au départ à une cinquantaine, est plus lente que prévu, mais elle est surtout dispendieuse. Et ne parlons pas du projet de Pentagone à la française, le fameux « Balardgone », qui ne s’imposait pas vraiment en période de restrictions budgétaires !

Certes, le plan de relance a eu un effet apparemment positif pour le ministère de la défense, qui a ainsi pu bénéficier d’une manne inattendue de quelques centaines de millions d’euros. Mais cet argent, destiné à une consommation rapide, a été affecté moins au financement de programmes prioritaires qu’à des achats ou à des contrats immédiatement négociables.

Quant aux mesures budgétaires de restriction pour 2010, puis de réduction pour la période allant de 2011 à 2013, elles ont achevé de désorganiser les finances de la défense, les coupes dans les crédits militaires ne s’étant pas accompagnées d’une révision de la programmation.

C’est pourtant une telle révision qu’ont entreprise, avec plus d’ampleur, de transparence et de lucidité, Allemands et Britanniques, confrontés eux aussi à de graves difficultés. Mais voilà, le Président de la République, avant l’échéance de 2012, se refuse à un exercice de vérité qui manifesterait, pour solde de tout compte, le naufrage de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014.

L’amputation du budget de la défense à hauteur de 3, 6 milliards d’euros entre 2011 et 2013 nous est curieusement présentée comme étant pratiquement indolore, bien que le décryptage des propos des chefs d’état-major, toujours soucieux de ne fâcher personne, fasse apparaître que nul ne sait où la hache va tomber, ni d’ailleurs à quel rythme. L’affichage dans le projet de loi de finances initiale de cette réduction des crédits sur trois ans ne restitue pas, en outre, la véritable donne budgétaire en exécution. En effet, si l’on s’amuse – que l’on me pardonne d’employer cette expression, étant donné la gravité du sujet – à additionner les annulations, les gels et les reports probables, l’effort budgétaire demandé à la défense sera en réalité plus proche de 6 milliards d’euros que des 3, 6 milliards d’euros annoncés.

Parallèlement, s’agissant des investissements, le déficit de financement, entre crédits de paiement et engagements, s’élèvera à plusieurs milliards d’euros ; ce seront autant de traites tirées sur l’avenir.

Celui ou celle qui vous succédera en 2012 peut d’ores et déjà se préparer à affronter une situation particulièrement détériorée, monsieur le ministre d’État ! En réalité, l’opacité du projet de budget pour 2011 que vous nous présentez ne vise qu’à masquer le désordre. C’est la raison pour laquelle mon groupe ne le votera pas.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion