Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’associe à mon intervention ma collègue Sophie Joissains, sénatrice des Bouches-du-Rhône et élue d’Aix-en-Provence.
Nous sommes aujourd’hui saisis d’un sujet délicat. La proposition de loi qui nous est présentée a pour objet, comme celle qui a été adoptée en 2006 à l’Assemblée nationale, de punir au moyen de sanctions pénales ceux qui nient les souffrances endurées par les victimes du génocide arménien de 1915 commis par l’État turc. Elle tend à compléter la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance dudit génocide.
Je comprends bien les arguments juridiques de la commission des lois en faveur d’une exception d’irrecevabilité. J’admets parfaitement qu’une majorité de nos collègues, de gauche comme de droite, se rendent à ces arguments. De façon générale, ce que l’on appelle désormais les « lois mémorielles » pose effectivement problème.
Pourtant, lors de mon vote, qui m’est personnel, je ne prendrai pas en compte la solidité des arguments juridiques de la motion d’irrecevabilité, dont les fondements sont indéniables. Par mon vote, mes chers collègues, je veux dénoncer ce qui à mes yeux constitue un scandale.
Tout d’abord, je n’admets pas que l’État turc, toujours candidat à l’entrée dans l’Union européenne, puisse dans sa propre législation continuer, lui, à pénaliser sévèrement ses ressortissants sous le seul prétexte qu’ils sont désireux que leur pays assume la responsabilité dudit génocide.
Je veux également dénoncer l’hypocrisie européenne, dont les responsables, imperturbablement, et en dépit des faits mentionnés, poursuivent, au nom du respect des droits de l’homme et des avancées démocratiques, les négociations sur l’intégration turque au sein de l’Union.
Bien loin des arguments constitutionnels aujourd’hui légitimement invoqués, les motifs avancés par nombre d’opposants à la pénalisation du négationnisme du génocide arménien s’assimilent le plus souvent à de sordides calculs économiques en raison du chantage que la Turquie exercerait sur nos entreprises.
Mes chers collègues, mettre en regard des contrats et les victimes arméniennes massacrées me met, personnellement, très mal à l’aise.
Céder, à contresens de nos valeurs humanistes et démocratiques, aux chantages d’un État étranger est, de mon point de vue, impossible. Ne pas réagir fermement aux exactions commises, à l’instigation d’un État étranger, contre nos compatriotes arméniens de souche relève de la lâcheté et justifie que l’on réprime sévèrement la négation de l’existence du génocide arménien.
Oui, je revendique, à titre personnel, une proximité avec les Français d’origine arménienne, issus d’une diaspora durement éprouvée au début du XXe siècle. Oui, j’assume personnellement et totalement ma reconnaissance du génocide arménien.
En 2006, alors député, j’ai voté la proposition de loi présentée par mon collègue de Marseille, Christophe Masse, pénalisant la négation de ce génocide. En dépit des éléments nouveaux survenus depuis lors et qui fondent sa légitimité, je voterai, pour toutes les raisons évoquées, contre la motion d’irrecevabilité. Je ne me dédirai pas aujourd’hui, et mon vote penchera en faveur du texte présenté par le sénateur socialiste Serge Lagauche.
Il reste, mes chers collègues, que ce débat me laisse un goût amer, en raison de l’hypocrisie de certains. Que nos compatriotes d’origine arménienne ne s’y trompent pas ! Certes, la manœuvre était bien montée : présenter dans la niche parlementaire socialiste un texte satisfaisant la nombreuse diaspora arménienne de France et ne faire aucun effort pour le faire adopter ensuite, faisant ainsi endosser à la majorité et au Gouvernement la responsabilité de l’échec. Mais la ficelle est un peu grosse !
Mesdames, messieurs les socialistes, n’avez-vous donc pas retenu les leçons du vote de 2001, ou de celui de 2006 à l’Assemblée nationale ? Ne savez-vous pas que la seule chance de faire adopter un texte de ce type était de le faire signer par des sénateurs de tous les bords de l’hémicycle, comme naguère, le sénateur maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, qui avait, lui, sollicité l’ensemble des présidents de groupe de la Haute Assemblée pour les associer à son combat en faveur de la reconnaissance du génocide arménien ?