Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 4 mai 2011 à 14h30
Répression de la contestation de l'existence du génocide arménien — Exception d'irrecevabilité

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest, rapporteur :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, certains préfèrent la simplicité de la passion à la complexité du raisonnement, disait un grand auteur. C’est peut-être la nature humaine qui le veut, mais une telle attitude ne saurait fonder les progrès de l’État de droit, qui garantissent pourtant les libertés publiques, au bénéfice de l’humanité.

Comme je l’ai déjà brièvement expliqué au cours de la discussion générale, la commission des lois a décidé, à l’unanimité, d’opposer l’exception d’irrecevabilité à cette proposition de loi, qui nous paraît notamment contraire à deux principes reconnus par le Conseil constitutionnel : le principe de la légalité des délits et des peines, d’une part, le droit à la liberté d’opinion et d’expression, d’autre part.

Tout d’abord, il existe un risque de contrariété au principe de la légalité des délits et des peines.

En effet, bien qu’il s’en inspire, le dispositif de la présente proposition de loi diffère sensiblement de celui de la loi Gayssot sur la pénalisation de la négation de la Shoah.

Le dispositif de la loi Gayssot est adossé à des faits précis, reconnus par une convention internationale ou par une juridiction nationale ou internationale au terme de débats contradictoires.

Dans un arrêt du 7 mai 2010, la Cour de cassation a estimé que la question de la contrariété de la loi Gayssot aux principes constitutionnels de la légalité des délits et des peines et de la liberté d’opinion et d’expression « ne présentait pas un caractère sérieux dans la mesure où l’incrimination critiquée se réfère à des textes régulièrement introduits en droit interne, définissant de façon claire et précise l’infraction […] dont la répression, dès lors, ne porte pas atteinte aux principes constitutionnels de liberté d’expression et d’opinion ».

La situation est évidemment différente s’agissant du génocide arménien de 1915, perpétré bien antérieurement à l’adoption de la convention du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide et dont les auteurs n’ont jamais été jugés, ni par une juridiction internationale ni par une juridiction française. Je rappelle à cet instant que la France était partie prenante au traité de Sèvres, qui a reconnu le génocide arménien, même s’il n’a jamais été ratifié.

Sur un plan strictement juridique, il n’existe donc pas de définition précise, attestée par un texte de droit international ou par des décisions de justice revêtues de l’autorité de la chose jugée, des actes constituant ce génocide et des personnes responsables de son déclenchement, ce qui conduit à s’interroger sur le périmètre exact de la notion de « contestation de l’existence du génocide arménien de 1915 » retenue par la proposition de loi.

En outre, le terme « contestation », dont le champ est plus large que celui du terme « négation », soulève un problème : la « contestation » peut en effet porter sur l’ampleur, les méthodes, les lieux, le champ temporel du génocide, sans forcément nier l’existence même de celui-ci.

Au total, le champ de l’infraction créée par la proposition de loi nous paraît présenter un risque sérieux de contrariété au principe de la légalité des délits et des peines.

Je rappelle que le Conseil constitutionnel considère que ce principe est respecté dès lors que l’infraction est définie « dans des conditions qui permettent au juge, auquel le principe de légalité impose d’interpréter strictement la loi pénale, de se prononcer sans que son appréciation puisse encourir la critique d’arbitraire ».

Par ailleurs, il existe un risque de contrariété au principe de liberté d’opinion et d’expression.

Corrélativement, la création d’une infraction pénale paraît contraire au principe de liberté d’opinion et d’expression, protégé par l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ainsi que par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

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