Intervention de Bernard Piras

Réunion du 4 mai 2011 à 14h30
Répression de la contestation de l'existence du génocide arménien — Exception d'irrecevabilité

Photo de Bernard PirasBernard Piras :

Soutenir l’inverse amènerait à conclure qu’il existe une hiérarchie entre les génocides, ce qui serait aussi contestable juridiquement que moralement. En réalité, seule la situation actuelle paraît marquer une rupture d’égalité, à laquelle la présente proposition de loi permettra de remédier.

Sur cette question, la jurisprudence est suffisamment précise pour qu’il n’y ait pas d’incertitude sur la portée du terme : c’est ainsi que la loi Gayssot n’a pas empêché les universitaires de poursuivre leurs travaux de recherche sur les conditions dans lesquelles s’est déroulé le génocide juif.

Quoi de plus naturel que d’inscrire le négationnisme du génocide arménien sous le même régime juridique que le négationnisme de l’Holocauste ? Ce ne serait que justice.

Comme l’ont rappelé M. le garde des sceaux et M. le rapporteur, le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 28 novembre 2008, une décision-cadre n° 2008/913/JAI disposant que chaque État membre de l’Union européenne, dont la France, devait prendre « les mesures nécessaires pour faire en sorte que les actes intentionnels ci-après soient punissables : […] l’apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre […] ».

Cette décision-cadre appelle un acte de transposition. Or, de même qu’il n’a pas souhaité faire aboutir la navette parlementaire à la suite de l’adoption par l’Assemblée nationale, le 12 octobre 2006, de la loi pénalisant le négationnisme du génocide arménien, le Gouvernement français n’a toujours pas transposé cette décision-cadre. Néanmoins, cette dernière nous permet d’assurer que, aux yeux du législateur européen, la pénalisation du négationnisme ne constitue pas une atteinte à la liberté d’expression.

Sur le plan extracommunautaire, plus précisément à l’échelon de la Cour européenne des droits de l’homme, un recours a été formé par Dogu Perinçek, ultranationaliste turc condamné par la justice suisse pour négation du génocide arménien. Dans les faits, la législation suisse est dotée, depuis de nombreuses années, d’un dispositif antinégationniste. Dès lors que la Suisse a reconnu le génocide arménien, le juge suisse a fort justement étendu le champ d’application de cette disposition à ce génocide.

Il reviendra au juge de Strasbourg de décider si ce jugement est contraire à la liberté d’expression. Je prie M. Badinter d’y être attentif ! Dans l’affirmative, le juge européen se mettrait dans la situation la plus délicate qui soit : non seulement cet arrêt servirait d’appui à tous les négationnistes de la Shoah pour déclarer incompatible avec la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales toute législation antinégationniste – les arrêts de la Cour étant publics, il y aurait matière, pour pléthore de négationnistes, à former d’innombrables recours ! –, mais le juge de Strasbourg se heurterait à la décision-cadre européenne précitée, qui dispose exactement le contraire !

Enfin, comment le juge constitutionnel français, qui a élevé, par sa jurisprudence de 1994 relative à la bioéthique, le respect de la dignité de la personne humaine au rang de principe à valeur constitutionnelle, pourrait-il considérer qu’en l’espèce le principe de la dignité de la personne humaine serait davantage restreint en France qu’ailleurs en Europe ? Tel serait le cas si la France ne sanctionnait pas pénalement le négationnisme du génocide arménien, tandis que l’Union européenne et fort probablement la Cour de Strasbourg admettraient que la pénalisation du négationnisme n’est pas une atteinte à la liberté d’expression. Il est impératif de rappeler, à ce stade, que le Conseil d’État, dans son fameux arrêt Commune de Morsang-sur-Orge de 1995, a estimé que le respect de la dignité humaine devait être inclus dans la définition de l’ordre public. Or des actes de vandalisme et de haine négationnistes constituent bien une atteinte à l’ordre public.

Ainsi, il est démontré que le texte qui vous est soumis n’est en rien contraire à la Constitution. Un peu de courage, mes chers collègues ! Vous avez l’occasion de montrer votre indépendance d’esprit. Ne passez pas à côté de l’histoire, comme l’a fait pendant près d’un siècle la communauté internationale s’agissant du génocide arménien. Rejetez sans aucune hésitation cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité !

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