Intervention de Jean-Pierre Michel

Réunion du 15 mai 2014 à 9h30
Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, notre assemblée est donc invitée à se prononcer sur les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi visant à transposer la directive du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales et une partie de la directive du 22 octobre 2013, sur le droit d’accès à un avocat.

Ce texte a été examiné par le Sénat et l’Assemblée nationale dans des délais contraints, en procédure accélérée, mais dans un esprit constructif, pragmatique et consensuel, ce dont je me félicite.

Dans l’ensemble, les modifications apportées par l’Assemblée nationale au texte voté par le Sénat à la fin du mois de février ont amélioré le texte, clarifié quelques points qui pouvaient encore poser des difficultés et l’ont complété de mesures utiles. Je veux souligner la qualité du travail réalisé par nos collègues députés, notamment Mme Cécile Untermaier, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale.

Aussi est-ce sans difficulté que la commission mixte paritaire, réunie mardi après-midi, est parvenue à un accord sur ce texte, qui, sous réserve de quelques améliorations rédactionnelles, reprend la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.

Je veux revenir brièvement sur quelques points, qu’il me semble important de relever.

Tout d’abord, sur l’article 1er, qui vise à reconnaître des droits au suspect entendu dans le cadre d’une audition libre, l’Assemblée nationale a apporté plusieurs clarifications bienvenues, qui ont été entérinées par la commission mixte paritaire.

S’agissant de la convocation écrite que l’officier de police judiciaire pourra adresser à la personne suspectée, la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale posait problème, en ce qu’elle ouvrait la voie à des discussions contentieuses qui auraient pu fragiliser les procédures. Sur proposition de la rapporteur de l’Assemblée nationale et de moi-même, et en accord avec la Chancellerie, la CMP a adopté une rédaction un peu plus souple, aux termes de laquelle il appartiendra aux seuls officiers de police judiciaire de juger si le déroulement de l’enquête permet de mentionner, sur la convocation, la nature de l’infraction reprochée.

La CMP a, par ailleurs, répondu à une inquiétude de nos collègues députés de l’opposition, en remplaçant le terme « suspect » par celui, plus neutre et plus respectueux de la présomption d’innocence, de « personne soupçonnée ».

En outre, à l’article 3, relatif à la garde à vue, l’Assemblée nationale a procédé à plusieurs modifications, d’ampleur inégale, lesquelles ont été adoptées par la CMP sous réserve de quelques modifications rédactionnelles.

En particulier, je veux saluer ici la solution assez habile que l’Assemblée nationale a trouvée s’agissant des gardes à vue prolongées en matière d’escroquerie en bande organisée. Comme vous le savez, dans sa décision du 4 décembre 2013 sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il était disproportionné d’autoriser des gardes à vue de quatre jours pour des infractions de corruption et de fraude fiscale en bande organisée. La rédaction votée par le Sénat, sur proposition du Gouvernement, rendait impossible, par cohérence, le recours à des gardes à vue prolongées pour des faits d’escroquerie en bande organisée, ce qui a légitimement inquiété les services d’enquête.

Le texte adopté par les députés prévoit toujours d’interdire les gardes à vue de quatre jours pour de tels faits. Toutefois, un régime dérogatoire demeurerait possible, à condition d’être spécialement motivé, dans trois hypothèses : si les faits portent atteinte à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes, s’ils portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou si l’un des faits constitutifs de l’infraction a été commis hors du territoire national – on pense aux trafics internationaux et aux fraudes fiscales internationales. En outre, le report de l’intervention de l’avocat au-delà de quarante-huit heures ne serait plus possible.

Cet amendement a été élaboré avec les services de la Chancellerie. Il constitue à mon avis une bonne façon de nous conformer à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, tout en insistant sur l’importance que les services d’enquête et de police puissent continuer à réaliser des gardes à vue de quatre jours pour des faits susceptibles d’être particulièrement complexes – songeons, par exemple, à l’affaire de la fraude à la taxe carbone. La CMP a pleinement approuvé cette rédaction, sous réserve d’une clarification rédactionnelle.

Nous avons également apporté une précision s’agissant des modalités concrètes dans lesquelles une personne gardée à vue pourrait demander au magistrat de mettre un terme à cette mesure lorsqu’elle ne lui est pas effectivement présentée : ses observations seront alors consignées dans un procès-verbal spécial, qui devra être communiqué rapidement au magistrat.

En outre, j’attire votre attention sur la modification apportée par la CMP à l’article 6, sur l’initiative de notre collègue député Dominique Raimbourg – nous lui devons, ainsi qu’à Guy Geoffroy, plusieurs modifications adoptées lors de la CMP. M. Raimbourg a fait remarquer que l’Assemblée nationale avait prévu que le bulletin n° 1 du casier judiciaire, qui n’est délivré, en principe, qu’aux magistrats, ferait expressément partie des pièces du dossier susceptibles d’être communiquées aux parties ou à leurs avocats. Cette possibilité nous posait problème, le bulletin n° 1 contenant toute l’histoire judiciaire de la personne poursuivie.

Dans l’attente de garanties pour la personne, la CMP a supprimé cette mention et est revenue au texte du Sénat, qui prévoit que l’on peut communiquer toute pièce, sans plus de précisions, aux parties ou à leurs avocats. Mme la garde des sceaux pourra peut-être nous rassurer sur la pratique des juridictions en matière de communication des bulletins n° 1 figurant au dossier. Pour ma part, il me semble que, le plus souvent, ils ne sont pas communiqués.

Enfin, les modifications apportées par les députés aux autres articles du projet de loi ne posent pas de difficultés.

Je souligne que l’article 1er, introduit au Sénat pour permettre à la victime d’être assistée par un avocat lors des confrontations, a été voté conforme, et j’en remercie l’Assemblée nationale. Cet article montre que nous faisons le plus grand cas des droits des victimes.

Par ailleurs, les députés sont revenus, en séance publique, sur l’amendement qu’avait voté leur commission des lois ouvrant à l’avocat l’accès à l’intégralité du dossier de garde à vue.

Lors de la première lecture, nous avions indiqué les difficultés qu’une telle modification pourrait entraîner, même si elle avait été demandée par certains, notamment par les organisations représentatives des avocats.

En outre, le droit européen permet d’exclure une telle possibilité : nous ne sommes donc pas en infraction sur ce point avec nos engagements communautaires. Nous sommes heureux que l’Assemblée nationale ait suivi, en séance, la position du Sénat sur ce point.

Je terminerai par l’article 6 ter, introduit par l’Assemblée nationale sur l’initiative de M. Coronado, afin de permettre à une personne détenue faisant l’objet d’une procédure disciplinaire d’avoir accès aux enregistrements de vidéo-surveillance pour l’exercice des droits de la défense.

Cette mesure nous renvoie au texte que nous avons à l’instant adopté à l’unanimité, relatif au Contrôleur général de privation des lieux de liberté. En effet, à plusieurs reprises, des détenus se sont vu refuser l’accès à de tels documents, alors que les images de vidéo-surveillance leur permettaient d’établir des faits ou de démentir ce qui leur était reproché. Le Défenseur des droits nous a fait part de plusieurs cas de ce type dont il a eu à traiter. Une récente décision de la cour administrative d’appel de Lyon a validé le refus d’accès aux documents, ce qui me semble soulever un problème du point de vue du respect des droits de la défense.

De façon plus générale, je vous rappelle que, le 25 avril dernier, le Conseil constitutionnel, saisi dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, a rappelé qu’« il appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux personnes détenues ; que celles-ci bénéficient des droits et libertés constitutionnellement garantis dans les limites inhérentes à la détention ».

Or, à l’heure actuelle, les conditions d’accès au dossier disciplinaire et les restrictions apportées aux droits de la défense sont définies par un décret et par une circulaire du 9 juin 2011.

Sur proposition conjointe de la rapporteur de l’Assemblée nationale et de moi-même, la CMP a élargi le champ des dispositions votées à l’Assemblée nationale, afin de mentionner expressément dans la loi le principe d’accès au dossier disciplinaire – figurant actuellement dans un décret – et le principe d’exercice des droits de la défense, qui s’appliquent aux personnes détenues comme à tout citoyen, avec une seule réserve, concernant la communication d’éléments qui pourraient présenter un risque d’atteinte à la sécurité des personnes ou de l’établissement.

Mes chers collègues, tels sont, brièvement rappelés, les éléments sur lesquels la CMP n’a eu aucune difficulté à tomber d’accord. Je ne puis que vous inviter à adopter le texte du projet de loi, dans la rédaction issue de ses travaux.

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