… la directive du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, ce projet de loi procède à plusieurs ajustements d’ampleur inégale au sein des dispositions du code de procédure pénale relatives à l’enquête, à l’instruction et à la phase de jugement.
Il procède également par anticipation, et nous vous en félicitons, madame le garde des sceaux, les deux aspects étant liés, à une transposition partielle de la directive du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires, dont la transposition devra être achevée avant le 27 novembre 2016. Un nouveau projet de loi viendra donc compléter, le moment venu, ces dispositions.
Nous sommes bien entendu favorables à l’adoption de ce texte eu égard au caractère impératif des directives européennes qu’il transpose. Nous avons d'ailleurs toujours défendu un espace judiciaire européen et le Sénat avait beaucoup travaillé sur le mandat d’arrêt européen.
Pourtant, chacun constate que notre procédure pénale est bouleversée par les modifications par petites touches introduites par le droit communautaire mais aussi et surtout par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. En conséquence, une refonte globale de notre procédure pénale est, à terme, inévitable, ce qui pose à l’évidence bien d’autres questions que celles qui sont évoquées aujourd’hui.
Quoi qu’il en soit, le travail parlementaire et la commission mixte paritaire auront permis d’apporter des modifications de nature à établir un texte qui représentait au départ de lourdes contraintes, notamment pour les forces de l’ordre. Des inquiétudes se sont exprimées sur l’efficacité de la procédure. Beaucoup nous ont mis en garde sur le risque d’augmentation du nombre de gardes à vue si nous compliquions trop les auditions libres.
Les comparaisons montrent que les auditions libres permettent de régler beaucoup de choses sans recourir à la garde à vue. On l’oublie toujours, mais il s’agit de la réalité que vivent chaque jour les enquêteurs !
Notre débat d’aujourd’hui est donc d’une grande importance, puisque nous renforçons une nouvelle fois les droits de la défense. Comment ne pas s’en réjouir ?
Mon propos sera relativement bref, nous avons largement discuté de ces questions en première lecture et encore avant-hier soir, lors de nos échanges en commission mixte paritaire. Je souhaiterais toutefois aborder plus précisément quelques aspects de ce texte.
Vous l’avez rappelé, madame la garde des sceaux, le principe de l’audition libre avait été partiellement censuré par le Conseil constitutionnel en 2011.
Cette audition libre crée une nouvelle « strate » dans le statut des personnes entendues par les forces de police, puis par la justice. Elle concernera ainsi toute personne à l’encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de « soupçonner » qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction et qui n’est pas gardée à vue.
Permettez-moi de m’arrêter un instant sur le terme « soupçonner », qui a suscité un débat en commission des lois. Les députés avaient en effet inventé, pour les personnes auditionnées en dehors d’une garde à vue, le statut de « personnes suspectées ». Or cette formule était pour le moins paradoxale : en dépit de la présomption d’innocence, la personne entendue en audition libre était malgré tout considérée comme suspecte. Voilà qui était un peu malheureux. Nous avons apporté les corrections nécessaires et les termes « personne suspectée » ne se trouvent plus qu’à l’article 4, à bon droit, car il est alors question de garde à vue et non d’audition libre.
Cette audition libre concernera donc toute personne à l’encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction et qui n’est pas gardée à vue, que cette audition intervienne dans le cadre d’une enquête de flagrance, d’une enquête préliminaire ou sur commission rogatoire, ou encore d’une enquête douanière.
S’agissant des droits de la défense, nous ne pouvons, bien sûr, dénigrer tout le travail déjà effectué : la réforme de la garde à vue, pour ne citer qu’elle, était indispensable et a indéniablement fait progresser notre législation. Souvenez-vous de nos débats, sur les dangers de cette réforme, de la possibilité de faire connaître leurs droits aux gardés à vue, notamment le droit de garder le silence ou non… Tout cela a duré des années et, au final, il n’y a pas eu de catastrophe. Comme quoi, mes chers collègues, il faut toujours raison garder.
Il faut également conserver à l’esprit la nécessité constante de préserver une forme d’équilibre entre les droits de la défense et les moyens d’enquête destinés à permettre la manifestation de la vérité. Je pense à tous les aspects importants liés au contenu du dossier.
Un point mérite quelques éclaircissements, celui de la question de l’accès à la justice pour tout citoyen. En effet, madame le garde des sceaux, comment parler d’égal accès à la justice si, faute de moyens financiers, on ne peut bénéficier de la possibilité d’être assisté, comme nous le prévoyons ?
La réponse à cette question semble simple : le recours à l’aide juridictionnelle. Or les chiffres contenus dans l’étude d’impact de ce projet de loi concernant l’aide juridictionnelle sont impressionnants. Ce dispositif est déjà confronté à des difficultés considérables, et je ne vois pas comment le problème pourra être réglé aujourd’hui. Nous arriverons probablement à des situations dans lesquelles le suspect – pardon, le « soupçonné » – ne disposera pas d’avocat, faute de pouvoir rémunérer ce dernier pour une demi-journée ou une journée. Il s’agit là d’un point des plus inquiétants.
On peut faire de très belles réformes, mais encore faut-il qu’elles soient d’application effective et qu’elles se traduisent d’une manière ou d’une autre. L’aide juridictionnelle, on le sait, est en crise depuis plusieurs années et cela s’aggrave… On peut écrire de beaux textes, si on ne peut les appliquer, le résultat est redoutable.
En conclusion, sachez que nous voterons ce texte, qui permet à la fois de procéder à la nécessaire transposition d’une directive européenne et de faire avancer les droits de la défense auxquels nous sommes tous, j’en suis sûr, profondément attachés.