Monsieur le ministre d’État, ce projet de budget, transmis par votre prédécesseur, correspond à une politique de défense avec laquelle nous sommes en profond désaccord. De surcroît, il ne répond plus que partiellement aux grandes orientations du Livre blanc et aux engagements pris par le Gouvernement au travers de la loi de programmation militaire.
Que reste-t-il en effet de la loi de programmation militaire quand les crédits que vous nous proposez d’adopter conduiront à une réduction des effectifs, des frais de fonctionnement, des commandes ?
Cependant, mes critiques porteront essentiellement sur les priorités au nom desquelles des économies sont réalisées, le choix des secteurs touchés et le bénéfice incertain qu’apporteront ces économies et les recettes exceptionnelles.
Le montant des économies que vous envisagez de réaliser au cours des trois prochaines années s’élève à 3, 6 milliards d’euros, avec une diminution des crédits de 5 milliards d'euros. Comme l’avait très justement fait remarquer le délégué général pour l’armement, avec un certain sens de l’euphémisme, ce projet de budget « marque une inflexion par rapport à la trajectoire de ressources prévue au titre de la loi de programmation militaire ». En clair, il manquera 2 milliards d’euros pour les équipements et les études en amont.
En revanche, les recettes exceptionnelles provenant des cessions immobilières et de la vente de fréquences hertziennes, par lesquelles vous comptez compenser la suppression de certains crédits, ne sont pas acquises, et nous en ignorons toujours le rythme et le montant réel.
Monsieur le ministre d’État, vous prenez ce ministère en main au moment le plus fort de la réforme engagée par votre prédécesseur, à l’heure des plus durs efforts demandés à nos armées.
La réforme que vous voulez poursuivre a un prix humain et matériel très lourd. Elle se met en place avec la disparition de 8 000 emplois par an, la suppression de nombreuses unités, la fermeture ou le déménagement de plusieurs établissements. Toutes ces dispositions ont de graves conséquences économiques et sociales pour les régions et les populations concernées.
Les économies imputées à la création des soixante bases de défense destinées à rationaliser le soutien aux armées n’ont pas été évaluées et les crédits de fonctionnement de ces bases seront amputés de 130 millions d’euros sur trois ans.
Les mesures d’économie qui pèsent sur le fonctionnement de l’ensemble de nos armées auront également des conséquences négatives dans de nombreux domaines. Cela a d’ailleurs été souligné par les différents chefs d’état-major lors de leurs auditions par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Certains redoutent ainsi la perte de savoir-faire essentiels, comme le vol sous jumelles de vision nocturne, le ravitaillement en vol, alertent sur les difficultés que nous rencontrerons en matière de surveillance maritime, par manque de moyens, ou sur les risques de baisse de la qualité de la préparation opérationnelle.
Les économies envisagées seront aussi réalisées au prix de réductions capacitaires. Plusieurs programmes d’équipement, pourtant nécessaires au maintien de nos capacités opérationnelles à un certain niveau, seront retardés : le programme FELIN du fantassin du futur, les ravitailleurs MRTT ou la rénovation des Mirage 2000-D.
Nos armées porteront aussi le poids des surcoûts ou des besoins non programmés lors de l’élaboration de la loi de programmation militaire. Je pense notamment à la création de la nouvelle base d’Abu Dhabi, à la commande de onze Rafale pour soutenir la construction aéronautique, en situation d’échec à l’exportation, aux travaux de dépollution des sites cédés, ou encore aux achats « en urgence opérationnelle » dus à l’insuffisance de certains équipements de nos troupes en Afghanistan.
Je déplore une nouvelle fois le niveau trop élevé des crédits affectés à notre force de frappe, considérant que celle-ci n’est plus adaptée aux nouvelles menaces auxquelles nous devons faire face.
Si l’on prend en compte les études, les opérations d’armement, l’entretien programmé du matériel et les infrastructures liées à la dissuasion, ce sont 3, 4 milliards d’euros par an, soit près de 10 millions d’euros par jour, qui seront consacrés à l’arme nucléaire. À elles seules, nos forces nucléaires consomment 21 % des crédits d’équipement.
J’estime en outre que le renouvellement des deux composantes nucléaires, avec la mise en service d’un nouveau missile air-sol de moyenne portée et celle du M 51 pour la force océanique stratégique, participe plus de la modernisation et du renforcement de notre arsenal nucléaire que du maintien de sa crédibilité.
En cela, notre pays ne respecte pas non plus l’un des engagements fondamentaux du traité de non-prolifération nucléaire, que nous avons signé : ne pas procéder à des recherches sur de nouveaux systèmes d’armes nucléaires.
Mais, au-delà de ces considérations sur l’affectation des crédits dont vous disposerez, mes critiques portent sur les orientations de la politique de défense que vous mettrez en œuvre.
Certaines d’entre elles nous coûtent très cher. Elles sont la traduction d’une politique d’alignement atlantiste que je condamne.
C’est, par exemple, le cas de la guerre que nous menons en Afghanistan. Avec 1, 3 million d’euros chaque jour, elle représente, à elle seule, un peu plus de la moitié des surcoûts de nos opérations extérieures.
Alors que tout démontre qu’il n’y a pas de solution militaire pour régler les problèmes de ce pays et qu’il faudrait rapidement engager le retrait progressif de nos troupes hors de ce que vous appeliez il n’y a pas si longtemps, monsieur le ministre d’État, le « piège afghan », vous nous demandez une rallonge de 218 millions d’euros pour prolonger notre intervention dans ce pays.
La réintégration au sein du commandement militaire de l’OTAN nous coûte aussi fort cher, environ 85 millions d’euros par an avec la mise en place de personnels français dans la structure de commandement, somme bien supérieure à celle qui avait été budgétée.
Pourtant – nous avions dénoncé ce fait à l’époque – cette réintégration, qui à mes yeux remet en cause notre autonomie stratégique, a été décidée sans que le Président de la République ait obtenu des garanties sur les deux exigences qu’il avait formulées : un accroissement significatif du poids de notre pays dans les structures de décision militaires et un renforcement de l’Europe de la défense. Je me souviens, monsieur le ministre d’État, que vous aviez d’ailleurs manifesté un certain scepticisme lorsque le Président de la République avait pris cette décision.
Le dernier sommet de l’OTAN est, à bien des points de vue, révélateur de notre perte d’autonomie stratégique, du recul de l’Europe de la défense et de l’existence de coûts financiers difficilement maîtrisables.
En avalisant le nouveau concept stratégique, le Président de la République et vous-même avez accepté de mettre notre pays au service d’une alliance politico-militaire strictement offensive. L’objectif est d’intervenir partout dans le monde, non pour établir un système de sécurité collective, mais, plus prosaïquement, pour défendre les intérêts des sociétés occidentales et de l’économie de marché.
Pour ma part, je suis convaincue que notre pays, au nom de son histoire, de ses valeurs et de ce qu’il représente dans le monde, devrait avoir une tout autre ambition que celle de jouer un rôle de gendarme dans des pays moins développés économiquement.
En outre, le principe du bouclier antimissile a également été entériné à Lisbonne. Les États-Unis ont ainsi fait accepter et payer par leurs alliés une décision qui implique la mise en place d’un système de défense extrêmement coûteux, à la fiabilité et à la doctrine d’emploi incertaines, et dont les règles d’engagement les laissent seuls maîtres des tirs. Tout cela au bénéfice quasiment exclusif de leur industrie d’armement !
Ce projet nous coûtera très cher, puisque nous devrions supporter environ 12 % des dépenses totales, dont le montant est estimé entre 80 millions et 150 millions d’euros. Participer à son développement accentuera encore la dépendance des pays européens à l’égard des États-Unis, en les plaçant à nouveau sous la protection du parapluie nucléaire américain. Ce système de défense antimissile contribuera inéluctablement, en suscitant la réaction d’agresseurs potentiels, à alimenter la course aux armements dans le monde.
Dans ce domaine aussi, monsieur le ministre d’État, vous avez opéré un très net revirement par rapport à l’époque où vous signiez dans Le Monde une tribune prônant le désarmement nucléaire mondial et soutenant les propositions faites à cet égard par le Président Obama.
La perspective d’une Europe de la défense s’éloigne, car il est vraisemblable que les sommes considérables consacrées au bouclier antimissile feront défaut au financement de programmes de recherche menés en commun avec certains de nos partenaires européens.
Enfin, les accords de défense, exclusivement bilatéraux, récemment signés à Londres avec notre partenaire britannique, au prétexte de mutualiser certaines de nos capacités, ne permettront pas de futurs programmes de coopération avec d’autres pays européens. En cela, ils empêcheront également la mise en place d’une défense européenne commune.
Monsieur le ministre d’État, telles sont les remarques critiques que je souhaitais formuler, au nom du groupe CRC-SPG, sur le projet de budget que vous nous avez présenté. Je regrette de n’y avoir pas retrouvé la marque de certaines des convictions que vous avez exprimées par le passé.