Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis que la délégation sénatoriale à la prospective ait proposé d’organiser un débat sur un sujet aussi important et grave que la pauvreté, et nous permette ainsi de réfléchir aux moyens d’y mettre fin. Le travail accompli par la délégation, sur l’initiative de notre collègue Yannick Vaugrenard, est d’une grande qualité.
Bien que la France s’attache à endiguer le phénomène par des politiques ciblées, la pauvreté ne cesse de progresser : près de 900 000 personnes supplémentaires sont passées sous le seuil de pauvreté entre 2008 et 2011. Le fossé se creuse entre les plus démunis et ceux qui sont relativement aisés.
Certes, les transferts sociaux ont contribué, ces dernières années, à réguler la montée de la paupérisation. Selon une étude de l’INSEE intitulée La France dans l’Union européenne, les allocations familiales, les aides au logement ou les minima sociaux auraient ainsi réduit le taux de pauvreté de 41 %.
Pour autant, en raison d’une augmentation des durées de chômage et d’une légère hausse du nombre de chômeurs ne percevant plus d’indemnisation, l’impact de ces transferts sociaux s’est amoindri. Aujourd’hui, la montée de la pauvreté touche les jeunes, les familles monoparentales, les personnes peu qualifiées, les chômeurs, les moins diplômés, qui sont parfois proches de l’illettrisme.
Comme l’avait rappelé le Premier ministre le 24 janvier dernier, lors d’un déplacement à Cergy, « Les personnes en situation de pauvreté ne désirent qu’une chose : s’en sortir ; travailler, accéder à un logement décent, se soigner correctement, tout faire pour la réussite scolaire de leurs enfants ». Pourtant, les personnes en situation de fragilité économique et sociale sont encore trop souvent stigmatisées, et le climat économique qui règne depuis 2008 n’a fait qu’accentuer les choses : elles sont devenues des boucs émissaires, soupçonnées d’être responsables de leur situation. C’est absolument inacceptable.
Lutter contre la pauvreté nécessite avant tout un profond changement des mentalités. Il n’y a pas de fatalité ! Bien sûr, nous avons un devoir d’assistance envers ces personnes vulnérables, ceux qui ont moins. Nous devons leur venir en aide et les accompagner vers un retour à l’autonomie. C’est le sens même du mot « fraternité », pilier fondamental de notre démocratie. La misère est l’œuvre des hommes, seuls les hommes peuvent la détruire.
Cela nécessite également la mise en œuvre de politiques ambitieuses – au plan tant local que national – selon une approche transversale : éducation, formation professionnelle, travail, logement, accès aux soins, participation à la vie politique, sociale et culturelle. Sur ce point, je me félicite des actions menées par la nouvelle majorité à travers le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale.
Dans le domaine du logement, le Gouvernement a notamment renforcé la lutte contre l’habitat indigne, et a mis en place l’encadrement des loyers et la garantie universelle des loyers pour qu’enfin le logement ne soit plus une source d’exclusion. N’oublions pas qu’aujourd’hui encore 3, 6 millions de personnes sont mal logées, que 150 000 d’entre elles vivent dans des structures d’hébergement ou, pire, dans la rue et que 350 000 ménages disposant d’un logement en Île-de-France n’ont pas les revenus nécessaires pour faire face aux dépenses vitales de nourriture et d’habillement tout en assumant celles qui sont liées à l’habitation.
En matière d’emploi, le Gouvernement a mis en place les emplois d’avenir et les contrats de génération, destinés à résorber le chômage et la précarité des jeunes, notamment les moins qualifiés, comme des seniors. Plus récemment, le Premier ministre a annoncé que le report de la revalorisation des pensions de retraite ne concernerait pas les pensions inférieures à 1 200 euros.
Ces mesures – il en existe soixante et une – vont dans le bon sens. On peut toutefois regretter le retard dans la mise en œuvre de certaines d’entre elles.
Je pense notamment à la réforme du RSA activité. Il donne le sentiment d’être une véritable usine à gaz. Résultat : des milliers de personnes qui pourraient prétendre à cette allocation ne la demandent pas, si bien que chaque année plus de cinq milliards d’euros de RSA activité ne sont pas alloués. Pour la seule année 2011, 50 % des ayants droit potentiels de ce dispositif n’en avaient pas fait la demande.
Mais le non-recours aux aides sociales ne concerne pas seulement le RSA. On peut également citer les prestations familiales ou les aides au transport.
Ce phénomène est particulièrement inquiétant, car il condamne ceux qui n’en bénéficient pas, malgré leur éligibilité aux dispositifs existants, à s’enfoncer davantage dans la pauvreté. Les dommages sanitaires et sociaux qu’il provoque pèsent lourdement sur le système social.
Nous le savons bien, le défaut d’information, la complexité du système de prestations et la difficile identification des organismes à contacter découragent les bénéficiaires. C’est la raison pour laquelle il est indispensable, madame la secrétaire d'État, de simplifier et de recentrer les aides, et d’améliorer le système de détection des ayants droit.
Enfin, je veux insister sur un problème qui est, à mes yeux, scandaleux, je veux parler du gaspillage des denrées alimentaires.
Comment peut-on accepter que des fruits, tel le melon, et des légumes soient jetés à la décharge parce qu’ils n’ont pas tout à fait la dimension requise ? De même, peut-on accepter que ne soient pas mis en vente les fruits légèrement tavelés, alors qu’ils ont la même qualité gustative que les autres ? Enfin, peut-on accepter sans sourciller que nombre de produits périssables ne soient pas mis en vente à un prix inférieur – il est bien entendu normal qu’ils soient retirés de la vente à la date limite – quelques jours avant la date de péremption ? Rien n’est fait – ou si peu ! – pour qu’il en soit ainsi. Pourtant, ces produits sont de qualité. Il y a un gaspillage énorme en la matière. Or éviter ce gaspillage contribuerait à réduire la pauvreté.
Aussi, j’espère, madame la secrétaire d'État, que le gouvernement auquel vous appartenez réglera ce problème. Il est absolument indispensable que l’on engage une réflexion approfondie sur ce sujet. En effet, l’alimentation est un élément fondamental dans la lutte contre la pauvreté. Le gaspillage des denrées alimentaires doit donc être stigmatisé de façon très nette.
Tous les acteurs – l’État, les collectivités territoriales, les élus, les associations – doivent s’engager dans cette lutte. Il est bien entendu indispensable d’y associer les personnes en situation de pauvreté. Car, comme l’a rappelé notre collègue Yannick Vaugrenard, ceux qui subissent cette situation doivent être les premiers acteurs de leur propre promotion, faute de quoi la solidarité restera un vain mot. Il faut avant tout que cette solidarité et cette fraternité soient bien plus que de simples considérations purement philosophiques et trouvent leur concrétisation dans des actions fortes sur le terrain. §