Intervention de Pierre Bernard-Reymond

Réunion du 20 mai 2014 à 14h45
Débat sur les perspectives de la construction européenne

Photo de Pierre Bernard-ReymondPierre Bernard-Reymond, rapporteur :

La méthode intergouvernementale, quant à elle, est à bout de souffle et la règle de l’unanimité, en usage encore dans bien des domaines, retarde et édulcore les décisions, lesquelles sont, reconnaissons-le, plus difficiles à prendre à vingt-huit qu’à six.

En France, les pro-Européens sont séparés par le mur de la bipolarisation et ont de plus en plus tendance, chacun de leur côté, à prêter une oreille trop attentive à la démagogie des extrêmes. Mais, peut-être plus que tout, c’est la coexistence de deux conceptions fondamentalement différentes de l’Europe qui pose problème : l’Europe-espace, prônée par le Royaume-Uni, qui s’accommode du seul marché unique et d’une politique transatlantique, et l’Europe-puissance, qui rassemble des partenaires souhaitant davantage d’intégration, autrement dit, à terme, une Europe à visée fédérale, et ambitionnant notamment que l’on fasse plus de place à des politiques communes telles que l’Europe sociale.

Il faut réorganiser la cohabitation de ces deux Europe en conservant, si possible, les vingt-huit pays dans l’Union, mais en faisant en sorte que ceux qui veulent aller plus vite et plus loin, au besoin selon des rythmes différenciés, puissent le faire sans être entravés par ceux qui n’adhèrent pas à la vision d’une Europe plus intégrée. Les premiers doivent lancer un véritable appel d’offres pour plus d’intégration.

Ce diagnostic, s’il est partagé, nous trace le chemin, nous dicte le projet.

Dans le rapport que j’ai eu l’honneur de présenter en commission et dans lequel, je le reconnais, j’ai davantage affirmé une conviction que cherché une impossible synthèse, j’ai articulé vingt-quatre propositions.

Bien sûr, toutes doivent être soumises à discussion, à concertation, à amélioration ; certaines disparaîtront et il faudra du temps, certainement beaucoup de temps, pour que les autres entrent éventuellement dans le droit positif.

Mais, mes chers collègues, j’estime qu’il est important que, après ces élections, l’Europe soit à nouveau dotée d’un grand projet, d’une grande ambition susceptible de rassembler une majorité d’Européens.

Il est important que les chefs d’État, à défaut d’hommes d’État, cessent de louvoyer, de ne s’intéresser qu’au futur proche et à des politiques réactives et sectorielles, dont l’efficacité serait démultipliée si elles étaient intégrées à un plan d’ensemble et à une vision à long terme. Il suffirait que quelques chefs d’État de l’Union, le président de la Commission et quelques commissaires, ainsi que le président du Parlement soient des visionnaires courageux plutôt que des tacticiens frileux, pour que l’Europe se réconcilie avec elle-même et entraîne à nouveau les peuples vers un projet fédérateur.

L’Europe doit être un projet de civilisation, servi par une puissance organisée à terme sur le mode du fédéralisme pour forger une communauté de nations. Ce projet pour l’Europe devrait franchir une nouvelle étape démocratique, renforcer sa capacité de gouvernance et développer son économie pour promouvoir, avec beaucoup plus d’efficacité, de nouvelles politiques, sociales, fiscales, énergétiques, climatiques, numériques, tant il est vrai que l’Europe sera politique ou ne sera plus !

Il faudra renforcer également la convergence et l’efficacité des politiques étrangère et de défense, faire élire le président du Conseil européen par tous les parlementaires d’Europe – députés, sénateurs, parlementaires européens, soit plus de 10 000 personnes dans un premier temps, avant de passer au suffrage universel –, faire élire le président de la Commission directement par le Parlement européen, hiérarchiser cette Commission comme un gouvernement en désignant des hauts commissaires, des commissaires, des commissaires délégués, promouvoir un mode de scrutin uniforme et garantissant une proximité de l’élu avec le citoyen pour désigner les parlementaires européens, conférer davantage de pouvoirs au Parlement européen en lui faisant partager une partie du pouvoir d’initiative aujourd’hui entièrement aux mains de la Commission et en lui conférant, dans certaines limites, le droit de voter une partie des recettes, mieux associer enfin les parlements nationaux à la conduite des affaires européennes.

Toutes ces orientations pourraient constituer, me semble-t-il, un programme d’approfondissement de la démocratie dans les années à venir.

Sur le plan économique, doter à nouveau le budget européen de ressources propres à hauteur de 60 % d’ici à dix ans, doubler le montant du budget dans la même période, autoriser l’Europe à emprunter en lui appliquant néanmoins les règles de Maastricht, créer des eurobonds dès lors que les productivités des différents États convergeraient, confier la politique des changes à la Banque centrale européenne – c’est elle qui a sauvé l’euro –, réformer la Cour des comptes européenne, en lui donnant des responsabilités d’analyse plus affirmées à l’instar de notre propre Cour des comptes, voilà autant de mesures qui, me semble-t-il, seraient, elles aussi, en mesure d’accroître collectivement notre capacité et notre intégration économiques.

Oui, l’Europe est au milieu du gué. Je crois profondément que c’est en étant davantage Européens que nous pourrons rester souverains.

L’évolution du monde nous interpelle, le défi ne sera relevé qu’avec imagination et courage. Comme le disait John Maynard Keynes, « la difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes ».

Il ne s’agit pas de faire la révolution ou le grand bond en avant, mais il s’agit de ne plus tergiverser, il s’agit de sortir du clair-obscur, de s’affranchir des égoïsmes nationaux, de dessiner un projet et de tracer un chemin. Face aux gigantesques défis que nous lance le XXIe siècle, la nation ne peut demeurer le stade ultime de l’organisation des peuples. « Les provinces ont fait la France, aujourd’hui les États doivent faire l’Europe sans défaire les nations. »

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion