Nous devons cette proposition de loi visant à instaurer un schéma régional des crématoriums à l'initiative du groupe socialiste. On sait toute l'attention que porte notre commission, et tout particulièrement son président, à la législation funéraire. J'en veux pour preuve le rapport de notre mission d'information visant à en dresser le bilan et à tracer des perspectives, intitulé Sérénité des vivants et respect des défunts, et qui s'est vite concrétisé par le dépôt d'une proposition de loi adoptée à l'unanimité par le Sénat, devenue, après quelques aléas touchant à son inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, la loi du 19 décembre 2008.
Le texte qui nous est soumis aujourd'hui s'inscrit dans le même mouvement. Il est circonscrit à la question de la création et de l'extension des crématoriums, tant il est vrai que la loi de 2008 a réglé de nombreux problèmes. Je pense notamment à la question de la qualité des sites cinéraires. Quant à celles des devis type ou de la moralisation des contrats d'obsèques, elles n'ont pas échappé à la vigilance de notre président.
Rappelons ce qu'est le paysage français de la crémation. Si la loi du 15 novembre 1887, qui consacre la liberté des funérailles, l'a placée sur un pied d'égalité avec l'inhumation, la pratique de la crémation ne concernait toutefois, jusqu'aux années 1980, que moins de 1% des funérailles. Elle a rapidement progressé depuis, passant à 10 % en 1993, 23,5 % en 2004, 32,15 % en 2011. Dans notre rapport de 2006, nous relevions déjà que la crémation figurait dans les intentions de 40 à 50 % des souscripteurs de contrats en prévision d'obsèques. Adapter l'offre de crémation aux besoins de la population est plus que jamais d'actualité. La loi du 17 décembre 2008 a apporté un cadre juridique à cette pratique : elle a donné une qualification juridique aux cendres, dûment considérées comme des restes humains exigeant respect, dignité et décence ; elle a précisé les règles relatives à la destination des cendres et mis fin à leur appropriation privative et aux situations inacceptables qui en étaient la conséquence ; elle a encadré la création, l'extension et la gestion des crématoriums et sites cinéraires. Prohibant leur détention par des entreprises privées, le législateur a confié aux seules communes ou établissements publics de coopération intercommunale la compétence pour les gérer, tout en les autorisant à en déléguer la gestion à un opérateur funéraire habilité. Les crématoriums et sites cinéraires restent cependant propriété de la collectivité ; ils lui font retour au terme de la délégation de gestion.
La création ou l'extension d'un crématorium sont soumises à l'autorisation préalable du préfet de département, précédée d'une enquête publique destinée à associer les citoyens et à évaluer les impacts sur l'environnement. La jurisprudence invite également le préfet à examiner l'intérêt de l'opération à l'aune des besoins de la population et la pertinence de l'implantation de l'équipement au regard de ses facilités d'accès.
Pourquoi convient-il de mieux réguler encore l'implantation des crématoriums ? Lors de l'examen de la proposition de loi adoptée en 2008, dont je fus le rapporteur, je relevais déjà des lacunes dans ces implantations. On comptait, en 2006, 115 crématoriums, gérés pour moins d'un tiers en régie et pour plus des deux tiers en gestion déléguée. Dix-sept départements métropolitains en étaient dépourvus. Certaines implantations étaient déraisonnables, comme à Roanne, qui en comptait deux, à moins de huit kilomètres de distance, au prix d'une concurrence préjudiciable.
Le même constat vaut aujourd'hui. La couverture du territoire a progressé, avec 167 crématoriums et 32 en projet, mais quatre départements métropolitains et deux départements d'outre-mer en restent toujours dépourvus. Surtout, des problèmes d'implantations concurrentes sans lien avec les besoins réels de la population demeurent. Ainsi des crématoriums de Sarrebourg et Saint-Jean-Kourtzerode, en Moselle ; de ceux de Beaurepaire et de Marcilloles en Isère, du projet de Mareuil-lès-Meaux en Seine-et-Marne, à proximité du crématorium de Saint-Soupplets.
Les représentants de la direction générale des collectivités locales (DGCL), que j'ai interrogés, m'ont indiqué, à ma grande surprise, qu'ils ne disposaient pas d'une carte des implantations à jour. Le législateur a pourtant expressément confié au préfet, dans la loi de 2008, le soin de délivrer les autorisations, disposition que le Gouvernement avait alors jugée suffisante pour organiser adéquatement l'offre. Or, une relative anarchie persiste, qui n'est pas sans conséquences négatives pour les citoyens et les collectivités territoriales. Certaines zones restent dépourvues de tout équipement, tandis que d'autres sont confrontées à un surcroît d'offre : pour préserver leur rentabilité en dépit d'une activité trop faible, les gestionnaires des crématoriums ainsi placés en concurrence - qui ont souvent consenti d'importantes dépenses d'investissement -maintiennent des frais de crémation très élevés. Or, la demande de crémation est largement captive - il est très difficile à des familles endeuillées de se déplacer dans un autre département. Par ailleurs, cette pratique s'est peu à peu intégrée au rituel du deuil - au Père Lachaise, la cérémonie civile organisée dans ce cadre est, dans 66 % des cas, la seule prévue dans les funérailles. Or, ainsi que le souligne Jean-Pierre Sueur dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi, « le souci de la rentabilité des équipements créés peut conduire à privilégier des crématoriums mal dimensionnés, ce qui peut se traduire, notamment, par la diminution des surfaces de salles dédiées à l'accueil des familles et au déroulement de cérémonies civiles ». J'ajoute que le risque financier d'une exploitation non rentable pèse, en dernière instance, sur les collectivités locales, auxquelles revient la gestion du crématorium lorsque le délégataire l'abandonne. Relevons en outre que l'évolution récente de la réglementation européenne en matière de protection de l'environnement alourdit les contraintes qui pèsent sur la rentabilité de ces équipements, puisque les gestionnaires sont tenus de les mettre aux normes avant 2018, afin de filtrer les effluents toxiques qui résultent de la crémation.