Intervention de Patrice Gélard

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 mai 2014 : 1ère réunion
Modifier la charte de l'environnement pour exprimer plus clairement que le principe de précaution est aussi un principe d'innovation — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Patrice GélardPatrice Gélard, rapporteur :

Le fait est qu'aucune proposition de loi constitutionnelle n'a abouti sous la Vème République. Il n'en reste pas moins que ce texte, signé par M. Bizet et plusieurs de nos collègues, présente cet intérêt qu'il met l'accent sur une question constitutionnelle soulevant des difficultés. Il permet de faire le point sur la situation qui découle de l'adoption de la Charte de l'environnement. Même s'il n'est pas appelé à prospérer, il mérite que l'on s'y arrête.

Revenons sur le contenu de la Charte de l'environnement, qui ne soulève plus de problème majeur grâce à la jurisprudence intelligente des tribunaux. Si cette Charte n'a pas, au reste, suscité d'excès, l'opinion publique, en revanche, s'est fait une idée un peu fausse du principe de précaution, qui peut susciter une certaine paralysie de la décision publique, effarouchée par de possibles suites.

Si l'on met à part son préambule - dont le Conseil constitutionnel a néanmoins jugé qu'il avait valeur constitutionnelle - la Charte de l'environnement reconnaît deux droits, le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé - domaine où s'applique aussi le principe de précaution - et le droit à l'information sur l'évolution de l'environnement. Pour le reste, elle énonce une série de devoirs : devoir de préserver et d'améliorer l'environnement, à l'article 2 ; devoir de prévenir les atteintes à l'environnement, à l'article 3 ; devoir de contribuer à la réparation des dommages, à l'article 4 ; devoir de promouvoir un développement durable, à l'article 6 ; devoir d'assurer que l'éducation et la formation contribuent à la mise en oeuvre de la Charte, à l'article 8 ; devoir de développer la recherche et l'innovation, à l'article 9.

Ce déséquilibre entre droits et devoirs est encore renforcé par l'article 5, relatif au principe de précaution, dont je vous rappelle les termes : « Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » On voit qu'il s'agit là, en réalité, d'un article de procédure, qui met en place des contraintes s'imposant à l'autorité publique. Mais le flou demeure : à partir de quand le principe trouve-t-il à s'appliquer ? Sans parler des difficultés d'application, dont témoigne la jurisprudence.

Le Conseil constitutionnel a reconnu valeur constitutionnelle à l'ensemble de la Charte. Les tribunaux administratifs et le Conseil d'Etat ont précisé ce qu'est une autorité publique chargée de la mise en oeuvre du principe de précaution. La jurisprudence a ainsi jugé qu'un maire ne l'est généralement pas, mais qu'il met en oeuvre d'autres principes comme celui de prévention ou bien encore qu'il exerce ses pouvoirs de police. Dans le code de l'urbanisme, le code de la santé publique ou celui de l'environnement, on trouve des éléments similaires. Ainsi, toute la jurisprudence relative aux antennes de téléphonie mobile se fonde, non sur le principe de précaution, mais sur d'autres principes qui se trouvent dans ces codes. Pas plus tard que la semaine dernière, la Cour d'appel de Colmar a relaxé des « faucheurs » d'OGM au motif que l'arrêté ministériel autorisant une culture d'OGM était illégal. C'est donc sur un fondement procédural qu'elle a statué.

La proposition de loi constitutionnelle soumise à notre examen ne vise pas à modifier la Charte de l'environnement, mais tend à l'améliorer, en clarifiant certaines dispositions et en en ajoutant de nouvelles. Son article unique ajoute un alinéa à l'article 5 de la Charte et apporte des modifications aux articles 7 et 8, pour lesquels je proposerai des amendements d'amélioration rédactionnelle.

S'il existe une jurisprudence européenne, celle de la Cour de justice de l'Union européenne, qui concerne cependant davantage les entreprises que les particuliers, il reste que le modèle français de la Charte n'a pas été repris dans d'autres constitutions, même si un certain nombre de pays se réfèrent au principe de précaution. Je pense, en Amérique latine, à l'Argentine et au Brésil, où l'érection au rang constitutionnel de ce principe n'est cependant pas toujours suivie d'effets - voyez l'Amazonie... Les constitutions allemande et indienne comportent des dispositions analogues, mais qui restent sans portée réelle.

On peut regretter que l'exemple français n'ait pas été suivi, ce qui aurait donné davantage de force à un principe qui ne peut jouer qu'autant qu'il atteint une portée internationale. Le nuage de Tchernobyl ne s'est pas arrêté aux frontières, comme l'on a coutume de dire...

La crainte de M. Bizet est de voir le principe de précaution paralyser la recherche et l'innovation. Il souhaite que, sur le modèle de la loi « littoral », qui comporte deux volets, l'un relatif à la protection de la nature et de l'environnement, l'autre au développement économique, la Charte de l'environnement tienne compte de ces deux exigences. Sa proposition de loi n'aboutira vraisemblablement pas, mais elle aura le mérite de mettre l'accent sur cette importante question. Et de corriger une image fausse, car on peut avoir le souci de l'environnement sans entraver la recherche et l'innovation. Voyez l'exemple du gaz de schiste : notre droit n'interdit nullement aux entreprises de rechercher d'autres modes d'extraction que la fracturation hydraulique, que seule il proscrit. Ce texte montrera que la France est vigilante, mais qu'elle est aussi favorable à la recherche et développement.

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