Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Réunion du 26 novembre 2010 à 9h30
Loi de finances pour 2011 — Défense

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, les crédits de la mission « Défense » pour 2011 ne correspondent pas tout à fait aux annuités prévues dans la loi de programmation militaire adoptée par le Sénat en juillet 2009. La défense contribue à la maîtrise des dépenses de l’État : par rapport aux crédits programmés jusqu’en 2014, ses dotations budgétaires sont réduites de 3, 6 milliards d’euros.

Notre situation budgétaire est une contrainte qui pèse aussi sur la défense, et cela est normal. Le ministère de la défense ne peut pas s’exonérer des efforts engagés pour rétablir l’équilibre des finances publiques. Néanmoins, mes chers collègues, cette contrainte est également une véritable occasion, pourvu que nous ayons la volonté politique de la saisir.

Je concentrerai mon propos sur cette volonté politique, qui sera décisive pour la France et l’Europe dans les années à venir.

La contrainte budgétaire est une occasion de renforcer les deux piliers de la puissance militaire française : l’Union européenne et l’Alliance atlantique. Ces deux piliers sont complémentaires et ils se confortent mutuellement. Sur ce point, la doctrine centriste, qui a été portée notamment par Jean Lecanuet, a été consacrée par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Monsieur le ministre d’État, j’espère que vous partagerez cette conviction et que, comme celle de votre prédécesseur, M. Hervé Morin, votre action s’inscrira dans cette voie.

Des progrès historiques ont été accomplis ces dernières années pour construire une véritable Europe de la défense. En moins de dix ans, la politique européenne de sécurité et de défense est devenue une réalité. Depuis 2002, grâce à l’engagement de la France, plus de vingt opérations civiles et militaires se sont déployées dans les Balkans, en Afrique, en Asie, au Proche-Orient, dans le Caucase et jusque dans l’océan Indien. En moins de dix ans, près de 70 000 citoyens civils et militaires de l’Union européenne ont été employés au service de la sécurité internationale.

Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le Conseil européen est doté d’une présidence stable. L’action extérieure de l’Union est plus cohérente, grâce à la création d’un haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune.

Plus encore que les améliorations institutionnelles, ce sont les projets concrets qui font avancer la défense européenne. C’est grâce à eux que l’Europe de la défense a été relancée sous la présidence française de l’Union européenne.

La mise en œuvre d’un programme ERASMUS militaire pour les officiers, la constitution d’un groupe aéronaval européen, la création d’une flotte européenne de transport, le déploiement d’un réseau de surveillance maritime des côtes européennes : ce sont ces réalisations qui font avancer les choses. Me trouvant, voilà trois jours, au Centre satellitaire de l’Union européenne, à Torrejón, j’ai été fier de constater que l’Europe était désormais beaucoup plus compétente que les États-Unis en matière d’analyse des images satellitaires, même si celles dont elle dispose sont beaucoup moins claires.

La création, l’été dernier, par la France, l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, d’une flottille commune d’avions de transport tactique reflète une tendance de fond à la coopération. Grâce au sauvetage pour lequel votre prédécesseur s’est battu, monsieur le ministre d’État, cette flottille doit être dotée, à terme, d’Airbus A400M.

Enfin, l’accord historique conclu avec la Grande-Bretagne le 2 novembre dernier marque une avancée considérable. La mise à disposition réciproque de matériels et de troupes par les deux principales puissances militaires de l’Union européenne n’est pas seulement le signe d’un rapprochement bilatéral ; c’est aussi un levier d’action pour renforcer l’intégration européenne.

La France et le Royaume-Uni comptent parmi les rares pays respectant le seuil de dépenses pour la défense fixé par l’OTAN à 2 % du produit national brut. Le fait que ces deux grandes puissances mutualisent certains de leurs moyens est un grand pas vers la création d’une véritable défense européenne intégrée.

Cependant, le travail à accomplir pour parvenir à développer la puissance européenne est immense, et il risque de pâtir de la réduction des moyens. Depuis plusieurs années, la diminution des crédits consacrés à la défense partout en Europe est une vraie menace pour la sécurité et l’indépendance du continent. Entre 2001 et 2009, le budget militaire des États européens membres de l’OTAN est ainsi passé de 228 milliards à 197 milliards d’euros. Cette diminution est aggravée par le manque de coopération.

À cet égard, un article récent du New York Times dressait une rapide comparaison entre l’Europe et les États-Unis : on compte vingt et un chantiers navals en Europe, contre trois aux États-Unis ; les pays de l’Union européenne ont quatre-vingt-neuf programmes d’armement différents, contre seulement vingt-sept pour les États-Unis, dont le budget de la défense est pourtant presque trois fois supérieur à l’ensemble des budgets de la défense européens ; la part de la recherche et du développement dans le budget européen de la défense a chuté de 13 % entre 2001 et 2008, alors que les États-Unis consacrent à ce secteur six fois plus de crédits que l’ensemble de l’Europe, pour un PIB presque équivalent.

La fragmentation des marchés de la défense européens coûte cher. Il est urgent de renforcer la coopération, la mutualisation et l’intégration des moyens. C’est en suivant cette voie que l’Europe de la défense progressera. Cela est nécessaire pour peser dans les affaires internationales et pour défendre nos valeurs dans le monde ; cela est nécessaire pour éviter une perte catastrophique de compétences technologiques et opérationnelles ; cela est nécessaire, enfin, pour entretenir une relation équilibrée avec nos alliés, en tout premier lieu avec les États-Unis.

Cela m’amène à évoquer le second pilier sur lequel doit reposer notre défense, l’Alliance atlantique.

J’aimerais insister sur le point suivant : le fait que la France ait rejoint le commandement intégré de l’OTAN lors du sommet de Strasbourg renforce notre capacité d’influence. La nomination du général Abrial à l’un des deux postes de commandement suprêmes n’est pas qu’un symbole.

Je salue la décision du Président de la République de revenir sur le choix fait par le général de Gaulle en 1966, dans un contexte très différent. C’est une excellente décision pour la France et je voudrais lui rendre hommage pour avoir fait « bouger les lignes ».

À ce propos, monsieur le ministre d’État, une phrase rapportée voilà quelques jours dans la presse a pu donner à penser que j’avais ironisé sur la présence, au sommet de Lisbonne, de trois anciens secrétaires généraux du RPR, porteurs de la doctrine gaulliste. Or il n’en est rien. Au contraire, je me réjouis que le Président de la République, Mme Alliot-Marie et vous-même, monsieur le ministre d’État, ayez pris part à ce sommet.

La décision prise par le Président de la République est également excellente pour l’Europe de la défense. Grâce à ce choix, le projet européen peut avancer sans être en permanence suspecté de fragiliser le lien transatlantique. Notre partenaire britannique y est sensible, et il n’est pas le seul. Les pays d’Europe de l’Est, très attachés à l’Alliance atlantique, le sont aussi. Le fait que la France ait repris toute sa place dans l’OTAN rassure la Pologne et ses voisins. L’Europe de la défense y gagne.

Cela m’amène à évoquer le renforcement nécessaire du partenariat avec la Russie, qui doit être une priorité de l’Alliance atlantique, comme l’a souligné le Président de la République lors du sommet de l’OTAN de Lisbonne, le 20 novembre dernier. La présence de la Russie auprès de l’OTAN a montré que l’épisode ouvert par la crise géorgienne est en train d’évoluer. Maintenant, il faut avancer.

L’Union européenne doit comprendre que ce rapprochement est dans son intérêt. La page de la guerre froide est tournée depuis longtemps. Les menaces ont changé de nature, elles ont aussi changé d’origine. Les chefs d’État français, allemand et russe l’ont compris. Lors de leur récente rencontre, à Deauville, ils ont manifesté leur volonté de renforcer le partenariat stratégique qui doit nous unir. La vente de missiles Mistral à la Russie est également un excellent signe. Cette volonté doit se concrétiser par des projets communs, notamment en matière de défense antimissile.

Aujourd’hui, la Russie concentre ses troupes dans le Caucase, bien sûr, mais surtout à l’est de ses frontières. À ses côtés, l’Europe de la défense doit progresser. Le monde avance vite, la Chine avance vite : cette semaine, au salon aéronautique de Zhuhai, elle a présenté sa nouvelle génération d’avions de combat, qui pourront décoller des porte-avions.

Il est urgent que l’Europe comble son retard, en matière d’exploration spatiale, de recherche avancée, de capacités rapides d’intervention. Pour associer les États membres de l’Union à cet effort, il faut une volonté politique forte.

Monsieur le ministre d’État, je crois que vous partagez cette volonté. J’espère que, sous votre direction, votre ministère continuera à faire progresser à la fois notre influence dans l’OTAN, notre partenariat avec la Russie et l’Europe de la défense : trois objectifs qui se complètent et se renforcent. Dans cet espoir, le groupe Union centriste votera pour l’adoption des crédits de cette mission.

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