Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, j’aurai d’abord, à cet instant, une pensée pour le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je suis heureux de savoir qu’il va bien.
Je voudrais aborder deux sujets, monsieur le ministre d’État : notre place dans l’OTAN et la situation en Afghanistan.
Le sommet de l’OTAN de Lisbonne n’a pas apporté la clarification et les précisions attendues, tout au moins pour l’observateur que je suis. Une fois encore, le Parlement a été complètement mis à l’écart. On discute à Lisbonne, monsieur le ministre d’État, mais pas à Paris : ici, c’est silence radio ! Pas de débat au Parlement avant les sommets de l’OTAN ! L’Élysée ordonne et dispose. On suit le mouvement, mais en silence.
Je voudrais dire quelques mots de l’ensemble des décisions qui ont été prises et acceptées par le Gouvernement lors de ce sommet.
En ce qui concerne l’Afghanistan, le calendrier de retrait reste flou, dans l’attente des décisions qui seront prises par le Président Obama à la fin du mois de décembre 2010.
En ce qui concerne le bouclier antimissile, il s’agit d’un accord qui nous engage fortement, alors que le projet n’est qu’au stade de l’ébauche, emporte des conséquences graves pour notre autonomie stratégique et risque de placer les industries européennes de défense en position de sous-traitants.
Quant au nouveau concept stratégique, qui entérine une extension du domaine d’action de l’OTAN vers une approche globale, civile et militaire, dans la gestion des crises, il laissera clairement l’Union européenne sous la dépendance de l’Alliance atlantique. Ce nouveau concept renforce la maîtrise et la prééminence politique des États-Unis sur les alliés : exit l’Europe de la défense. Que de revirements, que de renoncements ! Et que l’on ne nous accuse pas d’être timorés, que l’on n’essaie pas de nous rassurer en nous affirmant que le temple sera bien gardé !
Sur la situation en Afghanistan, dont vous n’êtes bien évidemment pas le premier responsable, monsieur le ministre d’État, le constat tient en trois mots : échec, confusion, désordre. Tous les six mois, un changement de stratégie est annoncé. Cela revient à dire qu’il n’y a pas de stratégie !
Je rappelle que MM. Kouchner et Morin, exfiltrés depuis du Gouvernement, avaient déclaré que « la nouvelle stratégie concertée de la communauté internationale avait été décidée à Londres, le 28 janvier 2010 ». Et avant Londres, c’était Bucarest, en avril 2008 : il s’agissait alors de gagner les cœurs et les esprits, d’amener le peuple afghan à faire cause commune avec la force internationale et à rejeter les talibans…
Qu’est-ce alors que cette « nouvelle nouvelle » stratégie concoctée à Lisbonne ? Mon sentiment, monsieur le ministre d’État, est qu’il s’agit d’une stratégie de communication, un point c’est tout !
Ces stratèges-là sont aussi perdus aujourd’hui qu’il y a quelques mois : ils s’enfoncent dans le bourbier et ils ne trouvent pas la sortie.
Hier encore, on refusait à grands cris de parler d’un calendrier de retrait, et de grands spécialistes m’expliquaient qu’il ne fallait pas donner de l’espoir et des informations aux talibans, que c’était criminel ! Alors, pourquoi annoncer ce calendrier aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a changé sur le terrain ?
Je vais vous le dire : rien n’a changé sur place ! En revanche, à Washington, à Londres et à Berlin, on constate la prise en compte d’une réalité : l’OTAN n’en mène pas large, et les États-Unis conduisent leur barque en fonction de leurs intérêts politiques supérieurs. L’OTAN suivra, et les Européens aussi !
Les États-Unis avaient déjà annoncé qu’ils entameraient leur retrait en 2011. Les Pays-Bas et le Canada annoncent également leur départ cette même année. L’Allemagne reconsidère périodiquement – devant son Parlement, elle – son engagement militaire et fixe le début du retrait à 2012. En Grande-Bretagne, l’échéance semble fixée à la fin de 2014.
Chez nous, votre prédécesseur avait fait la déclaration suivante : « En 2011, nous allons transférer toute une série de districts aux Afghans. À ce moment-là, il pourra y avoir les premiers déplacements ou retraits des forces alliées d’Afghanistan… » Qui faut-il croire ? La confusion est à l’œuvre !
À Lisbonne, il a été question de « transfert de la responsabilité » aux forces afghanes, ce qui ne signifie pas retrait des troupes ! La sécurité sera cogérée, district par district, par les forces coalisées et les forces afghanes. Dans le meilleur des cas, il y aura plus tard transfert intégral de la responsabilité à l’armée afghane : cela, c’est la théorie.
En réalité, l’engagement risque de se prolonger indéfiniment. On voit mal émerger d’ici à trois ans un État afghan doté de structures suffisantes pour assurer sa propre sécurité, s’appuyant sur un pays pacifié et des populations réconciliées. Nous sommes venus, nous avons vu, nous n’avons pas vaincu…
Je m’interroge : si, à partir de 2011, les forces de l’OTAN réorientent leur mission vers la formation des forces afghanes, quelles forces poursuivront les actions militaires les plus dures dans les districts et les régions non sécurisés ? Les forces américaines seules ? Formation des forces afghanes ou pas, nos soldats seront impliqués dans les combats. Faudra-t-il alors renforcer notre présence ? Étant donné le budget de la défense, l’état de nos finances et l’état de nos forces, pourrons-nous, en toute sécurité et avec les moyens adéquats, augmenter encore le nombre de nos soldats sur place ?
Si l’on en croit les annonces ayant suivi le sommet de Lisbonne, il y a maintenant une stratégie, avec une perspective de sortie du conflit. Cette stratégie, nous la réclamions depuis longtemps ; est-elle adaptée à la situation ?
L’OTAN a cherché à donner le change dans le domaine militaire et, surtout, à rassurer les opinions publiques occidentales. Mais nous savons tous que la solution sera politique et diplomatique. Dans ces conditions, quelle elle est la stratégie politique pour sortir du conflit ? Le silence nous assourdit ! Et les négociations avec les talibans pour partager le pouvoir ? On n’en parle pas. Et la guerre sans merci livrée sur la zone frontalière, côté pakistanais ? On n’en parle pas.
Il n’y a aucune avancée en termes d’implication positive des pays riverains. Tout se passe comme si ces derniers regardaient avec attention comment le piège afghan se referme, une fois de plus, sur les troupes étrangères, chacun faisant ses calculs pour le coup d’après !
Les objectifs de l’intervention restent toujours mal définis : lutte contre le terrorisme d’Al-Qaïda ? Victoire militaire sur les talibans ? Construction d’une démocratie et d’un État de droit ? Soutien au pouvoir de M. Karzaï ? Reconstruction de l’économie ? Réconciliation et réintégration des talibans ? Cette confusion n’est ni responsable ni efficace.
Elle n’est pas responsable, parce que nos soldats doivent connaître avec précision le but de leur présence sur le terrain où ils risquent leur vie.
Elle n’est pas efficace, parce que le plein soutien de la nation ne peut se manifester que si les objectifs politiques et militaires de la guerre sont clarifiés, assumés et partagés.
Nous nous sommes éloignés des objectifs établis lors du début de l’intervention française en Afghanistan. Nous en payons aujourd’hui les conséquences.
Après 2007, la dérive s’est accentuée, et le Président de la République a accepté de placer nos troupes à la remorque de l’OTAN, ce qui, à Kaboul comme à Paris, signifie clairement à la remorque des États-Unis.
Monsieur le ministre d’État, la stratégie mise en œuvre a échoué, l’option militaire n’est pas la bonne.
Ailleurs, les parlements discutent sans faux-fuyants de l’engagement en Afghanistan, et ils appellent un chat un chat. La corruption, les trafics de drogue, les hésitations dans la conduite des opérations, la dure réalité des combats sont mis sur la table.