Intervention de Marie-Luce Penchard

Réunion du 4 mai 2011 à 21h30
Lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Marie-Luce Penchard, ministre :

Il s’agit d’une mesure importante et très attendue, qui avait été décidée par le conseil interministériel de l’outre-mer du 6 novembre 2009. Cela permettra de répondre à la pénurie de foncier dans les départements d’outre-mer et à la cherté du coût des aménagements, puisque la décote totale est de nature à compenser de façon significative le coût lié à l’aménagement des terrains.

Je rappelle en outre que le décret du 9 novembre 2010 offre à l’État la possibilité d’intervenir seul dans la compensation de la surcharge foncière dès lors que la situation financière des collectivités ne leur permet pas de le faire.

Ces mesures sont dédiées à l’habitat social. Mais la mobilisation du Gouvernement en vue de développer l’offre de logements sociaux outre-mer ne doit pas occulter l’autre enjeu fondamental qu’est l’amélioration de l’habitat privé. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement soutient les interventions visant également à réparer les tissus urbains dégradés, qu’il s’agisse de la réhabilitation du logement social ou de l’intervention sur le logement privé.

C’est ainsi que les actions contractualisées pour la rénovation urbaine se poursuivent au travers de treize conventions pluriannuelles dans les cinq départements d’outre-mer et du programme national de requalification des quartiers anciens dégradés, qui concerne la ville de Fort-de-France à travers le projet « Porte Caraïbe ».

Avec ces programmes, ce sont plus de 1, 8 milliard d’euros de travaux qui bénéficient aux économies des territoires d’outre-mer et qui permettront la reconstruction de 5 000 logements sociaux.

Pour le logement privé, j’ai signé en 2009 et en 2010 deux conventions d’appui, l’une avec le réseau Habitat et développement, l’autre avec le club des PACT des DOM. Ces conventions mobilisent des subventions du ministère de l’outre-mer à hauteur de 253 000 euros sur trois ans.

Dans le cadre de cette politique globale, le Gouvernement a souhaité donner un nouveau souffle volontariste à la politique de lutte contre l’habitat indigne et informel. En effet, devant le développement exponentiel de constructions informelles et insalubres qui touchait et qui continue de toucher les départements d’outre-mer, il s’agissait de relancer la lutte contre toutes ces formes d’habitat sur des bases devant être adaptées au contexte institutionnel et social des outre-mer.

De ce fait, nous avons pris le parti, au stade de la commande gouvernementale, de ne pas limiter les champs d’investigation exclusivement aux dimensions techniques ou opérationnelles, mais d’inciter la mission à questionner le cadre juridique servant de référence à l’action publique en matière de lutte contre l’habitat insalubre. Il en a résulté un rapport remis au Gouvernement en septembre 2009. À cet égard, je tiens à souligner une nouvelle fois la grande qualité du travail fourni dans ce document et la pertinence des propositions formulées par Serge Letchimy.

Sur la base de ces propositions, j’ai souhaité que des mesures d’application immédiate soient mises en œuvre localement par les préfets et les services territoriaux. Je pense à la mise en place des pôles départementaux de lutte contre l’habitat indigne, qui est aujourd'hui effective. Je pense également au soutien des services au lancement des plans communaux de lutte contre l’habitat indigne ainsi qu’à la mise en œuvre de formations au bénéfice des agents de l’État sur les procédures de lutte contre l’habitat insalubre. Ces formations ont été organisées en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane et à la Réunion.

Ces premières actions ont fait l’objet d’instructions très précises transmises aux préfets dès le mois de mai 2010.

Aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, je considère que nous sommes en train de franchir une nouvelle étape importante. La proposition de loi qui vous est soumise est en effet l’aboutissement d’une démarche ambitieuse que le Gouvernement continue de soutenir et qui doit permettre à l’État, aux communes et aux aménageurs de disposer d’outils nouveaux pour agir plus efficacement contre l’habitat insalubre, informel et illégal.

L’habitat insalubre et informel dans les cinq départements d’outre-mer et à Saint-Martin correspond à une réalité particulièrement visible. Il suffit de rappeler quelques chiffres, que vous avez sans aucun doute à l’esprit, pour souligner l’importance du phénomène contre lequel nous voulons lutter.

Nous avons un parc dégradé de 50 000 logements où vivent 200 000 personnes. Le phénomène concerne quasiment une construction sur deux et connaît sur tous ces territoires une croissance de l’ordre de 8 % à 10 % chaque année. Cela signifie que ce sont des dizaines de constructions nouvelles qui sont érigées chaque jour en dehors de toute règle et qui font peser des risques importants sur la santé et la sécurité publiques.

Il s’agit incontestablement d’un phénomène dont le caractère massif est sans comparaison avec le reste du territoire national. Nous sommes donc bien dans le cas de figure où des dispositions sont nécessaires pour traiter des situations qui, par leur ampleur et par la précarité des constructions en cause et la surexposition aux risques naturels, sont spécifiques à l’outre-mer.

En effet, il s’agit de constructions et d’installations à usage d’habitation, construites par des personnes sans droit ni titre, sur des terrains qui forment des zones d’urbanisation de fait, sans desserte, ni assainissement, ni eau potable, ni autres équipements publics de base propres à assurer la salubrité et la sécurité. Malgré l’accélération des opérations de résorption de l’habitat insalubre lancées depuis plus de vingt-cinq ans, le phénomène persiste. Le problème est particulièrement inquiétant à Mayotte, où les bidonvilles se développent.

Les situations sont également très diverses. Dans certains cas, les occupants ont construit sur la base de contrats de location sous seing privé ou d’accords verbaux juridiquement fragiles ; d’autres sont sans droit ni titre. D’autres encore sont locataires de ces habitations.

Ces constructions, autour desquelles se sont développées activités commerciales .et artisanales, constituent souvent le seul patrimoine de leurs occupants. Certaines de ces cases sont correctes ou peuvent être améliorées. La volonté du Gouvernement est d’accélérer le rythme des opérations de résorption.

Pour cette raison, le texte voté à l’Assemblée nationale le 26 janvier 2011, qui constituait la base de vos travaux dans le cadre des commissions, me semble comporter un certain nombre d’avancées fondamentales, au premier rang desquelles je placerai l’institution d’une aide financière compensatoire pour les occupants dont le domicile devra être démoli ou qui devront être expropriés.

Cette aide financière a une finalité importante : faciliter l’intégration de la lutte contre l’habitat insalubre et indigne dans le cadre des opérations d’aménagement. Elle permettra en effet de compenser la perte de domicile résultant des démolitions ou des expropriations qui sont rendues nécessaires lors du déroulement de ces opérations.

Une telle mesure permet de tenir compte de la réalité des constructions érigées sur terrain d’autrui, qui caractérisent l’insalubrité en outre-mer. La compensation qu’elle institue représente une incitation à la transition des personnes occupantes vers une situation normalisée.

Il s’agit d’une disposition équilibrée, dans la mesure où les droits du propriétaire foncier sont préservés et où elle est assortie de conditions d’exécution strictes définies dès l’article 1er de la proposition de loi, notamment la condition de résidence principale, la condition d’occupation continue, paisible et de bonne foi pendant une période de dix ans et, enfin, la condition d’absence d’ordonnance d’expulsion.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que vous avez fourni un travail important pour apporter des précisions sur les conditions de versement de cette aide et veiller à ce que la loi prévoit sans ambiguïté des modalités adaptées de calcul et de versement.

J’ai bien noté que vos travaux vous ont conduits à limiter le champ d’application de la proposition de loi aux départements d’outre-mer et à Saint-Martin.

Vous avez par ailleurs souhaité que l’exclusion des marchands de sommeil du bénéfice de cette aide financière soit bien précisée. Je crois que nous disposons aujourd’hui sur ce point d’un texte très clair dont les objectifs sont conformes à la volonté du Gouvernement et de l’ensemble des parlementaires de combattre cette pratique inacceptable. En effet, l’article 5 vise très explicitement à ce qu’aucune aide ne puisse être versée aux bailleurs de locaux frappés d’un arrêté d’insalubrité ou de péril. Par ailleurs, il s’agit des bailleurs de bonne foi, notion reconnue dans notre droit et soumise à l’appréciation des tribunaux en cas de contestation des conditions de la location.

Je précise que, si le Gouvernement a accepté le bénéfice d’une aide financière pour ces bailleurs, c’est pour permettre la prise en compte d’une situation réelle dans nombre de quartiers d’habitat informel, où une proportion significative d’environ 35 % des occupations locatives ne sont ni précaires, ni abusives, ni indignes. Majoritairement, cette occupation locative se déroule dans un cadre de mutation professionnelle ou familiale.

La deuxième avancée de la proposition de loi réside dans la flexibilité et la souplesse notables qui sont apportées aux conditions d’intervention du préfet et du maire.

Dans un premier temps, je souhaite relever la définition par arrêté du préfet d’un périmètre insalubre à contenu adapté. Ce périmètre tiendra compte de l’état des diverses constructions rencontrées dans les secteurs d’habitat informel. Ainsi, ce dispositif sera moins rigide dans son contenu et ses effets que le périmètre d’insalubrité actuellement en vigueur dans le code de la santé publique, qui s’avère peu adapté aux réalités de l’outre-mer.

En effet, le périmètre d’insalubrité du code de la santé publique permet le traitement des bidonvilles et autres habitats précaires lorsque le quartier est suffisamment homogène dans sa configuration bâtie pour justifier la démolition de tous les locaux inclus. Cette approche n’est pas adaptée aux situations d’habitat informel outre-mer où nombre de quartiers comportent des cases, des maisons, des constructions en dur, qui, au vu de leur état technique, peuvent être conservées et améliorées.

La définition de ce nouveau périmètre sera donc subordonnée à un travail de repérage que j’ai souhaité, lors des débats à l’Assemblée nationale, mieux encadré.

Il me paraissait raisonnable de prévoir des délais permettant une dynamique opérationnelle indispensable dans la lutte contre l’habitat indigne et insalubre. Je constate que le texte de la commission de l’économie du Sénat a encore amélioré cette adaptation à la réalité de certains territoires.

Dans un deuxième temps, je souhaite aussi souligner les possibilités ouvertes par l’article 16 de la proposition de loi, qui vise à doter les maires du support législatif nécessaire pour mieux gérer les situations d’abandon manifeste des parcelles.

Le problème de l’abandon manifeste, sans être un phénomène propre aux départements d’outre-mer, est assez massif dans nombre de centres-villes et de bourgs.

Dans ces conditions, il est nécessaire de simplifier les procédures afin d’accélérer les travaux et de faciliter la récupération de ces biens. Celle-ci, d’autant plus cruciale que le foncier urbain libre est rare, permettra d’utiliser un foncier urbain disponible lorsque les propriétaires n’engagent ni travaux ni procédure pour régler la situation ayant conduit à cet état d’abandon.

Enfin, je serai très attentive aux modalités de recours au Fonds de prévention des risques naturels majeurs, qui pourra, sous certaines conditions, contribuer au versement d’une aide financière aux occupants sans titre de terrains exposés à des risques naturels.

Pour conclure, je veux saluer particulièrement la qualité du travail réalisé par le président de la commission de l’économie, M. Jean-Paul Emorine, et par le rapporteur, M. Georges Patient, ainsi que par les membres de la commission de l’économie et de la commission des affaires sociales, qui, de manière unanime, ont saisi l’importance de ce texte pour l’outre-mer.

J’affirme une nouvelle fois que le Gouvernement est très attaché à la rénovation des procédures législatives et réglementaires ouvertes par cette proposition de loi. Nous soutenons ce texte, qui, nous le savons, est très attendu dans nos territoires.

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