Intervention de Georges Patient

Réunion du 4 mai 2011 à 21h30
Lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Georges PatientGeorges Patient, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est importante pour nos outre-mer. Il s’agit d’ailleurs du premier texte consacré à l’ensemble des départements d’outre-mer depuis la loi pour le développement économique des outre-mer, dite LODEOM, du 27 mai 2009. Depuis cette loi, le Parlement a examiné plusieurs textes comprenant des dispositions relatives à l’outre-mer, mais ces dernières figuraient à la fin des textes et il s’agissait essentiellement d’habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance.

L’importance de la présente proposition de loi n’a pas échappé à l’Assemblée nationale, qui l’a adoptée à l’unanimité en janvier dernier, ainsi qu’à la commission de l’économie de la Haute Assemblée qui, elle aussi, l’a adoptée à l’unanimité. À cet égard, je remercie de leur soutien le président Jean-Paul Emorine ainsi que l’ensemble des membres de la commission de l’économie.

Avant de vous rappeler le contenu de la proposition de loi et de vous présenter les principales modifications apportées par la commission de l’économie, je souhaite replacer ce texte dans son contexte : la grave crise du logement que connaissent nos outre-mer. Le diagnostic est largement partagé.

Le comité de suivi du DALO, le droit au logement opposable, a comparé, dans son rapport annuel de 2008, la situation des départements d’outre-mer à celle de l’Île-de-France : « Au même titre que la région Île-de-France, les DOM méritent de faire l’objet d’une attention particulière […] compte tenu […] de l’ampleur des besoins de logement non satisfaits ».

Notre ancien collègue Henri Torre a rédigé, au nom de la commission des finances, deux excellents rapports sur la situation du logement en outre-mer. Dans son rapport de 2006, il indiquait qu’une politique ambitieuse était indispensable dans ce domaine, car « les conditions de vie dans certaines zones rappellent […] clairement les pays sous-développés, et sont indignes de la République ».

Cette crise comprend plusieurs volets.

Le premier volet est une grave pénurie de logements sociaux.

En 2008, on comptait dans les quatre DOM près de 166 000 personnes en attente d’un logement social, soit près de 10 % de la population totale. Les constructions restent nettement insuffisantes. Comme l’ont souligné nos collègues Éric Doligé et Marc Massion dans leur rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 2011, le nombre de constructions financées en 2009 s’est élevé à un peu plus de 6 000, alors qu’il en faudrait près de 45 000 par an !

La situation de la Guyane est particulièrement alarmante : on y compte 13 000 demandes de logement social pour un parc locatif social de 11 000 logements.

Le deuxième volet de cette crise est la persistance de nombreux logements insalubres.

D’après les données figurant dans les rapports de M. Henri Torre, en 1998, on comptait plus de 26 % de logements insalubres dans les DOM, contre moins de 8 % en métropole. En 2003, le constat était le même : les logements insalubres représentent près du quart du parc immobilier ultramarin.

Dans ce domaine également, la situation est dramatique en Guyane – je reviens souvent sur le cas de mon département qui, avec Mayotte, connaît l’une des situations les plus catastrophiques – : en 2005, on y comptait 13 % de logements sans électricité, 20 % sans eau potable, 27 % sans baignoire ni douche intérieures ou 63 % sans raccordement à l’égout.

Le troisième volet de cette crise est l’habitat informel, qui constitue outre-mer un phénomène de grande ampleur.

Par habitat informel, on désigne les constructions irrégulières qui sont de qualité très diverse. Aux Antilles et à la Réunion, entre 30 % et 40 % des maisons individuelles auraient ainsi été construites sans permis ; en Guyane, 30 % des constructions existantes sont illicites et, sous l’effet de l’immigration clandestine, près de 50 % des constructions nouvelles le sont.

Différents dispositifs législatifs sont intervenus au cours des dernières années, notamment dans le cadre de la LODEOM, afin de relancer la production de logements sociaux. En revanche, aucune initiative législative n’a été prise récemment en matière de logement insalubre et informel ; c’est tout l’intérêt de cette proposition de loi.

Ce texte est issu des travaux du député Serge Letchimy, qui s’est vu confier par le Gouvernement, en avril 2009, la rédaction d’un rapport sur la résorption de l’habitat insalubre dans les DOM. Remis en septembre 2009, celui-ci a effectué plusieurs constats.

Il a estimé à plus de 150 000 le nombre de personnes vivant en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane et à la Réunion dans quelque 50 000 locaux insalubres, généralement informels. C’est un chiffre très important. Rapporté à la population métropolitaine, cela représente près de 6 millions de personnes.

L’habitat informel est souvent accepté localement. L’occupation est parfois très ancienne et nombre des occupants s’estiment donc, de bonne foi, propriétaires. Plusieurs d’entre eux paient d’ailleurs la taxe d’habitation et la taxe foncière sur les propriétés bâties.

Les dispositifs mis en place sur le plan national afin de lutter contre l’habitat insalubre sont inadaptés à la réalité ultramarine, caractérisée par une dissociation entre la propriété du sol et la propriété du bâti. Les opérations de résorption de l’habitat insalubre, de RHI, sont ainsi partiellement inefficaces dans les DOM : en Martinique, aucune opération n’a pu être engagée au cours des quatre dernières années. Les outils de police administrative en matière de péril ou d’insalubrité sont également inadaptés, car ils s’adressent aux propriétaires de constructions légales.

Enfin, les acteurs locaux ont pris des initiatives à la limite de la légalité. Je cite un exemple : de nombreux aménageurs versent, dans le cadre d’opérations d’aménagement, une indemnité aux occupants sans titre, après évaluation des constructions par le service des domaines.

En conclusion de son rapport, Serge Letchimy formule quatorze propositions. La présente proposition de loi vise à permettre la mise en œuvre de plusieurs d’entre elles.

J’en viens au contenu de la proposition de loi.

La section 1, les articles 1er à 6 bis, était initialement applicable dans les départements ultramarins et métropolitains. Elle vise à permettre le versement d’une aide financière aux occupants sans titre dans le cadre d’opérations d’aménagements ou pour des raisons de sécurité liées aux risques naturels.

Les différents cas d’occupation sans titre sont visés : l’occupation de la propriété d’une personne publique, à l’article 1er ; l’occupation de la propriété d’une personne privée, à l’article 2 ; le cas des personnes donnant à bail des locaux à usage d’habitation édifiés sans droit ni titre sur la propriété d’une personne publique ou privée, à l’article 3 ; l’occupation sans titre de logements situés dans une zone exposée aux risques naturels, à l’article 6.

Cette aide est très encadrée. Elle ne peut être versée, sauf dans le cas de l’article 6, que dans le cadre d’une opération d’aménagement ou de réalisation d’équipements publics rendant nécessaire la destruction des locaux. Il s’agit d’une faculté et non d’une obligation pour la personne publique. Les occupants doivent justifier de l’occupation des locaux depuis plus de dix ans et n’avoir fait l’objet d’aucune procédure d’expulsion pendant cette période. Pour le cas des logements, ces derniers doivent constituer une résidence principale. L’article 5 précise qu’aucune indemnité ne peut être versée aux bailleurs sans titre dont les locaux sont visés par un arrêté d’insalubrité ou de péril : il s’agit ainsi d’exclure les marchands de sommeil du bénéfice de l’aide.

Il est également prévu que le relogement des occupants évincés est assuré par la personne publique à l’origine de l’opération ou par son concessionnaire, sauf dans le cas des bailleurs sans titre.

J’en viens à la section 2 de la proposition de loi, les articles 7 à 15, qui n’est applicable que dans les DOM et à Saint-Martin.

L’article 7 vise à introduire la notion d’habitat informel dans la définition de l’habitat indigne figurant dans la loi Besson de 1990. Les plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées prévoiront le repérage de l’habitat informel.

Les articles 8 à 10 visent à adapter à l’habitat informel présent outre-mer les dispositifs existant en matière de police de l’insalubrité : périmètre d’insalubrité, arrêté d’insalubrité, arrêté de péril. L’article 8 tend ainsi à permettre au préfet d’instituer un périmètre d’insalubrité adapté à l’état des diverses constructions situées dans les secteurs d’habitat informel.

L’article 12 vise à préciser les sanctions pénales applicables aux bailleurs sans titre qui méconnaîtraient leurs obligations résultant des arrêtés pris en application des articles 8 à 10.

L’article 13 tend à permettre la création de groupements d’intérêt public, GIP, outre-mer pour conduire les actions nécessaires au traitement des quartiers d’habitat dégradé.

L’article 15 vise à permettre la réalisation d’opérations de RHI dans la zone des cinquante pas géométriques de Mayotte.

Enfin, la section 3 est applicable dans les DOM et en métropole. Son article unique, l’article 16, vise à simplifier et à accélérer les procédures en cas d’abandon manifeste de parcelles ou d’immeubles.

Ce texte constitue une avancée importante pour nos outre-mer. Certes, il s’agit d’un texte très dérogatoire et, à la première lecture, certaines de ses dispositions peuvent apparaître étonnantes, voire choquantes. Certains d’entre vous, mes chers collègues, ont peut-être d’ailleurs des interrogations semblables à celles que j’avais moi-même au début de mes travaux sur ce texte. Je vais vous faire part de quelques éléments de réponse à certaines de ces interrogations.

Verser une aide financière à des occupants sans droit ni titre afin que ceux-ci libèrent des terrains qu’ils occupent donc illicitement peut paraître étonnant. En réalité, il s’agit d’adapter le droit à une situation de fait, qui, comme je l’ai dit précédemment, perdure parfois depuis plusieurs décennies.

Le versement de cette aide devrait permettre de débloquer les opérations de RHI qui sont au point mort dans les DOM et d’apporter ainsi une réponse aux nombreuses situations d’insalubrité existant outre-mer.

Verser une aide financière aux bailleurs sans titre, comme le prévoit l’article 3 de la proposition de loi, peut paraître gênant. Pourtant, l’intérêt de cette disposition est évident quand on relève que, dans certains quartiers d’habitat informel, près de 50 % des habitants sont locataires.

Par ailleurs, l’article 5 devrait permettre d’exclure les marchands de sommeil du bénéfice de l’aide, notamment si les préfets édictent effectivement les arrêtés d’insalubrité. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour donner des instructions strictes en ce sens aux préfets.

Si je soutiens totalement ce texte, permettez-moi de renouveler les craintes que j’ai déjà formulées en commission quant à l’efficacité des dispositifs qu’il prévoit.

J’estime que ce texte ne se suffit pas à lui-même. Il revient selon moi au Gouvernement de prendre les mesures nécessaires afin qu’il puisse atteindre ses objectifs.

Tout d’abord, ce texte ne pourra être pleinement efficace que si la situation financière des collectivités territoriales ultramarines est assainie.

La mission commune d’information sur la situation des DOM avait ainsi évoqué « la situation globalement très préoccupante des communes des DOM ».

Ce texte prévoit que la personne publique à l’origine de l’opération d’aménagement prendra en charge l’aide financière et assurera le relogement des occupants évincés. Ces dépenses pourront figurer dans le bilan des opérations de RHI, opérations financées à hauteur d’au moins 80 % par l’État. Or les communes ultramarines ont toutes les peines du monde à financer leur participation de 20 %. C’est ainsi ce qui bloque une opération de RHI dans ma propre commune de Mana.

Ensuite, ce texte me paraît formaté pour les Antilles. Il n’est pas adapté à la diversité de nos outre-mer, notamment aux spécificités de la Guyane. Je vous cite un exemple : en Guyane, la majeure partie des occupants sans titre sont des étrangers en situation irrégulière. Face à un risque d’« appel d’air », il est indispensable que la lutte contre les flux d’immigration clandestine soit renforcée dans ce département.

Enfin et surtout, ce texte doit s’intégrer dans une politique ambitieuse en matière de logement social outre-mer, politique qui, à mes yeux, n’existe pas aujourd’hui. La proposition de loi fixe en effet des règles en matière de relogement des occupants sans titre évincés ou concernés par des mesures de police. Or comment assurer leur relogement dans le contexte de grave pénurie que j’évoquais tout à l’heure ?

Ces observations ne remettent en rien en cause l’opportunité de cette proposition de loi. J’estime seulement que ce texte est l’un des éléments d’un puzzle dont certaines pièces manquent encore aujourd’hui.

J’espère donc, madame la ministre, que le Gouvernement prendra les mesures qui s’imposent afin que les dispositifs prévus par ce texte puissent produire leurs effets.

La commission de l’économie a adopté, sur mon initiative, une quarantaine d’amendements, essentiellement rédactionnels ou de précision. Ils ne modifient pas l’esprit du dispositif adopté par les députés.

J’en viens aux trois principales modifications apportées par la commission.

Tout d’abord, en s’appuyant sur l’article 73 de la Constitution et sur la spécificité des DOM en matière d’habitat informel, la commission a réduit le champ d’application de la section 1 aux départements d’outre-mer et à Saint-Martin.

Ensuite, la commission a clarifié les conditions d’éligibilité aux aides financières créées par la section 1, afin d’éviter toute ambiguïté et d’encadrer de façon adéquate le dispositif. Elle a également précisé que ces aides ne pourraient être versées qu’à la libération des locaux par leurs occupants.

Enfin, la commission a renforcé les obligations en matière de relogement pesant sur les bailleurs sans titre bénéficiant de l’aide financière.

Je vous présenterai tout à l’heure, au nom de la commission, quelques amendements complémentaires.

Ce texte est donc très important pour nos outre-mer et, plus généralement, pour la nation. J’espère que nos débats de ce soir seront fructueux et aboutiront à une adoption unanime de ce texte, illustrant ainsi une nouvelle fois le profond attachement de la Haute Assemblée à nos outre-mer.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion