Intervention de Serge Larcher

Réunion du 4 mai 2011 à 21h30
Lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Serge LarcherSerge Larcher, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon collègue et ami Georges Patient vient de présenter – brillamment – la problématique de la crise du logement outre-mer et les dispositions de la proposition de loi dont Serge Letchimy, député de la Martinique et ancien maire de Fort-de-France, a pris l’initiative. Je m’en tiendrai donc à exposer ici quelques éléments complémentaires.

La crise du logement que l’on connaît en France hexagonale est encore plus aiguë outre-mer, où elle présente, de surcroît, des particularités qui nécessitent d’adapter les outils juridiques et opérationnels habituels.

Tout d’abord, les finances des collectivités territoriales, surtout celles des communes, sont fragiles ; les collectivités font face à des charges élevées et manquent de ressources fiscales du fait du contexte économique et social, ce qui limite leurs capacités d’investissement.

Ensuite, certaines particularités sont intrinsèques à nos territoires : les risques naturels, sismiques ou climatiques, et les contraintes topologiques entraînent un accroissement des coûts de la construction ou de la réhabilitation des logements.

Cela explique également que – à l’exception peut-être de la Guyane – le foncier disponible et aménagé soit rare et cher. Je voudrais d’ailleurs m’attarder un instant sur ce point.

L’expansion urbaine, concentrée sur quelques communes, a été plus rapide et plus brutale outre-mer que dans l’hexagone, alors même que la question de la propriété n’y était pas du tout réglée. Ainsi, la fin de l’esclavage n’a été que partiellement et tardivement prise en compte en termes de propriété ou d’attribution de terrains aux anciens esclaves ou descendants d’esclaves. En outre, l’indivision est un mal endémique qui n’a jamais été traité par les autorités administratives.

Enfin, l’État, pour des raisons historiques, est le principal propriétaire foncier de nos départements. Or une partie de son domaine public, la zone dite des cinquante pas géométriques, réminiscence du domaine royal, est aujourd’hui largement mitée par une urbanisation diffuse, que l’État n’a pas contrôlée et commence à peine à prendre véritablement en compte.

Madame la ministre, sachant que le thème du foncier a été choisi par le comité de suivi de la mission commune d’information du Sénat sur la situation des départements d’outre-mer pour ses travaux de 2011, je souhaite vous poser trois questions.

Premièrement, où en est la création du groupement d’intérêt public chargé de travailler sur l’indivision, mesure que nous avons adoptée dans la loi pour le développement économique des outre-mer voilà déjà deux ans ?

Deuxièmement, le comité interministériel de l’outre-mer avait décidé la création d’établissements publics fonciers dans les départements d’outre-mer qui n’en disposaient pas ; certaines collectivités ont, depuis lors, fait des propositions constructives. Quelle est aujourd’hui la position de l’État sur cette question ?

Troisièmement, la loi de finances pour 2011 ouvre la possibilité à l’État de céder des terrains à titre gratuit, principalement en vue de construire des logements sociaux. Je rappelle que cela existait déjà pour la Guyane, mais qu’aucune cession n’avait eu lieu. Où en est-on ? Avez-vous une liste de terrains qui pourraient être concernés ? Avez-vous des discussions avec des aménageurs ou des bailleurs sociaux pour monter ces opérations indispensables ?

J’en viens plus directement à la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

Elle a un mérite tout à fait exceptionnel : elle fait suite aux constatations faites par les acteurs locaux sur le terrain et elle apporte des solutions pragmatiques, adaptées aux réalités de nos territoires.

Je rappellerai que, jusqu’aux années cinquante, l’économie des Antilles françaises était agricole, totalement fondée sur la culture de la canne et sa transformation en sucre exporté vers la métropole.

Avec l’avènement du sucre de betterave en Europe, la culture de la canne a diminué et a parfois été abandonnée. Les îles, appelées jadis « îles à sucre », ont donc presque totalement été désindustrialisées en moins de dix ans, ce qui a entraîné un exode massif vers la ville des populations rurales, qui avaient l’espoir d’y trouver du travail. Des terrains ont dès lors été occupés à la périphérie des villes, où ont été construites des habitations précaires qui seront progressivement « durcifiées », pour reprendre le néologisme créé par Serge Letchimy dans les années quatre-vingt.

Hier bidonvilles, ces quartiers sont aujourd’hui partie intégrante de la ville. Ainsi en est-il de Texaco, de Trénelle-Citron, de Volga-Plage à Fort-de-France ou encore de Carénage à Pointe-à-Pitre. Mais on en trouve également de multiples exemples dans des communes de plus petite taille.

Cette présence massive d’habitations construites sans droit ni titre est souvent ancienne et acceptée. Ces logements sont même parfois donnés en location, de parfaite bonne foi, voire soumis à la taxe d’habitation et à la taxe foncière. Cette occupation sans droit ni titre se traduit par une déconnexion de fait entre le propriétaire du foncier et le propriétaire du bâtiment. Elle produit des effets, pour les habitants de ces quartiers et pour les aménageurs, qu’il est nécessaire de prendre en compte. Qui plus est, elle interfère avec la question, particulièrement grave outre-mer, de l’insalubrité.

Le rapport que Serge Letchimy a réalisé en 2009 a pointé l’acuité de ce problème, puisque la proportion de logements classés comme insalubres est d’environ 8 % en métropole, mais de 26 % outre-mer. Ainsi, en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane et à la Réunion, les services de l’État dénombrent environ 50 000 logements insalubres abritant plus de 150 000 personnes, chiffres que, comme M. le rapporteur, vous avez d'ailleurs cités. Et c’est sans prendre en compte Mayotte, qui vient d’intégrer le cadre départemental !

C’est dans ce contexte que la proposition de loi entend relancer la politique de résorption de l’habitat insalubre, que tout le monde considère comme bloquée depuis de nombreuses années outre-mer, en intégrant la particularité de l’occupation sans droit ni titre.

Ce texte a été adopté à l’unanimité à l’Assemblée nationale en janvier dernier et, grâce à l’important travail de son rapporteur, notre commission de l’économie en a encore renforcé le caractère opérationnel et la sécurité juridique. Elle a notamment souhaité restreindre aux départements d’outre-mer et à Saint-Martin le bénéfice de l’aide visant à compenser la perte de domicile, et je comprends son choix.

Cette question nous renvoie à la portée de l’article 73 de la Constitution, selon lequel les lois et règlements « peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières » des départements et régions d’outre-mer. Nous avons eu ce même débat en Martinique lors du référendum de l’an passé, et je crois, madame la ministre, que l’État a trop longtemps eu une position timorée sur les possibilités d’adaptation que permet l’article 73.

Sur le papier, cette proposition de loi peut surprendre, car elle déroge évidemment au droit commun. Cependant, il se trouve que celui-ci ne parvient pas à s’appliquer, en l’espèce, dans nos départements ou, en tout cas, qu’il ne répond pas aux situations d’occupation sans droit ni titre de terrains publics ou privés.

Elle constitue donc un outil à la disposition des opérateurs locaux pour lutter contre l’insalubrité et aménager ces quartiers, bien que nous sachions qu’elle restera insuffisante pour régler le problème des bidonvilles, qui, s’ils n’existent presque plus en Martinique, en Guadeloupe ou à la Réunion, continuent de se développer à grande vitesse en Guyane et à Mayotte.

Je continue de plaider pour une politique du logement et de la ville qui prenne en compte la question dans sa globalité. C’est un point sur lequel plusieurs membres de notre commission ont insisté lors de nos débats la semaine dernière. Nous verrons bien, dans le prochain projet de loi de finances, si cette politique est vraiment mise en œuvre.

Pour conclure, j’indique que la commission des affaires sociales a émis, à l’unanimité, un avis favorable à l’adoption de cette proposition de loi. J’espère que nous retrouverons la même unanimité dans cet hémicycle.

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