Intervention de Soibahadine Ibrahim Ramadani

Réunion du 4 mai 2011 à 21h30
Lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Soibahadine Ibrahim RamadaniSoibahadine Ibrahim Ramadani :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui et qui a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 26 janvier dernier, reprend les propositions formulées par le rapport confié par le Gouvernement en 2009 à M. Letchimy et met en exergue trois problèmes : le droit au logement, l’habitat indigne, l’équité et la justice sociale.

Le rapport de Georges Patient, établi au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, rappelle qu’en 2008 166 000 personnes étaient en attente d’un logement dans les quatre départements d'outre-mer, alors qu’en 2009 les 6 000 logements sociaux qui ont été construits se sont révélés insuffisants au regard des besoins, qui se chiffrent à 45 000 constructions nouvelles par an.

À cette carence de logements neufs, s’ajoutent 50 000 logements insalubres et une augmentation constante de l’habitat informel, qui représenterait, comme l’a indiqué le rapporteur, 30 % à 40 % des maisons individuelles construites sans permis aux Antilles et à la Réunion. En Guyane, 30 % des constructions existantes et 50 % des constructions neuves sont le fait de personnes étrangères en situation irrégulière.

En réponse à ce constat alarmant, le présent texte formule, développées en trois sections, les propositions suivantes.

Dans la première section est prévu le versement d’une aide financière aux occupants sans titre, dans le cadre d’opérations d’aménagement ou de la réalisation d’équipements publics nécessitant la destruction des habitations, afin de ne pas porter atteinte au droit de propriété. Toutefois, cette « aide financière pour perte de domicile », dont le barème sera fixé par arrêté ministériel, reste, comme M. le rapporteur l’a indiqué, une faculté et non une obligation pour la personne publique à l’origine de l’opération.

La deuxième section concerne le traitement de 1’« habitat informel » ou « spontané » inclus dans le concept de l’« habitat indigne » : pouvoir est donné au préfet en matière de « police de l’insalubrité » ; est prévue la création d’un groupement d’intérêt public pour la conduite d’actions nécessaires au traitement des quartiers d’habitat dégradé ainsi que la réalisation d’opérations RHI dans la zone des cinquante pas géométriques à Mayotte.

Enfin, la section 3 prévoit, en son article 16, des dispositions qui visent à simplifier et accélérer les procédures en cas d’abandon manifeste de parcelles ou d’immeubles.

Quelle est la situation à Mayotte ? Selon l’INSEE, le parc de logements a progressé de 20 % entre 2002 et 2007, pour atteindre le nombre de 57 225 logements, avec une évolution significative en termes de confort intérieur, selon les résultats du dernier recensement. Cette évolution ne couvre pas le besoin en logement, du fait de l’augmentation rapide de la population et des conséquences de l’immigration clandestine.

Les estimations pour 2017 donnent une population avoisinant les 260 000 personnes, avec une prévision comprise entre 3, 7 et 4 personnes par ménage. Ainsi, le projet d’aménagement et de développement durable prévoit, pour la même période, un nombre de résidences principales compris entre 70 000 et 80 000. Selon cette hypothèse, le besoin en logements, évalué à 33 000, nécessite la construction de 2 300 logements nouveaux et la réhabilitation de 600 logements par an. Pour le logement social, le besoin est évalué à 500 constructions par an.

Les efforts actuels en matière de politique de logements ne répondent pas efficacement à ce besoin. Un des facteurs bloquants de la production de logements à Mayotte et dans les autres collectivités d’outre-mer tient à la problématique spécifique du foncier : comme l’ont indiqué d’autres orateurs, il est rare, cher, insuffisamment aménagé et sécurisé.

Malgré les constructions nouvelles enregistrées depuis quelques années, notamment en zone urbaine, témoignant de la hausse du niveau de vie d’un certain nombre d’habitants de Mayotte, l’habitat précaire se développe en périphérie de ladite zone, dans des quartiers très peu fournis en équipements collectifs, principalement autour des pôles d’emploi de Mamoudzou et Longoni, avec l’apparition de « zones d’habitations précaires et informelles ». D’ailleurs, l’INSEE le notait dans le cadre du recensement de 2002, plus de 42 % des résidences principales étaient des logements précaires.

Selon deux rapports du sénateur Henri Torre, en 1998, la proportion de logements précaires parmi les résidences principales était de 50, 50 % à Mayotte, alors qu’elle n’était que de 10, 50 % en Martinique, de 24, 88 % à la Réunion, de 32, 47 % en Guyane et de 34, 48 % en Guadeloupe ; en 2003, Mayotte comptait 14 277 logements insalubres.

Le rapport Letchimy souligne, quant à lui, que les politiques nationales de lutte contre l’habitat insalubre sont inadaptées à l’outre-mer, avec très peu d’opérations de résorption de l’habitat insalubre, ou RHI. À Mayotte, plusieurs opérations de RHI sont intervenues ces dernières années, notamment à Mamoudzou, dans le quartier de M’Gombani avec l’intervention de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine ; à Chiconi en 2009, dans le quartier d’Antapagna, avec le concours du plan de relance de l’économie. D’autres quartiers méritent d’être classés en zone urbaine sensible ou de bénéficier de la mise en place d’une maîtrise d’œuvre urbaine et sociale, plus souple et plus efficace.

Par ailleurs, le rapport de Georges Patient indique que le développement de l’habitat informel concerne aujourd’hui surtout la Guyane et Mayotte, sous l’effet de l’immigration clandestine. En 2006, la commission d’enquête sénatoriale sur l’immigration clandestine constatait déjà que, « à Mayotte et en Guyane, l’ampleur de l’immigration clandestine aboutit à une multiplication des constructions illicites et à la reconstitution de véritables bidonvilles ».

Or le fait que le dispositif d’aide financière inscrit dans la présente proposition de loi n’exclue pas formellement les occupants étrangers en situation irrégulière, pour une question d’équité et de justice sociale, pourrait créer un important d’appel d’air, difficilement compréhensible, quand l’État lutte parallèlement contre l’immigration clandestine et quand nos compatriotes rencontrent d’énormes difficultés à sortir de l’indivision et à accéder à la propriété, pour les parcelles qu’ils occupent depuis plusieurs générations dans les zones des cinquante pas géométriques.

En outre, l’article 15 vise à mettre en œuvre la proposition n° 7 du rapport de Serge Letchimy en permettant la réalisation d’opérations de RHI dans la zone des cinquante pas géométriques à Mayotte, de la même manière que l’article 32 de la loi portant engagement national pour l’environnement, ou « Grenelle 2 », l’avait permis pour la zone des cinquante pas géométriques des deux départements antillais. Sur ce point, il convient de souligner le bon travail de diagnostic fait par le rapport Letchimy et repris par la présente proposition de loi.

Il convient aussi de poser le débat de l’application à Mayotte des deux décrets du 9 septembre 2009 relatifs à la constitution de droits réels dans le domaine public maritime de l’État, dit de la zone des cinquante pas géométriques, décrets contestés pour leur application différenciée entre les collectivités territoriales et les personnes individuelles, les premières ayant la possibilité d’acquérir gratuitement des parcelles situées en ZPG, notamment pour la construction de logements sociaux, les seconds contraints de s’acquitter d’une certaine somme, selon une décote précise, mais qui handicape lourdement les familles modestes et, de surcroît, représente un frein pour l’accession à la propriété.

C’est la raison pour laquelle j’avais déposé un amendement qui tendait à rendre applicable à Mayotte les dispositions de la loi du 30 décembre 1996 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d’outre-mer. Cet amendement a été jugé irrecevable parce qu’il aggravait une charge publique.

Pour autant, le problème demeure : sur les soixante-dix villages que compte le département de Mayotte, soixante-deux sont situés sur le littoral, dont la plupart existaient déjà avant la présence française ; la majorité des occupants actuels du domaine public maritime de l’État dans ces villages, qui aspirent à accéder à la propriété, sont des personnes modestes, du fait de leur situation économique fragile, en lien avec la faiblesse des revenus et la persistance d’un chômage élevé, qui touchait 26 % de la population active en 2007.

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