Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Réunion du 4 mai 2011 à 21h30
Lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est assez rare que des mesures potentiellement de portée nationale soient prises par le législateur à partir d’une reconnaissance de réalités touchant essentiellement les outre-mer. Cette reconnaissance, elle-même, aboutit à donner un statut, une existence juridique, à des situations de fait jusqu’à présent considérées comme relevant de l’informel.

Indemniser ou accorder une aide financière légale à des occupants sans titre pour perte de logement dans le cadre d’une opération d’aménagement représente en soi une petite révolution, ou une petite revanche de l’histoire, indépendamment même de l’objet du texte, à savoir la lutte contre l’habitat insalubre.

Cette évolution arrive bien tard dans notre droit français, si je songe aux expropriés de Kourou et Sinnamary, à ces familles dépossédées lors de l’implantation de la base spatiale dans les années soixante, parce qu’elles ne possédaient pas de titre reconnu de propriété dans le contexte du processus de construction des sociétés rurales créoles après la fin de l’esclavage. Je songe aussi à certains villages amérindiens et « noirs marrons » auxquels pourrait s’appliquer la définition donnée ici de l’habitat informel.

Lorsque je considère ces différentes situations, je me dis que ce texte, au-delà de sa portée pratique s’agissant d’un problème social ou d’urbanisme, ouvre peut-être une voie, permet de faire un petit pas symbolique, dans la reconnaissance des liens entre le rapport à la terre et l’identité, entre les modes d’habiter et l’expression des cultures et des formes sociétales des outre-mer.

Ce n’est pas sur ce point, hélas, que nous devons nous attarder à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi. Si tel était le cas, j’aurais tenté de franchir quelques pas de plus, en posant la question du relogement de ces « Français sans papiers » qui vivent sur les rives du Maroni et l’Oyapock, alors que l’on vient y implanter des lotissements de logements standardisés.

J’aurais posé la question des droits de ces familles de descendance ancestrale ancrées sur le territoire guyanais, dont la situation est inextricable parce qu’elles sont, à la fois, historiquement inexpulsables et administrativement irrégularisables. Nous y avons été confrontés à Kourou. Par ailleurs, en tant que maire, j’ai aussi assumé le relogement d’urgence de ces familles après l’incendie d’une partie du village saramaca en 2006, village en cours d’opération RHI.

Monsieur le rapporteur et cher collègue, à ce stade de notre discussion, je dois d’ores et déjà affirmer et regretter notre divergence dans l’analyse de la première section de cette proposition de loi. Oui, ce texte a une portée nationale ! Il a aussi de nombreuses limites que le rapporteur, Georges Patient, a bien soulignées. Nous devons d’autant moins nous les cacher qu’elles ne tiennent nullement à la qualité intrinsèque du texte.

Selon moi, deux éléments limitent fondamentalement la portée de ce texte : son applicabilité dans un territoire comme celui de la Guyane, et la mise en perspective de son intérêt au regard de la problématique globale de l’habitat insalubre et, plus généralement, du logement dans les outre-mer.

J’en viens à la question de son applicabilité. Dans le département de la Guyane, on estime à 10 000 le nombre de logements insalubres ou illicites, et il augmente de 10 % par an.

Les constructions illicites représentent, chaque année, jusqu’à 50 % des constructions nouvelles. Dans le contexte d’un tel engrenage, on n’en finira jamais !

Autre élément de contexte, l’immigration clandestine alimente pour une bonne part la prolifération de l’habitat informel, mais les sites d’habitat informel abritent tout aussi bien des personnes en situation régulière qu’irrégulière, qui n’auront donc droit ni aux aides ni au relogement. Nous connaissons bien le phénomène qui se produit en Guyane : à chaque expulsion lors d’opérations d’aménagement, les familles non relogées vont construire ailleurs, sur un autre site.

Enfin, s’agissant de la problématique plus large du logement, quand bien même tout le monde serait relogeable, il est nécessaire de disposer de foncier équipé à hauteur des besoins afin de pouvoir construire, construire, et encore construire...

En l’absence d’opérateurs performants, de moyens adéquats, d’une volonté politique réellement déterminée en matière de construction de logements, l’habitat informel et insalubre a encore de beaux jours devant lui !

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