Chacun ne le sait que trop, il est plus facile d’inquiéter que de rassurer. Le principe de précaution doit être mis en œuvre avec objectivité, en évitant de lui donner une portée qu’il n’a pas et de l’instrumentaliser à tout propos. Il renferme aussi une exigence de recherche et d’expertise, d’ailleurs réaffirmée par l’article 9 de la Charte. Il ne saurait être hâtivement traduit par une sorte d’impératif d’interdiction systématique de tout ce qui n’est pas conforme à l’utopie du risque zéro.
La Charte de l’environnement est un progrès majeur de notre ordre juridique. Voulue par le Président de la République Jacques Chirac, qui en avait pris l’engagement devant les Français lors de la campagne de l’élection présidentielle de 2002, elle établit les fondements constitutionnels d’une écologie humaniste. Elle est aussi à l’origine du Grenelle de l’environnement.
L’adossement de ce texte à la Constitution, formule nouvelle et originale, et son adoption par le Congrès dans les formes prévues par l’article 89 de la Constitution lui donnent la même valeur juridique que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le Préambule de la constitution de 1946. Ainsi, la protection de nos droits fondamentaux repose désormais sur trois piliers : les droits individuels, les droits économiques et sociaux, les droits environnementaux.
La Charte de l’environnement proclame avec force, quoique dans une langue qui n’est plus celle de Mirabeau, que « les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».
Certains y ont vu une forme de désarmement unilatéral dans la compétition économique. Pourtant, nul ne conteste aujourd’hui, notamment au travers des effets de plus en plus tangibles du réchauffement climatique, que l’humanité doit inventer de nouveaux modes de développement pour assurer son avenir.
Que la France fasse partie des nations pionnières ne doit pas choquer ceux qui croient en sa mission historique pour l’affirmation et l’approfondissement des droits universels. Du reste, dans le domaine de l’environnement, notre pays est aussi redevable de l’œuvre accomplie par la communauté internationale depuis l’adoption de la Déclaration de Rio en 1992, ainsi que des principes forgés au sein de l’Union européenne, qui ont débouché sur l’article 174 du Traité.
La Charte doit donc être défendue, et non pas fragilisée. Et j’ai le sentiment, au fond, qu’elle sera mieux défendue si elle peut être complétée par la proposition de loi dont nous débattons.
S’agissant en particulier du principe de précaution, celui-ci n’a pas attendu la Charte de l’environnement pour faire partie du droit positif français, tant en application du régime juridique propre à l’incorporation du droit communautaire dans le droit français qu’en vertu du principe selon lequel les traités, parmi lesquels, bien sûr, les traités relatifs à l’environnement, ont une valeur supérieure à celle des lois. Ce principe est également pris en compte par la loi Barnier de 1995.
Dès avant la Charte de l’environnement, l’ensemble des juridictions françaises de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif avait donc déjà à faire respecter le principe de précaution. La portée constitutionnelle donnée par la Charte à ce principe est d’ailleurs plus étroite qu’on le croit souvent.
Tout d’abord, cela a été dit, l’article 5 ne crée d’obligation que pour les autorités publiques, dans la limite de leurs attributions, et non pour les personnes privées, qu’il s’agisse de personnes physiques ou d’entreprises. Ensuite, il ne vise que des dommages dont la nature reste incertaine, mais qui, s’ils se réalisaient, auraient pour l’environnement des conséquences dramatiques, qualifiées dans le texte de « graves et irréversibles ». Enfin, il n’impose rien de plus que des mesures « provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Cela ne postule pas l’interdit de la prise de risque ; cela pose simplement l’exigence que des mesures de précaution appropriées soient prises.