Intervention de Daniel Reiner

Réunion du 26 novembre 2010 à 9h30
Loi de finances pour 2011 — Défense

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner :

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, je souhaiterais vous faire part de deux observations et de deux interrogations.

Ma première observation sera en forme de paradoxe : jamais les outils qui pourraient être mis au service d’une authentique politique européenne de défense et de sécurité n’ont été aussi importants ; pourtant, jamais la perspective de la mise en place d’une telle politique n’a paru aussi éloignée.

L’encre du traité de Lisbonne est à peine sèche, l’outil des coopérations structurées est là, sur la table, mais personne n’envisage de s’en emparer. L’OCCAR, l’organisme conjoint de coopération en matière d’armement, existe et travaille plutôt bien. L’Agence européenne de défense existe, mais elle a si peu de moyens…

Nous allons bientôt transposer les deux directives du paquet « défense ». C’est une autre approche, par la base, de ce qui pourrait être l’amorce d’une restructuration, difficile mais nécessaire, des industries de défense européennes. L’idée est d’accomplir, petit à petit, grâce à quelques règles simples, ce que la volonté des États peine à réaliser. Pourquoi pas ? Après tout, la méthode des petits pas a fait ses preuves en son temps.

Cela peut réussir, à condition toutefois de ne pas faire n’importe quoi lorsque nous transposerons ces deux directives ! Il faudra se garder, en particulier, de livrer le marché de la défense aux industries non européennes, sous couvert de concurrence non faussée.

Quoi qu’il en soit, l’Europe de la défense perd son souffle. Jamais la perspective d’une défense commune n’a paru aussi lointaine. Les partenariats industriels qui existaient sont en train de se déliter. L’Allemagne regarde à nouveau vers l’Est. Ainsi, Siemens est sorti du capital d’Areva pour nouer une alliance avec les Russes : pourquoi ? Avons-nous commis des erreurs ?

Dans l’industrie navale, les dirigeants du groupe allemand Thyssen Krupp Marine Systems semblent préférer s’allier avec le groupe émirati Abu Dhabi Mar plutôt qu’avec l’entreprise française DCNS, une telle alliance étant considérée outre-Rhin comme « autrement plus solide que la perspective d’un groupe naval européen ».

La même DCNS vient de divorcer d’avec Navantia, qui fut son partenaire dans le domaine des sous-marins, au motif que ce dernier lui faisait des infidélités avec les industriels américains, et on voit mal, à vrai dire, ce qui pourrait la conduire à une relation plus poussée avec l’italien Fincantieri, compte tenu, par exemple, de l’échec de la coopération sur les torpilles lourdes. Bref, le spectacle n’est pas beau à voir !

Dans le domaine des blindés, la situation est pire encore ! Chaque État européen ayant encouragé ses propres industriels, aucun groupe n’a pu émerger à l’échelle européenne. Cette situation a favorisé le rachat par des groupes américains d’industriels européens, comme en Suisse ou en Espagne. En France, trois constructeurs, dont une société entièrement détenue par l’État, se partagent un marché étroit et semblent peu enthousiastes – c’est un euphémisme ! – à l’idée d’un regroupement. Moyennant quoi, c’est un groupe italien qui vient de remporter le marché des porteurs polyvalents terrestres…

Dans le domaine aéronautique, l’avion A400M se fera, mais après combien de tergiversations, après quel feuilleton ! Je n’ai pas le souvenir que la construction du Transall par la France et l’Allemagne, voilà bien longtemps, ait suscité tant de tracas ! Quant au remplaçant des avions Rafale, la question n’est plus, à mon avis, de savoir s’il sera français ou même européen ; à ce stade, tout porte à croire qu’il sera – qu’il est déjà –, avec le Joint Strike Fighter, en grande partie américain.

Ma seconde observation portera sur le fait que, face à cette situation – ou peut-être à cause d’elle –, la stratégie française paraît changer de pied depuis trois ans, et d’une façon spectaculaire ces dernières semaines, sans que le Parlement y soit associé par le biais d’un débat, hélas !

Ce changement se manifeste, d’abord, avec la réintégration par la France du commandement militaire intégré de l’OTAN. Vous n’en étiez pas un fervent partisan, monsieur le ministre d’État, ou alors sous certaines conditions, dont vous pourrez peut-être nous préciser si elles sont en voie d’être satisfaites.

Ce changement s’exprime, ensuite, par les récents accords de Londres, qui semblent sonner le glas d’une approche multilatérale de défense, et en particulier de l’Agence européenne de la défense. Cela ne manque pas de sel quand on sait qu’une Française, Mme Claude-France Arnould, vient d’en prendre la direction.

Ce changement se traduit, enfin, par la participation de la France à la mise en place de la défense antimissile de l’OTAN, qui vient d’être décidée au sommet de Lisbonne.

Que dire de ces décisions, sinon qu’elles paraissent surtout s’imposer à nous ? En outre, chacune d’entre elles a sa logique propre, et on peut entendre les arguments qui les sous-tendent.

La France aura plus de poids au sein de l’OTAN que hors de cette instance.

La France, en désaccord avec l’Allemagne pour ce qui concerne la dissuasion nucléaire en particulier, et le nucléaire en général, s’est tournée vers le Royaume-Uni, seul partenaire européen à consentir un effort financier comparable au sien en matière de défense. C’est un PACS de raison, comme le dit notre collègue Jean-Pierre Chevènement.

Enfin, la défense antimissile balistique semble s’imposer à nous, car c’est moins un équipement militaire contre une menace encore bien lointaine qu’un outil diplomatique au service d’une stratégie d’influence, et c’est aussi le moyen de financer une formidable course aux technologies spatiales.

Tout cela annonce-t-il la fin de l’Europe de la défense, l’échec de l’approche multilatérale qui avait prévalu à Saint-Malo ? Souhaitez-vous, au contraire, que l’alliance franco-britannique crée ce noyau dur, cette masse critique dont nous appelons tous de nos vœux l’émergence, et que nos amis Allemands, Italiens, Espagnols et, au-delà, tous nos amis européens, veuillent tôt ou tard nous rejoindre ?

Monsieur le ministre d’État, nous attendons avec intérêt vos réponses à ces quelques interrogations sur l’Europe de la défense et de l’industrie de l’armement.

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