Outre le relèvement des seuils, notre rapporteur a présenté quelques amendements judicieux, par exemple sur la procédure d'élection du président de la Polynésie française. Celui-ci ne pourra plus être élu par une minorité des suffrages exprimés comme dans la version initiale du projet de loi organique.
En revanche, je ne peux souscrire à la plupart des amendements qui nous sont présentés, non seulement parce qu'ils sont étrangers aux objectifs que se fixe cette loi modifiant le statut de la Polynésie française, mais aussi parce qu'ils mettent à mal l'autonomie de notre collectivité.
Je pense, notamment, au paragraphe ajouté à l'article 166 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française. Dans la loi de 2004, cet article 166 était ainsi rédigé : « Le haut-commissaire veille à l'exercice régulier de leurs compétences par les autorités de la Polynésie française et à la légalité de leurs actes ».
N'était-ce pas suffisant pour garantir la parfaite régularité des actes de nos élus ? Pourquoi ajouter un paragraphe qui autorise le haut-commissaire à assumer directement le pouvoir exécutif dans tous les domaines qui relèvent de nos compétences, chaque fois qu'il estimera que nous avons négligé de prendre les décisions qui, d'après lui, nous incombent ? C'est un pouvoir discrétionnaire qui annule, de fait, toute l'autonomie que nous a accordée le législateur. Il n'existe plus un seul domaine où les élus polynésiens peuvent prendre une décision, ou même s'abstenir d'en prendre, sans s'assurer au préalable de l'accord du haut-commissaire. Nous sommes, à nouveau, tombés sous la tutelle des gouverneurs !
Enfin, je tiens à souligner que l'article 18 du projet de loi organique, s'il est adopté, reprend des compétences accordées à la Polynésie française depuis 1984 en matière de réglementation budgétaire et comptable. Or, il faut savoir que cette répartition des compétences avait fait l'objet, à la fin de 1983, d'un arbitrage du Président de la République qui avait demandé le retrait de cette matière de la liste des compétences attribuées à l'État.
Après le vote de la loi statutaire de 1984, la direction de la comptabilité publique a tenté une remise en cause de cet arbitrage en proposant un projet de décret relatif à la réglementation budgétaire et comptable, projet que le Conseil d'État a rejeté dans sa totalité estimant qu'il méconnaissait la répartition des compétences fixée dans la loi statutaire.
S'appuyant sur cet avis du Conseil d'État, les autorités polynésiennes ont adopté une réglementation territoriale dans le domaine budgétaire, comptable et financier. Tel était l'objet de la délibération de l'assemblée territoriale de la Polynésie française du 29 janvier 1991, complétée et refondue par la délibération du 23 novembre 1995. Aucun de ces textes n'a été déféré par le haut-commissaire à la censure des juridictions administratives pour incompétence de l'auteur de l'acte. La réforme statutaire réalisée par la loi organique du 27 février 2004 n'a pas non plus remis en cause l'arbitrage présidentiel de 1983 et aucun élément en ce sens n'apparaît dans les travaux préparatoires de cette loi.
Aussi, on ne peut que s'interroger sur ce retour en force de l'État. Il est normal que celui-ci demeure compétent en matière de contrôle budgétaire, mais c'est à la Polynésie qu'il appartient de fixer ses propres règles en matière budgétaire. Dès lors, il n'y a pas lieu d'introduire dans l'ordre juridique de la Polynésie française les articles L.O. 273-4-1 à L.O. 273-4-12 du code des juridictions financières, qui reproduisent purement et simplement des dispositions applicables aux collectivités métropolitaines. C'est encore de la départementalisation ! Une fois de plus, on fait peu de cas de l'autonomie budgétaire et comptable accordée à la Polynésie française par le statut de 1984, après arbitrage du Président de la République.
De nombreuses raisons me conduisent à m'opposer fermement à cet article 18. Seuls les articles L.O. 272-12 et L.O. 273-4-11 du code des juridictions financières peuvent figurer dans la loi statutaire. Dans le cas contraire, les Polynésiens constateront que la loi tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française vise un troisième objectif, inavoué mais bien réel, qui consiste à nous reprendre des compétences.
Plus j'analyse toutes ces modifications, et plus je suis convaincu que l'on veut nous appliquer la départementalisation. On nous jure que non, mais j'ai des doutes...
Ce projet de loi comporte plusieurs améliorations appréciables de notre statut, et j'en remercie M. le secrétaire d'État, ainsi que M. le rapporteur. Je pense, notamment, à tous les articles visant à renforcer la transparence dans le fonctionnement de nos institutions. Nous les approuvons sans réserve.
Je regrette cependant que ces mesures positives soient gâchées par l'ajout de dispositions contraires à l'esprit de l'autonomie que les élus polynésiens, en concertation avec tous les gouvernements successifs de la République, ont construite depuis trente ans.
Je comprends que l'instabilité gouvernementale constatée depuis 2004 inspire des doutes sur la capacité des Polynésiens à exercer toutes les compétences que le législateur leur avait attribuées. Toutefois, j'aurais voulu que vous répondiez à ces doutes par la confiance dans nos capacités de progresser, et non par la défiance systématique, qui a inspiré de trop nombreux articles de ce projet de loi. J'ai l'impression que la France a trop vite oublié que, pendant trente-cinq ans, la Polynésie française a contribué à l'édification de la force de dissuasion nucléaire qui lui permet aujourd'hui de faire partie des grandes nations de ce monde !
Je sais, monsieur le secrétaire d'État, que vous portez un grand intérêt à notre pays, et nous vous en sommes reconnaissants. En six mois, vous êtes déjà venu trois fois. Vous avez parcouru des milliers de kilomètres en quelques jours pour rendre visite, dans tous nos archipels, aux populations les plus éloignées. Elles y ont été sensibles. Je sais aussi que vous avez l'intention de revenir avant la fin de l'année, et je m'en réjouis.
J'espère que vous serez là pour présider la cérémonie d'ouverture d'un événement culturel majeur : le festival des arts des Marquises. Vous constaterez alors que la demande des élus marquisiens auprès de l'UNESCO, l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, est parfaitement justifiée : les Marquises méritent pleinement d'être inscrites au patrimoine mondial de l'humanité, et j'espère que vous appuierez les démarches entreprises dans cet objectif. En attendant votre prochaine visite, je veux croire que l'intérêt que vous accordez à la Polynésie française pourra se manifester aujourd'hui, devant notre assemblée, par le soutien que vous apporterez aux amendements que nous avons déposés.
Mes chers collègues, il est encore temps ; nous pouvons encore amender ce texte dans le sens de la confiance à l'égard de la Polynésie française et de ses élus. C'est le meilleur choix pour le présent, et plus encore pour l'avenir. C'est le meilleur choix pour la Polynésie française, pour son maintien dans la République et pour le rayonnement de la France, et à travers elle de l'Europe, dans le Pacifique.