Intervention de Dominique Voynet

Réunion du 12 novembre 2007 à 9h00
Polynésie française — Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi déclarés d'urgence

Photo de Dominique VoynetDominique Voynet :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il est aujourd'hui demandé à la représentation nationale de s'acquitter des basses besognes, de dissoudre purement et simplement l'assemblée de la Polynésie française et d'abréger, depuis Paris, le mandat confié par les électeurs polynésiens à leurs représentants. La date des nouvelles élections est déjà fixée : ce sera en janvier ! Les Polynésiens vivront la campagne électorale pendant les fêtes de fin d'année et seront priés d'assimiler en quelques semaines les nouvelles règles électorales !

La loi prévoit pourtant que le conseil des ministres peut prononcer la dissolution de l'assemblée de la Polynésie française. Encore faut-il que le gouvernement de la Polynésie française, ou l'assemblée elle-même, lui demande de le faire. De fait, ils n'ont rien demandé du tout.

La volonté de renforcer le rôle du Parlement a été claironnée à maintes reprises, avant et après l'élection de l'actuel Président de la République, le tout en usant et en abusant de grandes formules et de généreuses promesses de modernisation de notre régime politique.

Mais il faut en prendre acte : le Parlement n'est pas davantage respecté que les élus de Polynésie ne le sont. Il nous est, en effet, demandé, monsieur le président, mes chers collègues, de traiter de l'avenir de la Polynésie française en moins de temps que nous n'en avons consacré à un énième texte sur les chiens dangereux ou à la réglementation relative aux manèges forains. J'avais cru comprendre, à la lecture des journaux, que, désormais, la vie politique de l'archipel intéressait pourtant au plus haut point quelques-uns des élus de la majorité, qui ont semble-t-il trouvé dans le Pacifique une solution à leurs problèmes de trésorerie...

J'ai évidemment tort de faire de l'humour sur ce sujet, monsieur le secrétaire d'État, car le texte qui nous occupe aujourd'hui est tout sauf anodin, au regard de la situation politique en Polynésie, au regard de l'histoire de la République. Jamais, jusqu'à présent, il n'avait été envisagé d'abréger d'autorité, sans justification aucune, un mandat accordé à une assemblée par le suffrage universel. Les intéressés l'ont-ils demandé ? Non. L'ordre public est-il menacé ? Non plus. Un mouvement populaire réclame-t-il, par des pétitions, des grèves, des manifestations, de nouvelles élections ? Pas davantage. D'autres motifs, si graves qu'on nous les aurait cachés jusque-là, justifient-ils une décision aussi exceptionnelle ? Dites-nous tout, si c'est le cas.

La dissolution de l'assemblée de la Polynésie française est d'autant plus choquante qu'elle n'est pas, je l'ai dit, demandée aujourd'hui par les élus de Polynésie. Il est arrivé qu'ils la réclament ; ce fut le cas à plusieurs reprises, au cours des trois dernières années, sans que le gouvernement en place daigne accéder à leur demande. C'est quand la situation politique de l'archipel se stabilise, c'est quand le dialogue est renoué - grâce à la volonté d'apaisement des leaders polynésiens et sans que le Gouvernement, qui a, pardonnez-moi l'expression, beaucoup « pataugé » dans cette affaire, puisse s'en attribuer le mérite - que l'on décide, à Paris, de donner satisfaction à un « notabliau » marri d'avoir été dépossédé de son éphémère pouvoir !

À une écrasante majorité de quarante-quatre voix sur cinquante-sept, les élus polynésiens rejettent votre réforme. « À aucun moment, les élus polynésiens n'ont été associés à la préparation du texte », regrette Edouard Fritch, président de l'assemblée de la Polynésie française, qui pointe par ailleurs les « inacceptables retours en arrière » au regard de l'autonomie de la Polynésie française. Le communiqué du conseil des ministres revendique pourtant « une très large consultation des forces politiques concernées par la situation de la Polynésie française, aux plans local et national ». Pour faire court, monsieur le secrétaire d'État, je dirai que ces efforts nous ont totalement échappé !

Auriez-vous oublié l'engagement que vous aviez pris au nom du Gouvernement, en août 2007, de ne pas dissoudre l'assemblée territoriale, parce que - je vous cite - vous vouliez « respecter le libre choix des hommes politiques de Polynésie » ? Faut-il vous rappeler que c'est, aussi et d'abord, le libre choix des citoyennes et citoyens de Polynésie qu'il s'agit de respecter ?

Ce libre choix, vous vous apprêtez à le sacrifier pour des motifs incompréhensibles, sauf à admettre que la détestation d'un homme, Oscar Temaru, et le rejet viscéral de la perspective politique qu'il incarne pourraient suffire à justifier ce caprice.

Venons-en maintenant au contenu du texte.

Il s'agirait donc de renforcer la « stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie ». J'ai cherché, en vain, en quoi le mode de scrutin proposé permettrait d'atteindre plus facilement cet honorable objectif que le mode de scrutin existant, déjà taillé sur mesure à la demande et au service d'un homme qui siège parmi nous aujourd'hui, comme en décembre 2003 !

Que nous est-il proposé ? Un mode de scrutin qui va encourager l'émiettement au premier tour, puis les alliances de circonstance au deuxième, et l'aventure au troisième puisqu'un lapin peut être alors sorti du chapeau ! Je veux ici - ceux qui nous connaissent l'un et l'autre savent que nous nous sommes affrontés plus d'une fois et ne peuvent nous suspecter d'aucune connivence - citer Gaston Flosse. Que dit sur ce point l'ancien président de la Polynésie française ? Que le mode de scrutin ne permettra pas de « dégager une majorité cohérente et stable. [...] Nous aurons une assemblée émiettée soumise au caprice de quelques girouettes. » L'homme sait de quoi il parle, sa remarque n'en a que plus de saveur...

Comment le mode de scrutin que vous proposez, strictement proportionnel et sans même une prime majoritaire minimale, pourrait-il conforter en quoi que ce soit - et c'est une militante du scrutin proportionnel qui vous le dit ! - la cohérence des exécutifs, la stabilité des institutions et, au final, l'efficacité de l'action politique en Polynésie ? Monsieur le secrétaire d'État, vous vous moquez !

Comment nier que les épisodes d'instabilité majeure que l'archipel a connus sont d'abord à rapporter à la fin d'une époque de la vie politique polynésienne, époque où la stabilité se payait au prix de la gestion autoritaire et autocratique d'un homme fort, aussi féodal sur son territoire que lié, par ses intérêts, aux puissants de la métropole ?

Les Polynésiens ont très clairement voulu tourner cette page, ce qui ne s'est pas fait sans difficulté.

Dès lors, la première tâche d'un gouvernement soucieux de renforcer la vie démocratique n'est pas de jouer avec le feu, d'accentuer les clivages, ou de déstabiliser le président élu - même s'il ne vous convient pas - comme cela fut fait de façon systématique en 2004, c'est de soutenir cette transition dans le respect des institutions.

Par exemple, s'agissant de la transparence de la vie politique en Polynésie, vous prenez prétexte, monsieur le secrétaire d'État, d'un rapport très sévère de la Cour des comptes sur la gestion du territoire. Il ne vous aura pas échappé que ce rapport porte sur la période d'avant 2004, et qu'il pointe les dérives d'un système qui n'a plus cours, auquel les élections de 2004 ont justement mis fin !

Ce système fut très longtemps soutenu par les membres de l'actuelle majorité, contre l'évidence de sa faillite et contre l'idée qu'on peut se faire, dans une démocratie, de la morale publique.

On peut discuter ad libitum de l'avenir de la Polynésie. Pour ma part, je considère que c'est, pour l'essentiel, aux Polynésiens d'en décider. Je constate que le débat n'a jamais cessé en Polynésie même, entre partisans de l'autonomie et de l'indépendance. Les lecteurs attentifs l'auront noté : en revenant sur certaines des compétences reconnues aux institutions polynésiennes, le texte qui nous est soumis remet en cause les termes même du dialogue engagé.

Comment expliquer cette volonté de « reprise en main » par l'État, au mépris de tous les engagements passés ? Est-on revenu à l'époque où l'on pensait pouvoir juger à Paris de ce qui est bon pour Papeete, Hao ou Rapa ?

Monsieur le secrétaire d'État, sous couvert de stabilité, vous offrez une prime à l'émiettement et au désordre.

Sous couvert de moraliser la vie politique polynésienne, vous choisissez la reprise en main par l'État.

Sous couvert de réforme, vous organisez le recul de l'autonomie de la Polynésie.

Ces projets de loi sont néfastes, nous devons donc les rejeter.

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