Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par citer une phrase d’Antonio Machado qui, je crois, peut tout à fait s’inscrire dans le cadre de ce débat et que nous pouvons, nous, élus, partager : « Pour nous, diffuser et défendre la culture sont une même chose : augmenter dans le monde le trésor humain de conscience vigilante ». Il y va en effet, en la matière, de notre responsabilité à tous.
En tant que dernier orateur inscrit dans ce débat et en introduction de mon intervention, j’aimerais rappeler ce que Claudy Lebreton a l’habitude d’affirmer concernant les collectivités locales et la culture : « Aujourd’hui sans collectivité territoriale, il n’y aurait pas de création ni de diffusion » artistique. Et force est de le constater, pour des raisons tout à la fois historiques et économiques, les faits lui donnent raison.
La participation des collectivités locales représente, en matière de dépenses aussi bien de fonctionnement que d’investissement, 80 % du financement de la culture.
Grâce aux grands mouvements de décentralisation initiés par la gauche, nous sommes progressivement passés d’une forme d’application territoriale des systèmes d’intervention de l’État à un soutien public local des activités artistiques. Cette plus grande proximité a permis le développement de nombreuses initiatives artistiques locales en dehors des grands plans nationaux. S’est alors progressivement installé un nouveau rapport à la culture en tant qu’élément permettant, localement, de recréer des espaces vivants, des dynamiques fondamentales pour le lien social et le vivre ensemble.
Dans ce nouveau schéma culturel, qui s’est établi dans nos territoires au fil des actes de décentralisation, les collectivités locales ont pris toute leur place. Et au fur et à mesure qu’elles s’emparaient de la question culturelle, les services se sont dotés d’expertises.
Ce sont ces collectivités qui sont capables de créer des passerelles entre les acteurs culturels, qui accompagnent les porteurs de projets, qui mettent en place des actions éducatives. Toutes ces actions reposent sur des fondements élargis, comme les notions d’aménagement du territoire et de création d’emplois, et n’oublions pas le fait que travaillent dans le domaine culturel entre 300 000 et 400 000 personnes.
La culture apparaît donc aujourd’hui comme une vraie fonction transversale et un puissant moyen de développement local, auquel les élus locaux sont particulièrement attachés. Elle est devenue un réel élément d’attractivité, de rayonnement, d’identité et de lien social sur lequel je reviendrai. Et quoi qu’en disent certains, c’est également un facteur de développement économique qu’il faut savoir mieux mettre en avant.
Dans ce domaine comme dans d’autres, les compétences sont réparties entre les différentes strates de collectivités.
La commune, échelon de proximité par excellence, reste la collectivité qui intervient le plus au plan culturel. Ses interventions concernent tout aussi bien le patrimoine, avec des dizaines de milliers de monuments classés en France, les musées, dont plus des deux tiers relèvent des collectivités locales, le patrimoine immobilier, qui est considérable : en effet, comme vous le savez, après la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905, la propriété des cathédrales a été transférée à l’État, tandis que celle des églises l’a été aux communes. Enfin, les différentes écoles artistiques sont souvent gérées par les communes, tout comme les bibliothèques.
Les départements, quant à eux, détiennent des compétences en matière d’archives et de bibliothèques, et les régions, comme bien souvent, jouent un rôle de coordination.
Ces premiers éléments me conduisent nécessairement à établir, comme vous avez été nombreux à le faire, mes chers collègues, un rapprochement avec l’actualité brûlante de la réforme territoriale, si importante pour l’avenir de la France et de nos territoires. Car, en matière culturelle comme dans d’autres domaines, qui dit diversité des échelons et clause de compétence générale peut vouloir dire, comme l’a rappelé Françoise Cartron, doublons et chevauchements de financements.
Dans un cadre budgétaire de plus en plus contraint pour les collectivités locales, il est, à mon sens, important que ces points fassent partie des éléments de discussion dans le cadre de la prochaine réforme territoriale. Et ce, en ayant tout de même à l’esprit que la culture fait partie de ces domaines, relativement instables sur le plan financier, des politiques volontaristes non obligatoires.
La clause de compétence générale prend alors tout son sens pour les acteurs culturels, notamment dans les territoires ruraux, un peu plus isolés. Le fait, qui s’observe très fréquemment dans mon département des Pyrénées-Atlantiques, de pouvoir diversifier, sur un même projet, les tutelles financières est capital pour parvenir à établir le budget d’un projet et pour pérenniser une activité.
Pour autant, et dans le cadre d’un grand chantier de modernisation et de regroupement des collectivités locales comme celui qu’ont lancé le Président de la République et son Premier ministre, une clarification et une simplification des compétences paraissent également nécessaires en matière culturelle. D’autant qu’un relatif consensus se dégage sur cette question : les départements, ou les futures grandes intercommunalités censées les remplacer, seraient chargés de la lecture publique et des archives, et les grandes régions du développement économique et de l’aménagement du territoire.
Mais, là encore, les acteurs du monde de la culture souffrent du manque de lisibilité au moment de l’instruction des dossiers. Chaque sénateur siégeant dans cet hémicycle se rend compte de cela tous les jours, lorsqu’on lui demande de soutenir telle ou telle demande de subvention auprès de la DRAC, du ministère de la culture et de la communication, de la région, de l’euro-région, de la commune, de l’intercommunalité : il est à chaque fois confronté à la nécessité d’établir un nouveau dossier.
Alors que cette situation fait perdre beaucoup de temps et nuit à la lisibilité du financement des projets, pourquoi, dans le cadre du choc de simplification, ne pas pousser plus loin le développement des guichets uniques ? Je vous rappelle que cette formule est déjà expérimentée, par exemple pour les résidences d’auteurs, ainsi qu’entre les DRAC et les régions.
Dans le même souci de simplification et d’efficacité, madame la ministre, la question de la mutualisation des fonds pourrait être évoquée.
Cependant, en tant que parlementaires, et peut-être plus encore en tant que parlementaires de gauche, nous avons la responsabilité de reconnaître que l’accès à la culture doit encore être amélioré.
En effet, la grande promesse de la politique culturelle, reprise et amplifiée dans les intentions décentralisatrices, semble avoir été contrebalancée par la place prédominante d’un public bien défini dans la consommation artistique. Différentes études concordantes font apparaître que ce public est, de façon très schématique, majoritairement urbain et diplômé. Preuve qu’un travail important reste à accomplir pour permettre au plus grand nombre de bénéficier d’une offre culturelle attractive et de qualité.
Comme nos collègues Yves Krattinger et Jacqueline Gourault l’ont rappelé dans leur rapport Faire confiance à l’intelligence territoriale, pour tous les acteurs locaux, dans les municipalités, les intercommunalités et les conseils départementaux, la culture est « un levier de cohésion sociale, d’expression d’une identité locale, d’attractivité, de rayonnement, de développement économique et touristique des territoires. » Ce levier doit continuer à être développé pour jouer un rôle croissant dans la sphère publique.
La culture produit un effet sur les habitants des territoires eux-mêmes : elle est bien souvent pour eux un élément de fierté et d’identité, qu’ils participent ou non aux actions menées.
À cet égard, permettez-moi de citer l’exemple d’un festival qui se tient non loin des Pyrénées-Atlantiques, et que vous connaissez, madame la ministre : le festival de jazz de Marciac, qui montre à quel point une population peut s’approprier un projet culturel ; en vérité, ce festival est un facteur de fierté et de développement économique pour la commune et pour tout le département !
Parfois, la culture joue même un rôle plus important encore, lorsque le développement culturel devient le point de départ d’un développement urbain et d’actions de modernisation de la ville ; le musée Guggenheim de Bilbao, au Pays basque espagnol, illustre parfaitement ce mécanisme.
Je veux profiter de ce débat sur la culture et les collectivités territoriales pour évoquer un sujet qui, vous le savez tous, me tient particulièrement à cœur : la valorisation des langues régionales, qui passe notamment par la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, adoptée par le Conseil de l’Europe en 1992.
Le Président de la République, lorsqu’il était candidat, avait pris l’engagement de faire ratifier cette charte ; c’était, pour être précise, le cinquantième-sixième engagement de son programme. Par la suite, il avait ajouté : « le prochain acte de décentralisation devra y contribuer ». Eh bien, nous y sommes, avec le projet de réforme territoriale !
De ce projet, madame la ministre, nous connaissons aujourd’hui les grandes lignes ; mais je souhaiterais obtenir de vous des détails, notamment en ce qui concerne la protection et la promotion des langues régionales.
Je pense que cette réforme offre l’occasion d’avancer sur cette question, en particulier pour ce qui est du fonctionnement des collectivités territoriales. L’article 10 de la charte, consacré aux autorités administratives et aux services publics, énumère, dans son alinéa 2, les dispositions éventuellement applicables aux collectivités territoriales.
Le Conseil d’État a émis un avis négatif sur la ratification de cette charte, sur lequel j’aurai l’occasion de revenir plus tard, au motif que son article 10 mais aussi son article 9 relatif à la justice ne seraient pas conformes à l’article 2 de la Constitution.
Je comprends qu’il existe des réticences d’un point de vue légal, mais aussi des difficultés techniques et opérationnelles liées à la mise en œuvre de l’article 10 à l’échelon de l’administration centrale. Je voudrais cependant apporter certaines précisions, qui semblent avoir été oubliées.
Tout d’abord, les États parties ne sont pas tenus d’appliquer l’ensemble des articles et paragraphes de la charte : celle-ci offre en quelque sorte un programme à la carte, chaque État devant appliquer au moins 35 des 98 paragraphes qu’elle comprend. Un caractère obligatoire s’attache seulement à certains articles, au titre desquels les États parties doivent mettre en œuvre un minimum d’engagements.
Or, dans le cas de l’article 10, l’obligation est fixée à un paragraphe. La France pourrait mettre en œuvre au minimum l’alinéa 2, relatif aux collectivités territoriales, et rejeter les autres alinéas de cet article. Il suffirait d’arrêter une liste officielle des langues régionales et minoritaires de la République française pour que les collectivités territoriales concernées par ces langues puissent adopter, si elles le souhaitent, les dispositions relatives à leur fonctionnement prévues par l’alinéa 2 de l’article 10 de la charte.
Comme le soulignait Guy Carcassonne, éminent constitutionnaliste qui nous a malheureusement quittés voilà un an, d’ailleurs quasiment jour pour jour, l’article 2 de la Constitution « n’était pas vraiment nocif jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel l’invoque de manière excessivement rigide pour faire échec à la ratification de la Charte européenne ». Je pense, avec sans doute de nombreux autres parlementaires, que l’on pourrait faire de cet article une lecture plus conciliante, qui autorise la ratification de la charte et mette un terme à l’opposition stérile entre la langue française et les langues régionales.
Madame la ministre, vous comprendrez que j’aie tenu à rappeler la promesse qui nous a été faite. Vous savez qu’un certain nombre d’initiatives ont été lancées ; je pense en particulier à celle qui vient de l’Assemblée nationale. En tant que sénatrice d’un département, les Pyrénées-Atlantiques, où le basque, le gascon et l’occitan sont régulièrement parlés, je suis soucieuse du rôle majeur que les collectivités territoriales peuvent jouer pour les défendre !