Intervention de Bernard Cazeneuve

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 10 juin 2014 : 1ère réunion
Lutte contre le terrorisme — Audition de M. Bernard Cazeneuve ministre de l'intérieur

Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur :

Je vous remercie, monsieur le Président, de me donner l'opportunité de présenter devant vous les moyens mobilisés par le Gouvernement pour lutter contre le terrorisme - sujet grave s'il en est puisqu'il touche à la sécurité de nos concitoyens. La France est en effet menacée aujourd'hui par des individus fanatisés par des discours religieux dévoyés. Des filières de recrutement s'organisent dans la clandestinité. Elles utilisent tous les moyens modernes de communication pour propager leur discours de haine, parfois sous couvert de préoccupations humanitaires, et amener leurs recrues à perpétrer des actions criminelles. Je tiens à cet égard à récuser le qualificatif de « loup solitaire » qui a fait florès après l'affaire Mehra de mars 2012 et, plus récemment, l'affaire Nemmouche en mai dernier. En effet, chez de tels individus, le passage à l'acte n'est que l'aboutissement d'un processus de conditionnement et de radicalisation orchestré à distance par des groupes déterminés. Le « loup solitaire » est rarement seul puisqu'il a besoin, pour aller jusqu'au bout de son projet, et notamment pour accéder à des armes, de la complicité directe ou indirecte d'autres individus radicalisés. L'attentat de Bruxelles vient une nouvelle fois de démontrer la réalité de cette menace : l'auteur est bien de nationalité française, comme l'une de ses victimes d'ailleurs.

Au 30 mai 2014, on estimait que 316 Français ou résidents français étaient combattants en Syrie, que 139 seraient en partance vers cette destination, 191 envisageraient ce départ et 136 en seraient revenus. Chacun de ces individus doit être considéré comme une menace potentielle pour notre pays.

Le 23 avril dernier, je présentais en conseil des ministres un plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes. Des 23 mesures qu'il comporte, toutes celles qui pouvaient être mises en oeuvre à droit constant l'ont été. En particulier, un numéro vert national a été mis en place pour contrer la radicalisation de jeunes qui font l'objet d'un signalement et prévenir leur départ. 126 signalements utiles ont déjà été recueillis par les réseaux interservices mis en oeuvre par les préfets en étroite collaboration avec les procureurs de la République. Ceci a permis d'accompagner les intéressés pour les aider à sortir de cette radicalisation ou de les placer sous surveillance. 20 départs avérés ont été identifiés. Des actions de formation des opérateurs de la plateforme téléphonique ou des correspondants des réseaux interservices sont prévues.

L'action directe contre les départs vers la Syrie a été engagée. Trois procédures de retrait de passeport français sont en cours, une expulsion a été exécutée, une autre est en préparation. Des interdictions administratives et judiciaires de sortie du territoire sont par ailleurs envisagées dans le cadre d'une coopération entre les services de l'État. Ces échanges peuvent faciliter la tâche des parquets pour ordonner le placement provisoire des mineurs lorsque leur santé ou leur sécurité paraît menacée par un projet de départ à l'étranger.

Un de nos sujets de préoccupation majeure est la radicalisation de certains délinquants en prison. Avec la garde des sceaux, notre objectif est d'améliorer le dispositif de renseignement pénitentiaire et de prise en charge des intéressés au terme de leur détention. Nous souhaitons aussi améliorer le statut des aumôniers de prison.

Le Gouvernement vous soumettra cet été plusieurs mesures de nature législative :

- interdiction de sortie du territoire pour les majeurs liés au terrorisme ;

- extension de la procédure d'enquête sous pseudonyme sur internet ;

- création d'une incrimination nouvelle, complémentaire à celle d'association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme, et propre aux individus radicalisés - cette mesure nous est notamment suggérée par les juges anti-terroristes ;

- soumission des sites internet faisant l'apologie du terrorisme aux mêmes régimes que les sites pédopornographiques ou ceux qui tombent sous le coup des incriminations d'apologie de crime contre l'humanité ou d'incitation à la haine raciale.

Le Gouvernement souhaite aussi renforcer la coopération européenne en la matière, l'Europe étant la solution et non le problème. La semaine dernière, j'ai rencontré à Luxembourg mes homologues des principaux pays européens touchés par la menace terroriste et nous avons évoqué plusieurs sujets que nous avions proposés avec mon homologue belge, Joëlle Milquet : les échanges d'informations relatives aux voyageurs aériens (passenger name recording, PNR), les signalements au sein du système d'information Schengen, les contrôles aux frontières extérieures à l'Europe (y compris pour les ressortissants européens) en cas de retour de Syrie ou, comme le propose le Royaume Uni, la création d'une task force européenne chargée de diffuser un contre-discours djihadiste.

J'ai par ailleurs prévu de rencontrer les principaux opérateurs internet afin d'évoquer avec eux la possibilité d'obtenir le retrait immédiat des messages terroristes ou de ceux d'incitation à la haine.

Enfin, nous devons redoubler de vigilance en ce qui concerne la zone sahélienne. Je me suis d'ailleurs rendu à cet égard en Mauritanie pour rencontrer mes homologues de cette zone. En effet, le terrorisme prospère dans ces régions grâce aux trafics d'armes, de stupéfiants et de migrants.

Le 4 juin dernier, je me suis rendu à Bruxelles afin d'apporter aux victimes et à la Belgique un message de soutien et de compassion exprimé au nom de nous tous. Le Gouvernement n'épargnera aucun effort pour lutter contre la menace terroriste. Il en appellera à l'esprit de concorde qui doit régner sur cette question. Toutes les suggestions de tous les groupes politiques sont bienvenues. Je rappelle ainsi que le Gouvernement n'a pas hésité à soutenir une proposition de loi de l'opposition déposée à ce sujet à l'Assemblée nationale. Cet esprit d'unité est la condition de la réussite de notre action.

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