La réunion

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La commission procède à une audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, consacrée à la lutte contre le terrorisme.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le ministre, l'actualité commandait à plusieurs titres l'audition que nous vous avons proposée. Il y a quelques jours, un odieux attentat antisémite a été commis. M'exprimant au nom de l'ensemble de mes collègues, je veux assurer ceux qui en ont souffert de notre solidarité. Nous connaissons, monsieur le ministre, la grande vigilance dont vous faites preuve sur ces questions. Vous avez ainsi présenté en conseil des ministres, en avril dernier, un plan de lutte contre la dérive djihadiste parmi les jeunes - je rappelle que trente-six de nos ressortissants sont morts, engagés auprès des milices djihadistes en Syrie. La présente audition devrait vous permettre de nous présenter plus en détail le plan que vous avez conçu. Interrogé par plusieurs de nos collègues lors des questions d'actualité, le Premier ministre a par ailleurs indiqué réfléchir à un dispositif législatif de plus grande ampleur pour prévenir ces fléaux. À cet égard, je rappelle que nous sommes tout autant attachés au respect de la vie privée et des données personnes qu'à l'efficacité de la lutte contre le terrorisme.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

Je vous remercie, monsieur le Président, de me donner l'opportunité de présenter devant vous les moyens mobilisés par le Gouvernement pour lutter contre le terrorisme - sujet grave s'il en est puisqu'il touche à la sécurité de nos concitoyens. La France est en effet menacée aujourd'hui par des individus fanatisés par des discours religieux dévoyés. Des filières de recrutement s'organisent dans la clandestinité. Elles utilisent tous les moyens modernes de communication pour propager leur discours de haine, parfois sous couvert de préoccupations humanitaires, et amener leurs recrues à perpétrer des actions criminelles. Je tiens à cet égard à récuser le qualificatif de « loup solitaire » qui a fait florès après l'affaire Mehra de mars 2012 et, plus récemment, l'affaire Nemmouche en mai dernier. En effet, chez de tels individus, le passage à l'acte n'est que l'aboutissement d'un processus de conditionnement et de radicalisation orchestré à distance par des groupes déterminés. Le « loup solitaire » est rarement seul puisqu'il a besoin, pour aller jusqu'au bout de son projet, et notamment pour accéder à des armes, de la complicité directe ou indirecte d'autres individus radicalisés. L'attentat de Bruxelles vient une nouvelle fois de démontrer la réalité de cette menace : l'auteur est bien de nationalité française, comme l'une de ses victimes d'ailleurs.

Au 30 mai 2014, on estimait que 316 Français ou résidents français étaient combattants en Syrie, que 139 seraient en partance vers cette destination, 191 envisageraient ce départ et 136 en seraient revenus. Chacun de ces individus doit être considéré comme une menace potentielle pour notre pays.

Le 23 avril dernier, je présentais en conseil des ministres un plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes. Des 23 mesures qu'il comporte, toutes celles qui pouvaient être mises en oeuvre à droit constant l'ont été. En particulier, un numéro vert national a été mis en place pour contrer la radicalisation de jeunes qui font l'objet d'un signalement et prévenir leur départ. 126 signalements utiles ont déjà été recueillis par les réseaux interservices mis en oeuvre par les préfets en étroite collaboration avec les procureurs de la République. Ceci a permis d'accompagner les intéressés pour les aider à sortir de cette radicalisation ou de les placer sous surveillance. 20 départs avérés ont été identifiés. Des actions de formation des opérateurs de la plateforme téléphonique ou des correspondants des réseaux interservices sont prévues.

L'action directe contre les départs vers la Syrie a été engagée. Trois procédures de retrait de passeport français sont en cours, une expulsion a été exécutée, une autre est en préparation. Des interdictions administratives et judiciaires de sortie du territoire sont par ailleurs envisagées dans le cadre d'une coopération entre les services de l'État. Ces échanges peuvent faciliter la tâche des parquets pour ordonner le placement provisoire des mineurs lorsque leur santé ou leur sécurité paraît menacée par un projet de départ à l'étranger.

Un de nos sujets de préoccupation majeure est la radicalisation de certains délinquants en prison. Avec la garde des sceaux, notre objectif est d'améliorer le dispositif de renseignement pénitentiaire et de prise en charge des intéressés au terme de leur détention. Nous souhaitons aussi améliorer le statut des aumôniers de prison.

Le Gouvernement vous soumettra cet été plusieurs mesures de nature législative :

- interdiction de sortie du territoire pour les majeurs liés au terrorisme ;

- extension de la procédure d'enquête sous pseudonyme sur internet ;

- création d'une incrimination nouvelle, complémentaire à celle d'association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme, et propre aux individus radicalisés - cette mesure nous est notamment suggérée par les juges anti-terroristes ;

- soumission des sites internet faisant l'apologie du terrorisme aux mêmes régimes que les sites pédopornographiques ou ceux qui tombent sous le coup des incriminations d'apologie de crime contre l'humanité ou d'incitation à la haine raciale.

Le Gouvernement souhaite aussi renforcer la coopération européenne en la matière, l'Europe étant la solution et non le problème. La semaine dernière, j'ai rencontré à Luxembourg mes homologues des principaux pays européens touchés par la menace terroriste et nous avons évoqué plusieurs sujets que nous avions proposés avec mon homologue belge, Joëlle Milquet : les échanges d'informations relatives aux voyageurs aériens (passenger name recording, PNR), les signalements au sein du système d'information Schengen, les contrôles aux frontières extérieures à l'Europe (y compris pour les ressortissants européens) en cas de retour de Syrie ou, comme le propose le Royaume Uni, la création d'une task force européenne chargée de diffuser un contre-discours djihadiste.

J'ai par ailleurs prévu de rencontrer les principaux opérateurs internet afin d'évoquer avec eux la possibilité d'obtenir le retrait immédiat des messages terroristes ou de ceux d'incitation à la haine.

Enfin, nous devons redoubler de vigilance en ce qui concerne la zone sahélienne. Je me suis d'ailleurs rendu à cet égard en Mauritanie pour rencontrer mes homologues de cette zone. En effet, le terrorisme prospère dans ces régions grâce aux trafics d'armes, de stupéfiants et de migrants.

Le 4 juin dernier, je me suis rendu à Bruxelles afin d'apporter aux victimes et à la Belgique un message de soutien et de compassion exprimé au nom de nous tous. Le Gouvernement n'épargnera aucun effort pour lutter contre la menace terroriste. Il en appellera à l'esprit de concorde qui doit régner sur cette question. Toutes les suggestions de tous les groupes politiques sont bienvenues. Je rappelle ainsi que le Gouvernement n'a pas hésité à soutenir une proposition de loi de l'opposition déposée à ce sujet à l'Assemblée nationale. Cet esprit d'unité est la condition de la réussite de notre action.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je vous remercie, Monsieur le ministre, et je note que vous avez bien voulu, pour la première fois, donner au Sénat connaissance des quatre pistes sur lesquelles le Gouvernement travaille pour la mise en place d'un nouveau dispositif pénal relatif au terrorisme :

- interdiction de sortie du territoire pour les majeurs liés au terrorisme ;

- enquête sous pseudonyme ;

- complément à l'association de malfaiteurs sous la forme d'une incrimination nouvelle visant les personnes isolées dont il serait avéré qu'elles préparent un acte terroriste ;

- enfin lutte contre l'apologie du terrorisme, en particulier sur Internet.

Je crois qu'il est important d'avoir informé en priorité le Sénat de ces pistes de travail sur lesquelles nous travaillerons avec vous.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Avant d'en venir aux questions, je souhaiterais au préalable vous faire part de quelques observations.

Les victimes des derniers attentats de Toulouse et Bruxelles étaient toutes de confession juive. Une part importante de notre communauté nationale ne voit plus son avenir dans notre pays. J'ai pu le constater lors d'un voyage récent en Israël, où j'ai rencontré de nombreux jeunes Français qui s'exilent.

Par ailleurs, je constate qu'une société qui exclut, stigmatise une religion provoque également des violences, si bien que d'autre membres de notre communauté nationale dérivent et mettent en danger cette même communauté nationale.

Dans ces deux cas, nous constatons donc un problème de cohésion de notre société, qui rend nécessaire l'affirmation d'un projet commun qui la mobilise dans toute sa diversité et toutes ses composantes. La sensibilisation à ces enjeux est ainsi probablement le premier intérêt du débat que nous avons aujourd'hui.

S'agissant de la situation en Syrie, on ne peut ignorer le fait que la connaissance des événements qui se produisent là-bas ne peut que heurter nos jeunes et les inciter à vouloir s'engager humanitairement. Il ne faut donc pas faire d'une destination un délit.

Par ailleurs, il n'est jamais bon d'écrire une loi au moment où l'émotion est si vive. Nous disposons déjà d'un arsenal répressif conséquent et je m'interroge sur ce que vous proposez. Il ne nous faut pas légiférer trop vite, dans l'émotion, au risque de provoquer des effets pervers.

Sur la question d'Internet, je crains que la loi ne soit jamais supérieure à la technique. Aussi un travail de sensibilisation me paraît là encore plus intéressant.

Enfin, je remarque que l'Espace Schengen est un espace de circulation et de liberté qu'il nous faut davantage protéger plutôt que de rétablir des frontières en son sein. Je propose donc que soit instauré un dispositif de suivi biométrique des entrées et sorties de cet espace afin de le sécuriser dans son ensemble.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Personne ne doute de la volonté du Gouvernement de bien agir et je ne suis pas choqué des propositions que vous formulez, sous réserve d'un examen plus poussé.

Cependant, le terrorisme n'est pas une nouveauté en France. Certes, on voit apparaître de nouvelles formes, l'instrumentalisation par des États étrangers est aujourd'hui probablement moindre que par le passé. Mais n'est-il pas temps d'avoir une approche plus globale et non plus seulement en termes de police et de renseignement ? Il s'agit d'un problème de société, comme le font apparaître certaines difficultés que vous soulevées vous-mêmes. Vous rappelez le rapport entre prison et radicalisation - pourquoi ne pas aborder ce point à l'occasion de la réforme pénale ? Vous posez la question du statut de la religion musulmane, de sa place dans notre pays, ne s'agit-il pas de problèmes d'éducation, de communication, d'intégration, même si la dimension policière n'est pas à sous-estimer ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lasserre

Monsieur le ministre, vous soulignez l'existence de plusieurs formes de terrorisme. Je voudrais pour ma part évoquer le terrorisme basque. La volonté signifiée par l'ETA de déposer les armes n'est, me semble-t-il, pas à prendre à la légère ; au contraire, il nous faut l'accompagner d'une attention particulière, il nous faut négocier, jusqu'où ? Nous aurions tout à gagner à écouter et dialoguer.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le ministre, qui ne pourrait être d'accord avec les mesures que vous annoncez ? Toutefois, je ne sais si elles seront efficaces car aussi bien Mohammed Merah que Mehdi Nemmouche étaient connus des services, mais rien n'a été fait pour les empêcher de passer à l'acte.

Aujourd'hui, l'antisémitisme est de nouveau sur une pente meurtrière, il n'y a pas de laissez-faire possible quelle que soit la forme de racisme ! Mais ne s'agit-il pas d'un problème global ? Je ne connais pas d'étudiant de Sciences Po qui aurait versé dans le terrorisme. Une partie de notre jeunesse a été oubliée et la radicalisation est une preuve de désespoir parmi d'autres.

Avec le djihadisme cependant, nous avons affaire à un problème spécifique : la volonté de l'individu de mourir. Aucune loi ne peut agir contre cela. N'est-il donc pas plus urgent de prendre des mesures sociétales plutôt que de multiplier les mesures policières ?

Il ne faudrait pas, par ailleurs, que les mesures prises aient des répercussions négatives sur l'ensemble de la population musulmane, déjà stigmatisée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Vial

Je suis sensible aux mesures annoncées, mais je m'interroge sur quelques points.

En tant que président du groupe d'amitié France-Syrie, je me suis rendu récemment au camp de réfugiés de Gaziantep, en Turquie. Les médecins des ONG que nous avons rencontrés nous ont fait part de la violence dont ils sont victimes de la part des djihadistes, qui les considèrent avec suspicion dès lors qu'ils viennent en aide à tous sans distinction. Le radicalisme religieux est donc le vrai problème à combattre et les mesures que vous proposez pour lutter contre l'apologie du terrorisme sur Internet vont dans le bon sens.

En effet, on parle ici d'Europe mais le problème est plus vaste. Je discutais en fin de semaine dernière avec des élus du Burkina Faso qui s'inquiétaient de la situation au Mali après le départ de l'armée française. Il s'agit là d'un nouveau réservoir pour le terrorisme. Il nous faut donc conserver des relations étroites avec ces pays.

Vous nous avez communiqué des chiffres dont je m'étonne qu'ils soient précis à l'unité près. Je suis également surpris de leur modestie au regard de la gravité de la situation.

On sait que le conflit syrien a pris une toute autre dimension et changé de nature depuis l'implication des djihadistes. Quels sont les liens que vous entretenez avec le ministère de la Défense ? Des mesures pénales uniquement centrées sur notre territoire ne peuvent en effet suffire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

On ne peut qu'approuver la volonté du Gouvernement de mener un effort global contre le terrorisme.

Je m'interroge néanmoins sur l'incrimination d'interdiction de sortie de territoire que vous venez d'évoquer... Comment peut-on interdire la sortie du territoire à des Français, majeurs, qui n'ont commis aucune infraction sur le territoire ?

Si votre dispositif était rétroactif, aurait-il fallu incriminer les Français partis soutenir les républicains espagnols contre Franco ou ceux qui sont allés rejoindre, à Londres, les résistants condamnés à mort en France ?

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

Je me pose également la question de la mise en oeuvre de cette interdiction de sortie de territoire.

Comme vous, monsieur le ministre, je pense que la lutte contre le terrorisme doit revêtir une dimension européenne.

Il me semble cependant que nous passons à côté du coeur du problème, en ne traitant que ses effets, sans nous attaquer à ses causes, en particulier au lavage de cerveau subi par ces jeunes, qui en viennent à préférer la mort à la vie ou la haine à l'amour. Ce processus prend pourtant du temps et fait intervenir des spécialistes qui ont une aura importante. C'est à ce phénomène que nous devons nous attaquer en priorité car il se déroule, dans la plupart des cas, à l'intérieur de nos frontières.

Chaque religion a connu des heures noires comme la période de l'inquisition pour les catholiques par exemple. C'est l'Église elle-même qui neutralisa les éléments les plus perturbateurs en son sein.

Dès lors, en tant que ministre en charge des cultes, comment comptez-vous mobiliser les responsables religieux dans votre plan de lutte contre le terrorisme ?

Je ne crois pas qu'un discours de haine de l'autre soit contenu dans le Coran qui parle davantage d'amour. Comment faire jouer les armes de la sagesse pour changer le message diffusé ?

Enfin, plus encore que la personne endoctrinée, le véritable coupable est celui qui a armé son bras. Nous devons être impitoyables avec ce dernier. Aucune impunité ne peut être tolérée à son égard.

Debut de section - PermalienPhoto de Christophe-André Frassa

Depuis l'attentat perpétré au musée juif de Bruxelles, nous avons perdu la trace de la soeur de Mohamed Merah. Souad Merah a-t-elle rejoint la frontière syro-turque ? Est-elle en Tunisie ? Avez-vous des éléments plus précis sur cette affaire ?

Quant à la proposition d'interdire les sorties du territoire, comment ferez-vous pour les binationaux ?

La radicalisation religieuse interviendrait souvent en prison. Ce serait le cas de l'assassin présumé du musée juif de Bruxelles. Il faut pouvoir « dépister » et « juguler » cette radicalisation rampante le plus tôt possible. Or, on entend les imams dire leur impuissance face à ce phénomène. Comment les associer davantage ? Faut-il mobiliser le Conseil français du culte musulman, les imams qui interviennent en prison ?

Enfin, quelle attitude devons-nous adopter à l'égard de ces pays qui sont officiellement « amis » de la France et qui, nous le savons, financent le terrorisme ?

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Je remercie la commission des lois d'avoir ouvert cette audition à l'ensemble des sénateurs. J'y suis d'autant plus sensible qu'étant moi-même membre de la Délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, j'ai été chargée de la rédaction d'un rapport sur le terrorisme et les moyens de travailler en commun pour l'éradiquer.

L'approche doit être globale, au niveau interministériel. L'accent doit être mis sur la prévention technique, pratique. Par exemple, pourquoi les trains sont-ils aussi peu surveillés par rapport aux avions ?

Quant à la coopération internationale, nous devons apporter notre soutien aux États du Sahel par exemple, car nous avons de nombreux alliés dans ces pays.

Le problème est également sociétal. Nous sommes faces à des jeunes en déshérence, au chômage, entrainés par des groupes...

Je crois beaucoup à la veille et à la vigilance. À cet égard, je fais partie de ceux qui regrettent la suppression du service national, qui permettait, dans une certaine mesure, de repérer ces jeunes avant qu'ils ne dérapent. La réserve citoyenne joue également ce rôle.

Contrairement à ce qu'a dit M. Cointat, je pense que le basculement dans la radicalisation religieuse peut être très rapide.

Enfin, un contre-discours est essentiel. Nous devons encourager un nouveau message vis-à-vis du monde musulman, pour éviter la victimisation de certains de ces jeunes.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Je suis impressionné, monsieur le ministre, par la précision des chiffres que vous nous avez communiqués dans votre propos introductif. Êtes-vous en mesure d'assurer un suivi individuel de ces cas, pour avoir un tel degré de précision ? Avez-vous une sociologie de ces effectifs ? Avez-vous ensuite les moyens, notamment humains, du plan que vous annoncez ? Comment s'articulent les actions de lutte contre le terrorisme de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jeanny Lorgeoux

La réponse sociétale, qui est une réponse d'ensemble, et qui demande une politique interministérielle n'est nullement contradictoire avec l'excellence des mesures à court terme proposées par le ministre de l'intérieur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Dans le cadre de la loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI), un décret devait permettre de bloquer les sites pédopornographiques. Ce décret n'est jamais paru, notamment du fait de l'opposition des fournisseurs d'accès à internet. Dès lors, comment comptez-vous faire pour bloquer les sites faisant l'apologie du terrorisme ? Aurons-nous les moyens d'appliquer une telle mesure ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Je ne crois pas que le sujet dont nous parlons aujourd'hui puisse être comparé à l'engagement par le passé de certains Français aux côté du gouvernement républicain espagnol, gouvernement légal, que la France reconnaissait. Quant à la résistance, la France avait un accord militaire avec la Grande-Bretagne. Certes, le général de Gaulle avait été condamné à mort par un tribunal de Vichy, mais le gouvernement britannique était, lui aussi, légal et reconnu par la France. Dans ces deux cas, les perspectives n'étaient certainement pas les mêmes qu'aujourd'hui. Bien que le Président de la République ait évoqué un éventuel soutien aux opposants à Bachar el Assad, il n'y a jamais eu de reconnaissance de l'autorité politique de ces opposants.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Méfions-nous de l'Histoire. Parfois, les terroristes d'un jour sont les héros du lendemain.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

La difficulté avec le terrorisme d'aujourd'hui résulte du fait que les réseaux internet n'ont pas de frontières. Il est donc très difficile de les contrôler.

Par ailleurs, je pense que la France devrait participer, en tant qu'observateur, à la Convention de Shanghai, qui a pour but d'unir les efforts des États, essentiellement de la Communauté des États indépendants (CEI), pour lutter contre le terrorisme.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Pour commencer je souhaiterais revenir sur le sujet de l'antisémitisme. Ce qui s'est passé à Bruxelles est un acte de violence, un crime contre des personnes car elles étaient juives. Cet acte est un acte d'antisémitisme, qu'il faut qualifier comme tel.

Au premier quadrimestre 2013, on dénombrait 163 faits d'antisémitisme en France. Sur la même période en 2014, nous en avons dénombré 211, soit une augmentation de près de 30 % en un an. En 2014, 36 % des actions recensées étaient des violences ou voies de fait commises sur des personnes physiques dont 12 sur mineurs, 6 actions enregistrées l'ont été en milieu scolaire, 14 sur des synagogues, deux sur des cimetières. Quant aux 153 menaces enregistrées, 50 % étaient des inscriptions ou tags à caractère raciste, antisémite et haineux, 40 % des propos, des gestes menaçants et des démonstrations injurieuses.

Cette réalité statistique dit bien l'état d'esprit d'un certain nombre d'acteurs, qui font fi des faits de l'Histoire, des familles entières décimées dans les camps de la mort. Le fait que l'on puisse, 70 ans après, alors que nous célébrons la libération du territoire national, reproduire à ces actes de haine, comme si rien ne s'était passé, est plus odieux que n'importe quelle autre forme de violence.

L'antisémitisme existe, il est intolérable et mérite une dénonciation forte et claire, quelle que soit l'origine de ses manifestations.

Pour répondre à MM. Michel et Leconte, l'interdiction administrative de sortie du territoire concernerait tous les ressortissants français, majeurs, dont les déplacements à l'étranger sont susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État ou d'être liés à des activités terroristes, à des crimes de guerre ou des crimes contre l'Humanité. Les critères d'incrimination seraient clairs et ne pourraient être prolongés que sous l'autorité du juge.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Le juge judiciaire est le gardien de la liberté individuelle !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Mais le juge administratif est compétent car c'est une décision administrative !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Je ne considèrerai jamais comme les héros de demain des criminels qui vont dans des groupes terroristes et qui reviennent sur le territoire national afin de tuer des personnes pour des raisons religieuses. Ils resteront des criminels. Pour gagner ce combat, il nous faut mettre de l'ordre dans nos valeurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Malheureusement, ils seront des héros ailleurs !

Pour répondre à Mme Benbassa, le fait de vouloir prendre de mesures répressives pour empêcher les départs, pour réprimer l'association de personnes via internet pour commettre des actes criminels, ne signifie pas que le plan que nous proposons est uniquement répressif. Ce plan est global et repose sur 5 axes.

Le premier axe est de prévenir et empêcher les départs, ce qui implique d'inscrire des personnes dont nous savons par le travail de renseignement qu'elles sont susceptibles de de s'engager dans des troupes djihadistes dans le fichier des personne recherchées ou le système d'information Schengen. Ces personnes peuvent également faire l'objet de retrait de passeport, d'une opposition de sortie du territoire, en cas de signalement des parents, si ce sont des mineurs ou encore, sans porter atteinte à leur liberté, d'entretiens administratifs pour assurer un suivi le plus fin possible de ces ressortissants qui pourraient représenter une menace.

Le deuxième axe est le démantèlement des filières, ce qui implique de continuer à prendre des mesures d'expulsion contre les étrangers ayant pris part à des entreprises terroristes, à geler sur le plan administratif et de manière préventive les avoirs des filières terroristes, à prononcer la déchéance de nationalité dans des conditions restrictives prévues par la loi pour des ressortissants qui peuvent porter atteinte à la sécurité nationale. C'est aussi la prévention en liaison avec l'administration pénitentiaire, les services de renseignement, les représentants du culte musulman et des formations d'imams pour lutter contre la radicalisation en milieu carcéral avec un suivi psychologique et éducatif sur des détenus qui pourraient basculer, faute de ce suivi. Cet axe implique aussi de généraliser le régime juridique de l'enquête sous pseudonyme, de faciliter l'exploitation du renseignement par l'allongement de la durée de conservation de certaines données, notamment d'interception de sécurité.

Le troisième axe consiste à soutenir et orienter les familles. C'est l'objet du numéro vert mais aussi du réseau d'orientation et de soutien déconcentré, piloté par le préfet et le procureur. Autour d'eux, dans le respect de la confidentialité, je souhaite que les services de l'éducation nationale et des collectivités territoriales puissent agir ensemble lorsque des signes de décrochage ou de risque de basculement apparaissent.

Quatrième axe : communiquer, sensibiliser et former. Ceci recouvre des projets expérimentaux en vue d'actions de contre-propagande, l'implication les autorités religieuses en vue d'élaborer un contre-discours, sensibiliser les familles, les éducateurs, les travailleurs sociaux aux signes de la radicalisation, la création d'une cellule nationale interministérielle d'appui, le renforcement de la coopération internationale. Tous les pays de l'Union européenne sont confrontés aux mêmes contraintes de départs et de suivi. Il faut travailler ensemble pour faire face à ces mêmes difficultés.

Vous constatez l'approche répressive, qui relève particulièrement du ministère de l'intérieur, mais il y a aussi le volet éducatif qui associe d'autres ministères : l'approche est globale.

Je veux vous dire que zéro précaution face à un tel phénomène aboutit à 100 % de risque potentiel mais 100 % de précaution, ce n'est pas le risque zéro. Nous ne sommes jamais à l'abri de l'arrivée subite d'un ressortissant étranger comme Nemmouche en Belgique.

S'agissant de la situation humanitaire évoquée par M. Leconte, je vous confirme que des jeunes basculent en raison d'images diffusées sur le net par des groupes terroristes. Une fois qu'ils ont basculé pour des raisons initialement humanitaires, ils s'engagent dans des actions qui n'ont rien à voir avec des actes que l'humanité dicterait. Selon les témoignages recueillis, ils ne fréquentent pas l'action humanitaire mais la violence dans sa forme la plus brutale jusqu'au meurtre et à la décapitation. Cette tromperie est consubstantielle à l'endoctrinement. J'ai vu ces vidéos diffusées sur internet conduisant à des endoctrinements pour des motifs apparents « humanitaires » : c'est une propagande qui instrumentalise une situation humanitaire à des fins de basculement vers la violence brutale sans détour.

En matière de délits sur internet, la technique peut mettre en échec la loi pour la régulation, comme le soulignait M. Leconte. Cependant, cet espace de liberté qu'est internet ne peut être un espace où tout est permis, y compris l'expression de la haine, et ce, en dépit du premier amendement auquel se réfèrent souvent les Américains. La liberté ne peut justifier la présence sur internet de blogs, de tweets, de vidéos, de sites qui forment un vecteur de haine. Ce combat doit être mené à l'échelle européenne en lien avec les Américains pour rappeler les fournisseurs d'accès à internet à leur responsabilité éthique, sous peine de voir toutes les règles républicaines être transgressées et mises à mal.

Vous évoquez la sécurisation de l'espace Schengen. C'est l'objet du Passenger name record (PNR) afin de rendre possible l'échange d'informations, dans le strict respect des libertés publiques, pour sécuriser nos aéroports, nos voies de circulations contre ceux qui présentent un risque pour notre sécurité.

Monsieur Collombat, le terrorisme n'est effectivement pas une nouveauté. Mais sa forme actuelle est inédite.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Il y en aura une autre forme demain. Il faut avoir une vision d'ensemble !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Justement ! Elle est d'autant plus insidieuse qu'elle est mutante. Ce que vous exprimez dans votre question rejoint les préoccupations du Gouvernement et les échanges avec mes homologues européens. Les acteurs en face de nous sont dans la dissimulation. J'ai été très frappé de voir sur des sites internet qui expliquent comment se dissimuler de ses parents pour basculer sans laisser l'inquiétude poindre au sein de la famille. Parmi les familles que j'ai reçues, le témoignage d'une mère qui a perdu ses deux enfants en Syrie m'a terrifié et glacé. Elle m'a expliqué qu'elle avait vu apparaître les signes de la radicalisation de ses fils, s'en était inquiété auprès d'eux qui l'avaient rassuré ; les signes avaient alors disparu avant qu'ils ne partent au moment où elle s'apaisait. Elle a découvert que les sites qui avaient convaincu ses fils de partir comportaient des conseils de dissimulation pour rassurer ses proches.

Lorsque les personnes qui sont parties reviennent après avoir connu des atrocités que je ne détaillerai pas, elles ne sont pas indemnes. Le traumatisme psychologique est tel qu'il rend tout possible.

À cet égard, le concept de « loup solitaire » n'a pas de sens car si l'individu agit seul, l'endoctrinement n'est pas un acte solitaire. Ces individus sont sur notre territoire. Sans faire peur, il faut dire la vérité sur ce phénomène et s'armer pour y faire face. Désormais, le risque est d'une autre nature : il ne provient plus de personnes qui viennent d'ailleurs pour perpétrer sur notre sol des attentats puis repartir. Ceci implique de nouvelles organisations, d'autres formes de coopération européenne. Il faut avoir conscience de la nature du risque pour le combattre, sans remettre en cause les libertés publiques qui ne sont pas négociables.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Je voudrais maintenant répondre à Mme Esther Benbassa et à M. Jean-Pierre Vial qui m'ont interrogé sur le lien existant entre la violence des islamistes radicaux et religion. Ce qui me frappe, dans les profils des personnes qui passent à l'acte, c'est leur ignorance totale de ce que sont les religions. Ce n'est pas la rencontre avec des imams radicaux dans les mosquées qui conduit au basculement, mais la violence et la manipulation sectaire organisées par le biais d'Internet, l'ignorance de ce qu'est la religion permettant ensuite le passage à l'acte. Comme vous l'avez dit très justement, M. Christian Cointat, l'islam de France et l'islam en général sont tout à fait étrangers à ce dévoiement.

Mais pourquoi certains jeunes en particulier sont-ils si sensibles à ce discours ?

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Je vais donner quelques éléments du portrait psychologique de ceux qui passent à l'acte, mais j'assume les interrogations que ces éléments vont susciter. Beaucoup de ceux qui basculent ont été d'abord des délinquants...

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

petits délinquants, certes. Mais ils basculent dans l'islam radical pour plusieurs raisons. Certains peuvent passer à l'acte parce qu'en ne bénéficiant pas de suivi après l'emprisonnement, ils sont progressivement enkystés dans une forme de relégation et d'échec. Certains passent à l'acte car la fréquentation de ces sites d'endoctrinement, de ces blogs de propagande les conduit à une forme de nihilisme très nouveau où la mort est presque sacralisée et n'est qu'une étape vers une vie ultérieure présentée comme idéale. C'est une duperie majeure !

Mais quelle que soit la cause, rien ne peut excuser ni expliquer la violence et les crimes qui sont perpétrés. Nous devons nous attaquer, de façon préventive, à ce qui peut empêcher le basculement, mais nous ne pouvons pas sous ce prétexte, trouver dans l'examen des causes une excuse quelconque aux faits qui sont commis, tellement ceux-ci sont monstrueux. Nous devons aussi avoir un discours très clair sur ce sujet, sinon, nous nous désarmons face à un phénomène qui doit être condamné fermement.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

À M. Gérard Longuet, qui m'interrogeait sur la précision des chiffres avancés tout à l'heure, je réponds que ce sont des ordres de grandeur. Ils sont précis grâce au travail des services et ils sont en permanence actualisés. Cela mobilise des moyens humains significatifs et ces moyens vont être encore accrus, dans le cadre de la réforme de la DGSI, car nous avons prévu de procéder à des recrutements. Le ministère de l'intérieur est en lien avec les autres ministères et l'approche de cette question est interministérielle, ce qui permet de travailler ensemble, et de donner tous les éléments aux personnes en responsabilité pour prendre les décisions adéquates.

Le président a posé une dernière question, relative au décret interdisant l'accès aux sites pédopornographiques, prévu par la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure du 14 mars 2011. Le travail se poursuit, en concertation avec les opérateurs. Dans sa décision sur la conformité de cette loi à la Constitution, le Conseil constitutionnel a confirmé que le blocage des sites pour des considérations d'ordre public nécessitait qu'on indemnise les opérateurs, et c'est pour cela que le décret n'est pas encore publié. Je souhaite que ce décret soit pris.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

J'avoue ne pas bien comprendre pourquoi il faudrait indemniser des fournisseurs d'accès pour un préjudice tenant à ce que des sites pédopornographiques soient bloqués. Je constate que cette loi a été votée en 2011, et que le décret n'a toujours pas été publié ; on peut souscrire à votre proposition de bloquer les sites de propagande pour le terrorisme, mais avec l'espérance que cela puisse être appliqué rapidement.

Je voulais aussi vous remercier pour votre précision et pour les éléments donnés. Vous trouverez au Sénat des interlocuteurs particulièrement disponibles pour travailler sur ces questions.

La réunion est levée à 19 h 15