En effet, les lignes de base côtières outre-mer sont loin d’être toutes délimitées ou notifiées au niveau international ; elles ne sont donc pas opposables. Pourtant, il convient de savoir en premier lieu où se situe la laisse de basse mer, qui constitue la ligne de base normale à partir de laquelle sont calculées la limite de la mer territoriale et ensuite la ZEE, voire l’extension du plateau intercontinental. Vous aurez compris, mes chers collègues, combien nous sommes loin du compte !
La situation est évidemment encore plus compliquée s’agissant des délimitations des ZEE nécessitant des accords avec les pays voisins. Hormis le cas de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la Polynésie française, aucun territoire ultramarin ne dispose aujourd’hui de frontières maritimes officiellement opposables ! Ce fait explique toutes les contestations qui ont été rappelées précédemment.
Quant aux demandes d’extension du plateau continental – qui a d’ailleurs fait l’objet d’un excellent rapport du Conseil économique, social et environnemental, ou CESE, ce qui montre que d’autres acteurs s’intéressent à la question et contribuent à la prise de conscience sur le sujet –, plateau qui permet l’exploitation des ressources du sous-sol jusqu’à 350 milles, la France a pris un tel retard que les derniers dossiers déposés, ceux de Wallis-et-Futuna et de Saint-Pierre-et-Miquelon, ne seraient examinés par la Commission des limites du plateau continental que d’ici à vingt-cinq ou trente ans !
L’État français a en effet laissé passer la date limite du 24 mai 2009 qui permettait de voir ses demandes traitées dans des délais plus raisonnables. Et la demande concernant le sous-sol maritime au sud de Saint-Pierre-et-Miquelon déposée au mois d’avril dernier a bien sûr suscité une fin de non-recevoir de la part du Canada, qui se prévaut de l’arbitrage rendu en 1992.
Le deuxième paradoxe, qui constitue une contradiction, consiste à prétendre exploiter des ressources sans les protéger, à vouloir valoriser les fruits de son domaine sans en assumer les responsabilités.
Je limiterai mon propos à quelques constats particulièrement topiques qui ont déjà été énoncés par d’autres collègues.
Hormis en Guyane, les forces militaires outre-mer dites « de souveraineté » sont partout en repli. S’agissant des moyens maritimes de patrouille et de surveillance, des ruptures capacitaires sont même attendues, en particulier entre 2016 et 2018, du fait du retrait des P400, comme l’a rappelé André Trillard, maintes fois repoussé, mais inévitable. Et la livraison annoncée de trois bâtiments multi-missions, les fameux B2M – un pour les Antilles, un pour la Polynésie française et un pour la Nouvelle-Calédonie – ne marque pas un progrès par rapport aux BATRAL, qu’ils remplacent, car, s’ils peuvent accueillir des hélicoptères, les B2M ne disposent pas de capacités de débarquement amphibie pourtant bien utiles dans les missions logistiques et d’aide aux populations.
En outre, les moyens militaires maritimes sont, de fait, les seuls à pouvoir être mobilisés en haute mer, a fortiori face à des pirates, des trafiquants ou des pilleurs de ressources disposant, eux, d’équipements sophistiqués. Le développement de services satellitaires de surveillance est un atout, mais il ne fait que renforcer le sentiment d’impuissance lorsque les moyens d’intervention font défaut.
Je précise que la situation n’est guère meilleure s’agissant des moyens aériens ; aux insuffisances en hommes et en équipements s’ajoutent des difficultés d’organisation. Comme vous le savez, mes chers collègues, contrairement aux États-Unis, la France ne dispose pas d’un service de garde-côtes. Sous l’action coordonnatrice du Secrétariat général de la mer, cette mission est répartie entre plusieurs administrations : la marine nationale, les directions des affaires maritimes, la gendarmerie maritime et les douanes. Mais la mutualisation et l’affectation concrète des moyens trouvent vite leurs limites. En effet, chaque administration reste maîtresse de ses budgets et de ses moyens, sans compter les particularités des missions confiées aux uns et aux autres, qui ne sont pas toujours en mesure d’assurer des fonctions de garde-côtes.
Dans le même temps, d’autres pays s’équipent pour protéger leurs richesses maritimes : je pense bien sûr au Brésil, qui vient d’entreprendre, en collaboration avec la France, la construction de cinq sous-marins, dont un à propulsion nucléaire. La mise en mer du premier est prévue en 2017, celle des autres devant suivre tous les dix-huit mois.
Si l’ensemble des moyens militaires français ne suffit évidemment pas à la surveillance de la ZEE française, du fait de l’étendue exceptionnelle de celle-ci, il n’empêche que notre pays ne montre pas suffisamment sa détermination à faire respecter ses droits sur son territoire marin. Dans ce contexte, rien d’étonnant à ce que la souveraineté française soit défiée, contestée, voire bafouée.