Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons vise à modifier le traitement judiciaire de la prise d’acte de rupture du contrat de travail, procédure fixée par la Cour de cassation dans plusieurs arrêts de juin 2003 et dont la définition n’a pas varié depuis.
Cette procédure permet au salarié de cesser son travail à tout moment, sans effectuer de préavis, comme dans le cadre d’une procédure de démission, en raison de manquements graves de l’employeur, qu’il fera reconnaître comme tels ultérieurement devant le juge.
La jurisprudence a distingué différents types de comportements de l’employeur pouvant donner lieu à une prise d’acte de rupture par le salarié : harcèlement ou mesures discriminatoires, atteinte à la dignité du salarié, manquements aux obligations de sécurité, non-paiement du salaire ou encore modification de la rémunération, autant d’actes d’une gravité telle qu’ils font effectivement obstacle à la poursuite du contrat de travail.
Si les griefs invoqués à l’encontre de l’employeur sont considérés comme fondés, la prise d’acte sera qualifiée de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Si, au contraire, le conseil de prud’hommes estime les griefs infondés, la prise d’acte produira les effets d’une démission.
Au fond, quel est l’enjeu ?
L’enjeu est le versement de multiples indemnités par l’employeur s’il est donné droit au salarié, et par le salarié s’il est donné droit à l’employeur. Or, comme l’a souligné M. le rapporteur, il faut tenir compte des délais d’attente de la décision du juge. En effet, à partir de la date de rupture de la relation contractuelle, le salarié ne perçoit plus son salaire et peut donc se retrouver dans une véritable situation de précarité financière.
Or, dans ce cas, le salarié, parce qu’il a pris l’initiative de la rupture, ne peut prétendre à des indemnités et n’est pas éligible à l’allocation d’aide au retour à l’emploi. Notre législation du droit du travail considère, en effet, que le salarié a perdu volontairement son emploi tant que la justice ne s’est pas prononcée.
La proposition de loi pointe ce problème, car la procédure de prise d’acte de rupture entraîne parfois de longs délais. Ainsi, la moyenne de traitement d’un dossier devant la juridiction prud’homale est actuellement de dix mois ; elle atteint parfois seize mois dans la région parisienne, voire plus dans certaines villes, ainsi que vient de le souligner notre collègue Corinne Bouchoux.
L’objet de cette proposition de loi est donc de limiter au maximum ces délais, afin que le litige soit rapidement réglé et que les salariés connaissent une situation financière difficile la plus courte possible.
Pour ce faire, le texte prévoit la suppression de la phase de conciliation lors du déroulement de la procédure et un délai légal court, à savoir un mois, pour le traitement de ces litiges.
L’intention des auteurs de cette proposition de loi est bien évidemment louable, car il n’est pas acceptable qu’un salarié, dans l’attente d’une décision judiciaire, puisse se retrouver sans aucune ressource durant plusieurs mois. Cependant, la solution proposée appelle, de notre part, plusieurs réflexions.
Tout d’abord, regrettons que la pertinence de la phase de conciliation soit remise en question de façon aussi radicale.
Certes, la conciliation n’a pas pour objet d’aboutir au règlement du litige puisque, dans le cas de la procédure considérée, quelle que soit son issue, l’affaire sera nécessairement portée devant le bureau de jugement. Cependant, cette phase représente, à mon sens, une étape importante dans le processus judiciaire : elle permet, d’une part, l’information des parties, le dialogue et la recherche d’une sortie de crise et, d’autre part, la constitution du dossier, en vue de l’étape du jugement.
N’oublions pas que les actes de l’employeur sont gravement mis en cause et que le traitement de l’affaire en un mois ne permettra pas nécessairement un examen approfondi, d’autant que l’on connaît la charge de travail des conseillers prud’homaux, confrontés à près de 200 000 demandes chaque année !
On peut également craindre qu’une procédure permettant une issue aussi rapide ne déclenche une multiplication ou, à tout le moins, un accroissement du nombre des actions en justice sur ce fondement, afin d’échapper aux délais plus importants de la procédure ordinaire. Ce serait en quelque sorte une forme de « détournement » par rapport à l’objectif de cette proposition de loi.
Plutôt que de chercher une solution dérogatoire, ne vaudrait-il mieux pas examiner la question de l’encombrement des conseils prud’homaux ?
Faut-il le rappeler, un rapport de Mmes Guillonneau et Serverin soulignait la nécessité de modifier en profondeur l’organisation et le fonctionnement des conseils de prud’hommes, afin que la justice soit rendue plus rapidement.
Les juridictions prud’homales souffrant déjà d’un engorgement préjudiciable aux requérants, est-il tenable et, pour tout dire, réaliste de prévoir un délai aussi resserré - un mois ! - pour statuer ? Je ne le crois pas.
Notre rapporteur a procédé à diverses consultations, notamment de différents conseils prud’homaux, qui lui permettent d’estimer que, concernant cette procédure de prise d’acte, le nombre de recours annuels devant les prud’hommes s’élève aujourd'hui à 4 000 environ. À cet égard, il serait intéressant de connaître votre estimation sur le sujet, madame la secrétaire d'État.
L’interprétation de ces chiffres est sujette à débat : ils semblent rassurer certains d’entre nous, alors que je ne les trouve pas, pour ma part, mineurs. En revanche, il est sûr que le dispositif proposé sera source de grandes difficultés pour les juges, qui devront désormais se prononcer sur ces dossiers dans le mois de leur saisine.
Si le service public de la justice ne dispose pas ou ne dispose plus des capacités d’absorption suffisantes pour répondre aux exigences d’une société qui engage davantage de procédures, redéfinir le déroulement des procédures en réduisant leur durée ne rendra que plus incohérente, je le crains, ou, du moins, plus difficile, la manière dont la justice est rendue.
En outre, d’une certaine manière, le texte créerait une forme d’inégalité d’accès au droit en fonction de la nature de l’acte ayant conduit à la rupture du contrat de travail.
Plutôt que de créer un nouveau délai accéléré, il conviendrait peut-être de repenser la manière dont la justice est rendue en France et de prendre des mesures que je qualifierais, même par ces temps difficiles, d’« ambitieuses », afin de réduire véritablement et, espérons-le, définitivement les délais de traitement des recours.
Notre groupe estime que ce serait plus respectueux des droits de la défense ainsi que des conditions de travail des conseillers prud’homaux.
Il n’en demeure pas moins vrai que l’on doit trouver une solution satisfaisante pour régler les situations visées dans cette proposition de loi. Et, parce que la solution proposée par notre collègue Gilbert Barbier ne présente pas toutes les garanties durables et suffisantes pour remédier au mal, le groupe UMP s’abstiendra. Comprenez, chers collègues, qu’il s’agit d’une abstention positive !